Difference between revisions of "L'impérialisme, stade le plus élevé du capitalisme"

From 4EDU
Jump to navigation Jump to search
(Created page with "Extraits de L'impérialisme, stade le plus élevé du capitalisme, V.I.Lênin (1916-1917) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp6.htm I.LA CONCEN...")
 
 
Line 4: Line 4:
https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp6.htm
https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp6.htm


I.LA CONCENTRATION DE LA PRODUCTION ET LES MONOPOLES
'''I.LA CONCENTRATION DE LA PRODUCTION ET LES MONOPOLES'''
(…) Il y a un demi-siècle, quand Marx écrivait son Capital, la libre concurrence apparaissait à l'immense majorité des économistes comme une "loi de la nature". La science officielle tenta de tuer par la conspiration du silence l'oeuvre de Marx, qui démontrait par une analyse théorique et historique du capitalisme que la libre concurrence engendre la concentration de la production, laquelle, arrivée à un certain degré de développement, conduit au monopole. Maintenant, le monopole est devenu un fait. Les économistes accumulent des montagnes de livres pour en décrire les diverses manifestations, tout en continuant à déclarer en choeur que "le marxisme est réfuté". Mais les faits sont têtus, comme dit le proverbe anglais, et, qu'on le veuille ou non, on doit en tenir compte. Les faits montrent que les différences existant entre les pays capitalistes, par exemple, en matière de protectionnisme ou de libre-échange, ne déterminent que des variations insignifiantes dans la forme des monopoles ou dans la date de leur apparition, tandis que la naissance des monopoles, conséquence de la concentration de la production, est une loi générale et essentielle du stade actuel de l'évolution du capitalisme.
(…) Il y a un demi-siècle, quand Marx écrivait son Capital, la libre concurrence apparaissait à l'immense majorité des économistes comme une "loi de la nature". La science officielle tenta de tuer par la conspiration du silence l'oeuvre de Marx, qui démontrait par une analyse théorique et historique du capitalisme que la libre concurrence engendre la concentration de la production, laquelle, arrivée à un certain degré de développement, conduit au monopole. Maintenant, le monopole est devenu un fait. Les économistes accumulent des montagnes de livres pour en décrire les diverses manifestations, tout en continuant à déclarer en choeur que "le marxisme est réfuté". Mais les faits sont têtus, comme dit le proverbe anglais, et, qu'on le veuille ou non, on doit en tenir compte. Les faits montrent que les différences existant entre les pays capitalistes, par exemple, en matière de protectionnisme ou de libre-échange, ne déterminent que des variations insignifiantes dans la forme des monopoles ou dans la date de leur apparition, tandis que la naissance des monopoles, conséquence de la concentration de la production, est une loi générale et essentielle du stade actuel de l'évolution du capitalisme.
(…)
(…)


II.LES BANQUES ET LEUR NOUVEAU ROLE
'''II.LES BANQUES ET LEUR NOUVEAU ROLE'''
Mieux peut-être que de longs développements, ces simples chiffres montrent comment la concentration des capitaux et l'accroissement des opérations bancaires modifient radicalement le rôle joué par les banques. Les capitalistes épars finissent par ne former qu'un seul capitaliste collectif. En tenant le compte courant de plusieurs capitalistes, la banque semble ne se livrer qu'à des opérations purement techniques, uniquement subsidiaires. Mais quand ces opérations prennent une extension formidable, il en résulte qu'une poignée de monopolistes se subordonne les opérations commerciales et industrielles de la société capitaliste tout entière; elle peut, grâce aux liaisons bancaires, grâce aux comptes courants et à d'autres opérations financières, connaître tout d'abord exactement la situation de tels ou tels capitalistes, puis les contrôler, agir sur eux en élargissant ou en restreignant, en facilitant ou en entravant le crédit, et enfin déterminer entièrement leur sort, déterminer les revenus de leurs entreprises, les priver de capitaux, ou leur permettre d'accroître rapidement les leurs dans d'énormes proportions, etc.
Mieux peut-être que de longs développements, ces simples chiffres montrent comment la concentration des capitaux et l'accroissement des opérations bancaires modifient radicalement le rôle joué par les banques. Les capitalistes épars finissent par ne former qu'un seul capitaliste collectif. En tenant le compte courant de plusieurs capitalistes, la banque semble ne se livrer qu'à des opérations purement techniques, uniquement subsidiaires. Mais quand ces opérations prennent une extension formidable, il en résulte qu'une poignée de monopolistes se subordonne les opérations commerciales et industrielles de la société capitaliste tout entière; elle peut, grâce aux liaisons bancaires, grâce aux comptes courants et à d'autres opérations financières, connaître tout d'abord exactement la situation de tels ou tels capitalistes, puis les contrôler, agir sur eux en élargissant ou en restreignant, en facilitant ou en entravant le crédit, et enfin déterminer entièrement leur sort, déterminer les revenus de leurs entreprises, les priver de capitaux, ou leur permettre d'accroître rapidement les leurs dans d'énormes proportions, etc.


