La question de l’EUROPE (Octobre 2013)

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La question de l’EUROPE (Octobre 2013-).

I. L’Europe, une réalité historique et politique. La question de l’Europe est indissociable de l’histoire de la formation du mouvement ouvrier. Si la construction européenne est récente la discussion sur la question de l’Europe commence dès le milieu du xixe siècle avec l’émergence du mouvement ouvrier. a) Dès 1848, Marx pense le combat démocratique et socialiste comme un combat européen. Il travaille sur la dialectique des luttes de classes entre la France l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre. C’est cette analyse du cadre européen qui débouche sur la nécessité de combiner les « unifications nationales » « -des Etats nations »-l’unité de l’Allemagne, de l’Italie-, le soutien aux indépendances de la Pologne et de l’Irlande et sur la base de la révolution française l’approfondissement des luttes de classes en France. « Un spectre hante l’Europe, le communisme ». L’Europe, appuyée sur la formation ou la consolidation des Etats nations est considérée comme un cadre stratégique pour le développement des luttes de classes de l’époque. b) Les premières discussions sur les formes politiques d’unification de l’Europe ont lieu dans le mouvement ouvrier après le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Lénine est le premier à s’emparer de la question en avançant le mot d’ordre d’« Etats unis républicains d’Europe », tournés contre les monarchies allemande, autrichienne et russe, liés au renversement révolutionnaire des trois monarchies les plus réactionnaires d’Europe, la russe en tête, cela dans la perspective de révolutions politiques démocratiques. Lénine précise même:« Du point de vue des conditions économiques, les Etats unis d’Europe en régime capitaliste sont ou bien impossibles (la concurrence)-ou réactionnaires ». Il donne un contenu à ce mot d’ordre : la rupture avec les monarchies. c) Trotski reprend ce mot d’ordre en le reformulant comme « Etats unis d’Europe » en mai 17, comme un des objectifs du programme de la Paix du parti bolchevique. C’est un mot d’ordre contre la guerre impérialiste contre la concurrence inter-impérialiste, pour la démocratie : «Les Etats unis d’Europe sans monarchie, sans armée permanente, et sans diplomatie secrète, voilà la clause la plus importante du programme de paix prolétarien». « Une union économique européenne réalisée par le haut, n’est que pure utopie, il ne pourrait s’agir que de demi mesures et compromis partiels…Une union source de développement et de culture ne peut être réalisée que par le prolétariat combattant le protectionnisme impérialiste et son instrument le militarisme ».Nous sommes pleine révolution russe. Et autre point méthodologique intéressant sur ce qu’on doit opposer à une réalisation réactionnaire de l Europe: « Si le militarisme allemand réussissait à unir, par la violence, la moitié de l'Europe, quel serait le slogan du prolétariat européen ? L'éclatement de l'union européenne ligotée et le retour des peuples à l'isolement national ? Le rétablissement de douanes "autonomes", de monnaies "nationales", d'un code social "national" ? Evidemment, non. Le programme révolutionnaire comporte la destruction de la forme antidémocratique d'une Union réalisée par la violence. En d'autres termes, notre slogan sans armée permanente et sans monarchie, est le slogan unificateur et directeur de la révolution européenne.» Pas de retour au cadre national contre le cadre européen mais lutte sur le terrain européen, en formulant des éléments de stratégie d’extension de la révolution russe, mais il prend aussi en compte l’hypothèse d’une victoire de l’impérialisme allemand. Il précise aussi face à ceux qui demandent, dogmatiquement, «Pourquoi l'unification de l'Europe et non du monde tout entier ? L'Europe n'est pas seulement une appellation géographique, mais une collectivité économique et de culture historique. La révolution européenne n'a pas à attendre la révolution en Asie et en Afrique, pas même en Amérique et en Australie ».Si nous passons du cadre national au cadre mondial par l’Europe, c’est en fonction de l’existence d’un espace historique et politique.

Et il pousse le raisonnement, sur un plan intra européen, en insistant sur le développement inégal du capitalisme en Europe même et des luttes de classes : Que chaque nation ne doive pas "attendre" les autres dans sa lutte, est une pensée élémentaire qu'il est bon et 

indispensable de répéter, afin que l'idée d'un Internationalisme parallèle ne se convertisse pas en celui d'un Internationalisme attentiste. N'attendant pas les autres, nous poursuivons notre lutte avec la ferme conviction que notre initiative donnera l'impulsion voulue à la lutte des autres pays ; Il reprendra plus tard dans les thèses sur la révolution permanente, que « la révolution commence sur le terrain national, se développe sur l’arène  internationale et s’achève sur le plan mondial ». d) Il reprend cette bataille en 1923 contre les conséquences de la guerre, celles du traité de Versailles qui allaient démembrer l’Allemagne, et favoriser les conditions de la poussée nazie. Les Etats unis d’Europe sont la solution à un développement économique et social coordonné, à l’opposé de l’Europe déchirée, délabrée, se préparant à de nouvelles guerres…Et il lie cette bataille à celle du gouvernement ouvrier et paysan, ou gouvernement ouvrier, la forme transitoire vers le socialisme que prend la lutte des travailleurs pour le pouvoir.. Notre approche est historique et politique : Notre approche n’est pas géographique: l’Europe de l’Atlantique à l’Oural, il y a des prolongements au delà de l’Oural en Russie vers l’Asie et à l’Ouest, il y a la grande Bretagne, et surtout au Sud, la Méditerrané et les pays d’Afrique du Nord. Encore moins en termes de civilisation ou de religions : L’Europe ou l’occident chrétien.. Nous avons une approche positive de l’intégration de la Turquie dans l’Europe si les peuples le décident…

C’est un espace historique, politique économique, culturel transitoire vers une réorganisation du monde à condition que la bataille pour l Europe s’accompagne d’un contenu démocratique et social.

J’ai rappelé certains éléments sur le débat « européen », parce que nombre d’analyses et d’intuitions sont utiles mais avec une grande différence : à l époque il n’y avait pas de « construction européenne ». Depuis un demi-siècle c’est le cas. C’est ce que nous allons étudier.

II. Les grandes dates de la construction européenne

  • 1948-50 :Les impératifs de la reconstruction économique de l’après guerre, la constitution d’un bloc contre l’URSS et les pays de l’EST, vont mettre à l’ordre du jour la constitution d’une nouvelle Europe alliée des USA- Rappelons le Plan Marshall d’aide à l’Europe et en même temps pour aider les bourgeoisies européennes dans leur contre offensive contre la puissance du mouvement ouvrier de l’Epoque, en particulier en Italie et en France, où il y avait eu des situations prérévolutionnaires juste après la guerre en 44-47.
  • 1954: Une première date historique la CED.-Communauté européenne de défense-conçu comme un auxiliaire de la puissance militaire US et de l’OTAN- qui échouera en France sous la pression des communistes liés à l’URSS et des gaullistes, car le Général de Gaulle- va jouer la carte de l’indépendance nationale.Une constante dans la politique française…moins avec les derniers gouvernements.
  • 1960 le traité de Rome après un processus de discussion et de négociation commencé en 1957 pour créer un marché commun, avec la France, l’Allemagne, l’Italie, et le Benelux.
  • 1986 L’Acte Unique, c’est à dire un cadre juridique pour « déréglementer et libéraliser « les règles de l’échange et du marché pour constituer un grand marché européen. C’est le premier grand acte politique pour insérer l’Europe dans le cadre des contres réformes libérales, le consensus de Washington, et l’offensive des néolibéraux aux USA et en Grande Bretagne. La constitution d’un grand marché a bien eu au départ deux grandes motivations économiques : le rétablissement des profits après la récession des années 70 et donc la mise en place de politique d’austérité qui remettent en cause les conquêtes arrachées dans la période d’après guerre, et, la volonté des plus grandes firmes de se doter d’un nouvel espace de croissance et de rationalisation de leurs actifs. Dans de telles circonstances, la réponse du capital est à peu près toujours la même : concentration et extension commercial. Pour espérer relancer un nouveau cycle de croissance, il fallait favoriser la transnationalisation des champions nationaux et la libéralisation et dérégulation des financements des entreprises.
  • 1992 : C’est l’adoption du traité de Maastricht qui sera consolidé par le traité d’Amsterdam. C’est un tournant en Europe, après la chute du mur, la disparition du bloc soviétique et l’unification allemande. En fait, et c’est l’accord Mitterrand-Kohl, il y a échange entre l’acceptation de l’Unification allemande par les européens et la France et la création de la monnaie unique qui conduit l’Allemagne à abandonner le Mark pour l’Euro et qui vise à arrimer l’ Allemagne à l’ Europe. Avec l’Euro on constitue la BCE comme banque centrale européenne contrairement à la FED aux USA qui dépend des pouvoirs politiques. C’est à dire que les pouvoirs politiques décident que la BCE est indépendante. Elles décident de céder tout un pan de leur souveraineté dans le sens où c’est la BCE qui a maintenant la responsabilité de la politique économique et monétaire en Europe- et , par conséquent, une bonne partie des politiques nationales. L’objectif de la BCE, c’est la stabilité monétaire et la stabilité des prix… résultat l’Euro fort, des taux d’intérêt élevés, une mauvaise position dans la concurrence internationale, et donc un seul moyen pour garder et conquérir de nouvelles positions, notamment dans la sphère financière : la pression sur les salaires, l’emploi, et les budgets publics.
  • 2005-2007 : les traités constitutionnels simplifiés doivent donner une traduction politique juridique et institutionnelle à ces décisions néolibérales-« les graver dans le marbre »..Un exemple supplémentaire que le néolibéralisme « ce n’est pas moins d’Etat et plus de marché … c’est plus exactement mieux d’Etat pour plus de marchés ». ; des lois, des décrets, des règlements pour façonner les grands marchés.. Ce sont les cadres étatiques ou para étatiques qui donnent les moyens socio-économiques pour accroitre les taux de profits…
  • Nous pouvons dire qu’il ya une nouvelle étape dans la construction européenne depuis la crise de 2007-2008, avec la dimension européenne de la crise globale que connait le système capitaliste à l’échelle internationale, avec un basculement du monde où la place de l’Europe recule : la part de l’Europe dans le PIB mondial recule. Elle passe de plus de 30% en 2007 à 23 % en 2012 avec une longue phase de récession, des exigences de la concurrence mondiale qui conduisent les classes dominantes à mettre en cause ce qui reste du modèle social-salaires, sécurité sociale ,droit du travail, services publics-, explosion de la dette publique nourrie par la récession. Cela dans le cadre, de ce qu’on appelle des « trajectoires dissymétriques » des économies européennes avec un bloc hégémonique-Allemagne/pays du Nord, une zone périphérique au sud –Grèce /Portugal, Espagne, y compris dans des rapports semi coloniaux dans le cas de la Grèce/ , une autre zone périphérique semi intégrée à l’ économie allemande, avec les pays de l’Est, et une zone intermédiaire, charnière avec la France et l’Italie. Pour souligner le caractère dissymétriques ; rappelons les rapports entre les 160 milliards d’excédents commerciaux allemands et les 70 milliards de déficit français. En arrière plan du gonflement des excédents commerciaux et des profits allemands dans la décennie 2000, il y a, sur la base d’une industrie à forte densité technologique, une offensive de classe contre les travailleurs allemands qui a contribué à accroître la profitabilité des firmes et à améliorer la compétitivité des exportations allemandes au prix de la hausse très rapide du nombre de travailleurs pauvres. Sur le plan externe, un des aspects les plus spectaculaires a été l’absorption de la périphérie est-européenne dans les chaînes globales de marchandises. La quasi-totalité de l’activité industrielle dans ces pays est désormais dominée par les multinationales, en particulier allemandes, qui ont trouvé à proximité immédiate de leur base industrielle une main d’œuvre à bas coût.


III. Premières leçons de ce demi-siècle d’histoire : des continuités et discontinuités.

Continuités depuis le traité de Rome sur la «concurrence libre et non faussée », des institutions qui favorisent le libre marché et donc réduisent tout ce qui est intervention publique qui limite le marché- d’où la part des plus limitées du budget européen, l’absence de politiques sociales ou de politiques industrielles européennes…L’Europe est consubstantiellement néolibérale.

Continuité avec une architecture institutionnelle qui prive l’Europe  d’un fonctionnement démocratique. Le processus d’intégration européenne est fondamentalement marqué par l’expérience de l’entre-deux guerres et la persistance d’un problème central pour la bourgeoisie : contrer « l’intrusion des masses dans les relations capitalistes». 

Et discontinuités au travers des différentes phases historiques, où le rôle et les prérogatives nationales passent, progressivement au second plan : on passe du compromis de Luxembourg -le droit de veto de chaque Etat membre- à la mise en œuvre de politiques décidées à la majorité qualifiée, à la monnaie unique, et la banque centrale dominée par les choix des classes dominantes.

On peut analyser les transformations de l’UE jusqu’à aujourd’hui comme le produit combiné de l’action des Etats-Nations, de la pression des groupes financiers, bancaires et industriels, et des institutions communautaires elles-mêmes, au premier rang desquelles on trouve bien sûr la Commission, dont la croissance bureaucratique se nourrit du rôle qu’elle remplit  
L’UE n’est pas devenue un ensemble politiquement intégré. Elle ne peut être pas pour autant  être réduite à une simple construction intergouvernementale. L’UE est une construction hybride qui est une "réponse" aux processus de mondialisation du capital pour autant qu’on admette que celle-ci se développe dans des formes politiquement déterminées, particulièrement en Europe, où les Etats-nations ont pris la forme la plus achevée.

Là, je voudrais tout de suite balayé un argument qui est contredit par l’histoire, à savoir, « Ce sont les institutions européennes qui décident et imposent leur politiques aux gouvernements nationaux ». L’histoire le montre : ce sont les choix des classes dominantes nationales et des gouvernements nationaux qui ont fait l’Europe et se sont saisis de cette espace pour valoriser leurs capitaux, leurs économies dans l’économie monde.

IV. Débats sur la dynamique de la construction européenne.

IV.1 Retour sur les positions d’Ernest Mandel : intégration, capitalisme, Etat européen?

Sur les 50 dernières années la construction européenne a-t-elle progressé ou s’est elle enlisée, du point de vue des classes dominantes. ?…Quelle est la dynamique

  • Voyons l’approche d’Ernest Mandel dans les années 70 et les débats de l’époque

Ernest Mandel mettait en rapport la construction européenne avec le processus de constitution d’un capital européen. « L’alternative sera ou bien la tendance à l’interpénétration européenne des capitaux l’emportera donnant quelque chance de concurrencer avec succès les USA ou bien L’Europe des six va se décomposer en des nationalismes économiques de plus en plus en plus étroits laissant le champ libre à une inévitable mainmise des USA sur le camp capitaliste tout entier. » Et il continue en se référant à Marx à ses lois sur la concurrence qui impose la concentration du capital. Et il explique « La poussée vers l’interpénétration des capitaux européens prédomine très largement sur la tendance à la concentration dans le cadre national » .Et plus loin, tablant sur la constitution d’un capital européen, EM explique « qu’un capital européen exige un Etat bourgeois européen en tant qu’instrument le plus apte à le promouvoir , à en garantir les profits et à le défendre contre tous ses adversaires ».

  • Mandel, analysant le mouvement d’internationalisation du capital et soulignant la persistance des rivalités inter-impérialistes (contre la thèse du super impérialisme, impérialisme US), estimait que la constitution d’un Etat bourgeois fédéral ou supranational était l’hypothèse possible voire probable pour la CEE. La création de cet Etat fédéral Européen résulterait d’une interpénétration croissante des capitaux Européens, qui constituerait en quelque sorte leur "base nationale européenne" à laquelle devrait correspondre une forme étatique. Dans ces années 70, Nicos Poulantzas opposait une autre thèse. Il développe une position symétrique, il met l’accent sur la dépendance Européenne vis-à-vis des Etats-Unis car ce pays reproduit au sein même des autres métropoles (au sens de pays développés) ses propres rapports de production. De ce fait, les Etats Européens deviennent des vecteurs de l’extension des rapports de production des Etats-Unis : cette thèse qui sous estime les contradictions inter-impérialistes ne s’est pas vérifiée , avec la persistance d’une « entité européenne » et avec l’émergence de nouvelles puissances impérialistes, avec la Chine , les BRIC etc.
  • Néanmoins la vision d’Ernest Mandel s’est révélée un peu linéaire :

Le cadre national s’est révélé trop étroit pour le développement des forces productives, l’histoire l’a prouvé. Sur ce point Mandel a eu raison. Selon l’approche mandélienne, la domination du capital étatsunien contraint les classes capitalistes nationales des États européens à se réorganiser sous peine d’être éliminées.

Comme l’espace de l’État-nation est trop restreint pour permettre de bénéficier des avantages que procurent les économies d’échelle, la recomposition de la propriété des grandes firmes capitalistes a lieu au niveau continental. Cette amalgamation pousse alors à un processus de supranationalisation de certaines des fonctions de l’État.
Le cadre européen a constitué un nouvel espace pour la valorisation des grandes entreprises et groupes nationaux européens, mais ne s’est pas constitué un capitalisme européen. Il n’y a pas de capitalisme proprement européen. Il y a des capitalismes européens. Les plus grosses entreprises ou banques européenne sont croisées avec des entreprises américaines ou de pays émergents –Arcelor Mital, par exemple. Cette tendance est constatée dans l’industrie automobile, les grands groupes pharmaceutiques. Il y a des grands consortiums comme EADS face à Boeing mais c’est l’exception. Les divergences entre l’Allemagne et les autres pays sur les relations avec la Chine sur le photovoltaïque en sont aussi un exemple. Il n’y a pas d’unité économique proprement européenne, l’hypothèse de Mandel ne s’est pas vérifiée. Il n’y a pas eu la constitution d’une grande industrie européenne mais c’est au travers au travers du capital financier transnational, qu’il ya eu une certaine intégration européenne. Le changement d’échelle de la propriété du capital européen est donc l’occasion d’une transformation qualitative qui livre l’appareil productif européen aux marchés financiers. 
On aurait pu croire que l’Europe voulait dire capitalisme européen, intérêts capitalistes communs et donc un certain protectionnisme capitaliste européen. Non, la phase actuelle de la construction européenne est totalement plongée dans la globalisation capitaliste, et dans la concurrence mondiale, qui explose même au sein de l’Europe. Ce qui domine ce n’est pas l’unification d’un marché du travail européen mais l’unification du marché du travail à l’échelle mondiale, avec des pressions et un dumping à l’intérieur même de l’Union européenne , en commençant par les pays de l’est nouvellement intégrés qui tirent vers le bas les salaires et les droits sociaux européens… …  Du coup, le capitalisme-avec des grandes entreprises et grands groupes industriels- proprement européen n’existant pas il n’y a pas d’Etat bourgeois européen en tant que tel, contrairement à la prévision de Mandel. Il ya plutôt des segments d’Etats mais pas de politique militaire ni de politique étrangère de l’Union européenne.
IV.3 Une Europe anti-démocratique.

Mais du coup la logique qui l’emporte, c’est celle de la concurrence libre et non faussée des marchés et des capitaux, pas l’objectif de construire une Europe politique, encore moins une Europe démocratique.… Chaque bourgeoisie a besoin de l’Europe mais surtout de conquérir de nouvelles positions sur le marché mondial.. Et l’Europe n’est que ce vecteur pour occuper la meilleure place dans la globalisation capitaliste. L’Europe a été jusque là plus l’affaire d’élites étatiques et capitalistes financières que d’une bourgeoisie «développementiste»-qui à l’heure de la globalisation capitaliste n’a plus de fondement. . Les classes dominantes ne sont pas plus soucieuses de constituer « une démocratie parlementaire européenne ».Du coup la démocratie est absente de cette construction. L’Europe n’est pas souveraine…Ses décisions sont celles du conseil des gouvernements –coordination des 28-d’ECOFIN-conseil des responsables économiques des Etats et de la commission européenne-.Le parlement européen n’a que des pouvoirs tout à fait limités. Plus avec la crise, les interventions autoritaires, celle de la troïka, avec la Commission européenne, le FMI et la Banque mondiale, se multiplient en imposant des diktats aux peuples et aux gouvernements, dans leur remboursement de la dette ou des politiques d’austérité. Ce que certains appellent des formes de césarisme bureaucratique. Les exemples les plus violents se manifestent en Grèce, à Chypre ou au Portugal.

V. Eléments et questions de programme V.1 Sur le plan socio économique Sur le plan programmatique il faut essayer de formuler un programme de revendications sociales et démocratiques qui s’inscrit dans la perspective des Etats unis socialistes d’Europe….. C’est compliqué car il n’y a pas la même approche entre le Nord de l’Europe et le centre et sud. La G-B est ailleurs… le Nord est contre toute Europe, le Sud et le Centre essaye d’avancer dans une problématique plus européenne. Mais notre approche est d’opposer à la construction européenne actuelle, à l’UE ou à son impossible réforme, une autre Europe, une Europe sociale démocratique.

L’Europe reste l’espace où peut se redéployer une réorganisation économique qui réponde aux besoins sociaux des populations , par une nouvelle organisation et division du travail, qui prenne en compte une transition énergétique au service des peuples, une expropriation des banques actuelles et la constitution d’un grand secteur public bancaire, sous contrôle des citoyens, une annulation des dettes publiques des Etats, une politique de santé, d’éducation , de réorganisation des services publics… Cela conduit à la rupture avec les politiques et les institutions actuelles, la dénonciation des traités, car avec son histoire, ses politiques néolibérales ses et ses institutions , l’ UE n’est pas réformable ;Mais nous ne confondons pas l’UE et l’Europe ; il faut en finir avec l’ UE, mais la réponse ce n’est pas le repli national, c’est une autre Europe, c’est pourquoi nous ne partageons pas les positions de  Maxime Durand sur le fait de « suspendre l’Europe »….C’est pourquoi nous formulons, aussi, un programme de transition anticapitaliste à l’échelle européenne. Nous pouvons dans ce sens, reprendre ce qu’il y a de meilleur dans chaque pays, en termes de revendications ou de législations et le généraliser. Nous sommes pour construire une Europe sociale en harmonisant par le haut les droits sociaux et démocratiques. Cela en termes de protection sociale et de salaires. On nous objecte les différences de niveaux de développement économique ; Cela demandera des étapes, des propositions intermédiaires, mais l’important c’est la direction. Prenons l’exemple des salaires nous sommes pour un salaire minimum européen en l’ajustant sur le salaire le plus haut, alors me direz vous, il y a de telles différences entre la Grèce, le Portugal où le niveau de salaire minimum est de 400 à 450 euros et la France où il s’élève à 1430 euros et en plus, il y a des différences de productivité entre le Portugal, la Grèce et l’Allemagne, aggravés par la crise. Ces objectifs sont irréalisables, nous dit-on Nous sommes pour reprendre le problème à la base, et tendre à donner le même niveau de vie à l’ensemble des salariés, des travailleurs du continent en nous opposant à toutes les remises en cause d’acquis sociaux et en tirant vers le haut les conditions de travail et de vie des peuples.… Nous pouvons donc  raisonner en parité de pouvoir d’achat , donc, calculer des augmentations de salaires en fonction de ce qu’on peut acheter avec une somme donnée dans chaque pays..mais cela implique aussi des propositions pour combler les inégalités par  une politique d’annulation des dettes publiques illégitimes, une fiscalité commune, des taxes sur les profits des grandes multinationale, des grands travaux et services publics, une nouvelle division du travail… et donc des incursions dans la propriété des secteurs clé de l’économie… il faut pour cela un changement radical de rapport de forces mais les formulations générales d’un programme vont au delà de rapports de forces donnés dans une situation politique donnée….Voilà sur le plan social 

V.2 Sur le plan démocratique

Nous avons aussi des propositions démocratiques qui sont transitoires. D’abord par l’arrêt des politiques décidées par les gouvernements  et institutions de l’ UE et imposées aux peuples.   ». La première exigence démocratique, c’est l’arrêt des diktats imposés par les gouvernements et l’UE -j’insiste sur les gouvernements-…Ces exigences démocratiques doivent s’accompagner d’un programme de rupture  par la défense d’une série de droits démocratiques pour les peuples, de droits pour les immigrés, et les sans papiers, de droits pour les femmes , en particulier le droit à l’avortement libre et gratuit dans toute l’Europe-rappelons que ce droit n’existe pas dans certains pays-Irlande, Pologne- bref une politique de défense et d’extension des droits démocratiques en défendant des élections à la proportionnelle. Cette démarche s’accompagne d’une proposition d’un processus concrétisé par l’élection d’une assemblée constituante européenne. qui ne soit pas l’équivalent d’une Constituante nationale mais une Constituante européenne qui définisse, avec les assemblées nationales, les droits et les mécanismes démocratiques au niveau local, régional, national et européen-bref, ce qui relève de chaque niveau-….Et dans ce processus constituant nous défendrons nos propositions de démocratie socialiste, d’assemblées élues au suffrage universel dans les communes et les entreprises, et la défense d’un programme de défense des revendications sociales anticapitalistes dans la perspective d’Etats unis socialistes d’Europe.

Mais y a-t-il une nation européenne ? Nous n’avons jamais considéré l’Europe comme une nation devant se constituer en Etat -nation comme les Etats-nations du 18 et 19èmes siècle. Nous n’avons jamais considéré qu’il y a un peuple européen. L’Europe doit respecter et intégrer les souverainetés nationales mais elle doit constituer un nouveau cadre historique pour les peuples et donc procéder de nouvelles souverainetés sociales et démocratiques. Les marxistes révolutionnaires en avançant l’idée d’ « Etats au pluriel » donnent une indication. Mais il y a aussi de nouvelles revendications nationales avec l’émergence de revendications pour l’autodétermination ou l’indépendance, comme en Catalogne ou en Flandres. Nous défendons le principe d’autodétermination et d’indépendance si la majorité l’exige et nous proposons, par exemple dans le cadre de l’Etat espagnol, « une république confédérale socialiste rassemblant toutes les nations et régions de l’Etat espagnol ». Dans ce cadre, l’autodétermination, nous avançons un programme anti- capitaliste. D’ailleurs toutes les formulations des socialistes révolutionnaires sur l’Europe souligne la notions d’ »Etats unis » non la négation de ces Etats. VI. Questions stratégiques et Europe. VI.1 Relations entre le cadre national et le cadre européen. Quelle combinaison entre le développement de l’action sur le terrain national et européenne ? C’est une des questions stratégiques clé. Car la révolution commence sur le terrain national mais avec le degré d’intégration actuelle européenne on doit avoir une politique à ce niveau ;

Voyons comment E. Mandel posait le problème dans le début des années 70 « La classe ouvrière n’a aucune raison de sacrifier à l’étape actuelle son objectif traditionnel, la prise de pouvoir dans le cadre national, à l’illusion d’une prise de pouvoir « simultanée » dans les pays de la « Communauté Européenne », ou chose plus illusoire à la « socialisation » de l’Europe par le biais d’un parlement européen élu au suffrage universel ». Les différences historiques entre les structures sociales et les mouvements ouvriers se traduisent par des rapports de forces entre classes qui sont variables selon les pays, ce qui entraîne des possibilités différenciées de conquête du pouvoir par les classes ouvrières. Il reprend l’approche de Léon Trotski contre « l’internationalisme attentiste ». Mandel insiste alors sur le fait que l’internationalisme ne consiste pas à attendre que les conditions soient mûres pour la prise du pouvoir dans les différents pays au même moment : « les socialistes doivent continuer à travailler au renversement du capitalisme dans leur propre pays au sein du marché commun, aussi longtemps que cela reste objectivement possible». Cependant, lorsque le processus aura atteint le point « où les travailleurs des six pays feront effectivement face à une nouvelle classe “européenne” d’employeurs, l’entièreté de la lutte pour le socialisme devra se hisser à cette nouvelle dimension internationale ». Sans  « Etat européen ni classe bourgeoise européenne » au singulier, il n’en demeure pas moins que l’espace européen est de venu un cadre d’intégration économique  et politique pour les bourgeoisies  et le cadre pour poser une série de réponses à la crise et aux nécessités de  réorganisation de l’économie et de la coopération internationale pour répondre aux besoins des populations. On n’a pas à suspendre ce cadre européen.

VI.2 Crise et question de l’Euro

 Mais nous devons répondre au  développement inégal de la crise et des luttes de classes. Le problème se pose de manière aigue en Grèce. Prenons l’hypothèse d’un gouvernement des gauches qui refuse les Mémorendum de la Troika et défend un programme au service de la population, donc le refus des mesures d’austérité, un processus d’annulation de la dette, la réorganisation publique du secteur bancaire. Il s’engage inévitablement une confrontation et un processus de rupture avec l’union européenne. C’est le mot d’ordre avancé par Syriza, jusqu’ à maintenant : « Pas de sacrifice pour l’Euro ».Doit il prendre l’initiative de sortir de l’Euro ? Nous ne le pensons pas : d’abord pour une raison générale, la monnaie est un moyen, pas un but. Le but: c’est la satisfaction des besoins, des revendications. Ensuite sortir de l’Euro en continuant de respecter la logique capitaliste ne peut avoir que des conséquences désastreuses pour l’économie, dévaluation massive, problème de concurrence internationale vue le niveau de développement de ces pays, mais l’application d’un programme anti austérité, peut conduire à l’expulsion du pays de l’UE, même si c’est difficile juridiquement. Se pose donc la nécessité de préparer l’éventualité d’une expulsion…

La question se pose d’une autre manière dans les centres européens. Face à l’Euro, il y a un autre rapport de forces au sein de l’Union Européenne, entre la France et l’Allemagne qu’entre les pays du Nord et du Sud. Une rupture entre l’Allemagne et la France provoquerait simultanément la fin de l’UE. Ainsi, un gouvernement des travailleurs prendrait immédiatement des mesures unilatérales (contrôle des mouvements des capitaux, expropriation des banques) et proposerait leur élargissement. Il mettrait fin à l’indépendance de la Banque de son pays et commencerait de fait à émettre des Euros pour financer sa politique. Le processus de rupture avec la zone Euro serait de fait entamé. La politique monétaire et de crédit aurait comme fil directeur, là aussi l’approche de la gauche radicale: « Pas un seul sacrifice pour l’euro ».

Si tout s’embrase en même temps, tant mieux, mais sinon il ne doit pas y avoir de subordination de la dynamique progressiste d’un pays au respect des équilibres de l’Union européenne.

De façon générale, un gouvernement au service des travailleurs devrait engager des actions unilatérales de réorientation de l’économie et de la société et d’amélioration immédiate des conditions de vie des couches populaires dont il proposerait l’extension à l’ensemble de l’Europe. Enfin, un tel processus aura des phases de négociations mais il ne se ferait pas sans affrontements majeurs, et ce seraient les rapports de force qui seraient décisifs. Il faut une dialectique entre une stratégie nationale et une stratégie européenne, avec la formulation de revendications et programme à l’échelle européenne, des actions coordonnées et des formes d’organisations au niveau européen. Il y aurait une protection des mesures progressistes d’un tel gouvernement au niveau national et une stratégie d’extension de l’expérience nationale.-annulation unilatérale des dettes, contrôle sur le mouvement des capitaux, réorganisation bancaire et stratégie d’extension de l’expérience et des mesures progressistes. Il faut sortir du dilemme ou « UE » ou « sortie de l’ Euro ». Nous rejetons l’UE et nous refusons la sortie de l’Euro. Il faut donc avancer sur le plan des réponses européennes et de la construction d’un mouvement ouvrier européen, et l’essentiel c’est d’avancer sur le plan de l’action, de la pratique, de la construction d’une conscience socialiste européenne des travailleurs, par des luttes et coordinations européennes. Il reste beaucoup à faire, d’autant plus dans une Europe où se renforcent les tendances nationalistes.

Pour donner quelques éléments en conclusion.

On voit que la construction européenne n’est pas un phénomène conjoncturel ou aléatoire. C’est un processus économique et politique qui correspond aux tendances de développement capitaliste moderne au dépassement du cadre national du développement des forces productives, aux processus de concentration du capital, aux modalités d’insertion des capitalismes européens dans la globalisation capitaliste. 

De même cela correspond à la constitution de regroupements régionaux de marchés capitalistes dans le monde entier. Il y a des contradictions, des tensions mais cela correspond à une tendance de fond. Néanmoins, les contradictions actuelles du type de construction européennes peuvent s’aiguiser sous la pression d’autres facteurs internes et externes économiques ou politiques D’abord sous la pression de la crise durable qui secoue le monde capitaliste. La question de la dette peut à un certain moment faire exploser l’UE, si les remboursements de la dette deviennent impossibles et si l’Union ne peut répondre au problème comme union, les intérêts divergents des Etats membres rendant impossible une solution, notamment dans les divergences Allemagne et Sud de l’Europe. Jusqu’ à maintenant ça tient, mais s’il n’y a pas de solution de remboursement de la dette ou moins partiel mais substantiel… ça peut craquer.. Sur le plan politique, le choix de l’ UE est largement partagé , aujourd’hui par toutes les classes dominantes du continent -l’approche commune des crises nationales, en Grèce , en Europe du sud ou la manière de traiter la crise politique italienne le démontre- ; Mais il peut y avoir, des « accidents », des « dérapages » résultant du développement de la crise. Il n’y a pas de déterminismes entre choix économiques rationnels et crises politiques. Il peut y avoir des contradictions explosives avec la projection de partis d’extrême droite au pouvoir dans des alliances avec la droite ou dans l’évolution vers des régimes autoritaires … ou l’explosion de questions nationales…sans compter des situations révolutionnaires mais ce n’est pas aujourd’hui l’hypothèse la plus probable…Et là l’UE peut aussi craquer.

Novembre 2013, François Sabado