III.LE CAPITAL FINANCIER ET L'OLIGARCHIE FINANCIERE
'''III.LE CAPITAL FINANCIER ET L'OLIGARCHIE FINANCIERE'''
"Une part toujours croissante du capital industriel, écrit Hilferding, n'appartient pas aux industriels qui l'utilisent. Ces derniers n'en obtiennent la disposition que par le canal de la banque, qui est pour eux le représentant des propriétaires de ce capital. D'autre part, force est à la banque d'investir une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l'industrie. Elle devient ainsi, de plus en plus, un capitaliste industriel. Ce capital bancaire -c'est-à-dire ce capital-argent- qui se transforme ainsi en capital industriel, je l'appelle "capital financier". "Le capital financier est donc un capital dont disposent les banques et qu'utilisent les industriels."
"Une part toujours croissante du capital industriel, écrit Hilferding, n'appartient pas aux industriels qui l'utilisent. Ces derniers n'en obtiennent la disposition que par le canal de la banque, qui est pour eux le représentant des propriétaires de ce capital. D'autre part, force est à la banque d'investir une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l'industrie. Elle devient ainsi, de plus en plus, un capitaliste industriel. Ce capital bancaire -c'est-à-dire ce capital-argent- qui se transforme ainsi en capital industriel, je l'appelle "capital financier". "Le capital financier est donc un capital dont disposent les banques et qu'utilisent les industriels."
Cette définition est incomplète dans la mesure où elle passe sous silence un fait de la plus haute importance, à savoir la concentration accrue de la production et du capital, au point qu'elle donne et a déjà donné naissance au monopole. Mais tout l'exposé de Hilferding, en général, et plus particulièrement les deux chapitres qui précèdent celui auquel nous empruntons cette définition, soulignent le rôle des monopoles capitalistes.
Cette définition est incomplète dans la mesure où elle passe sous silence un fait de la plus haute importance, à savoir la concentration accrue de la production et du capital, au point qu'elle donne et a déjà donné naissance au monopole. Mais tout l'exposé de Hilferding, en général, et plus particulièrement les deux chapitres qui précèdent celui auquel nous empruntons cette définition, soulignent le rôle des monopoles capitalistes.


IV. L'EXPORTATION DES CAPITAUX
'''IV. L'EXPORTATION DES CAPITAUX'''
Ce qui caractérisait l'ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, c'était l'exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c'est l'exportation des capitaux.
Ce qui caractérisait l'ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, c'était l'exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c'est l'exportation des capitaux.
Le capitalisme, c'est la production marchande, à son plus haut degré de développement, où la force de travail elle-même devient marchandise. L'extension des échanges tant nationaux qu'internationaux, surtout, est un trait distinctif caractéristique du capitalisme. Le développement inégal et par bonds des différentes entreprises, des différentes industries et des différents pays, est inévitable en régime capitaliste. Devenue capitaliste la première, et adoptant le libre-échange vers le milieu du XIXe siècle, l'Angleterre prétendit au rôle d'"atelier du monde entier", de fournisseur en articles manufacturés de tous les pays, qui devaient, en échange, la ravitailler en matières premières. Mais ce monopole, l'Angleterre commença à le perdre dès le dernier quart de ce siècle. D'autres pays, qui s'étaient défendus par des tarifs douaniers "protecteurs", devinrent à leur tour des Etats capitalistes indépendants. Au seuil du XXe siècle, on vit se constituer un autre genre de monopoles : tout d'abord, des associations monopolistes capitalistes dans tous les pays à capitalisme évolué; ensuite, la situation de monopole de quelques pays très riches, dans lesquels l'accumulation des capitaux atteignait d'immenses proportions. Il se constitua un énorme "excédent de capitaux" dans les pays avancés.
Le capitalisme, c'est la production marchande, à son plus haut degré de développement, où la force de travail elle-même devient marchandise. L'extension des échanges tant nationaux qu'internationaux, surtout, est un trait distinctif caractéristique du capitalisme. Le développement inégal et par bonds des différentes entreprises, des différentes industries et des différents pays, est inévitable en régime capitaliste. Devenue capitaliste la première, et adoptant le libre-échange vers le milieu du XIXe siècle, l'Angleterre prétendit au rôle d'"atelier du monde entier", de fournisseur en articles manufacturés de tous les pays, qui devaient, en échange, la ravitailler en matières premières. Mais ce monopole, l'Angleterre commença à le perdre dès le dernier quart de ce siècle. D'autres pays, qui s'étaient défendus par des tarifs douaniers "protecteurs", devinrent à leur tour des Etats capitalistes indépendants. Au seuil du XXe siècle, on vit se constituer un autre genre de monopoles : tout d'abord, des associations monopolistes capitalistes dans tous les pays à capitalisme évolué; ensuite, la situation de monopole de quelques pays très riches, dans lesquels l'accumulation des capitaux atteignait d'immenses proportions. Il se constitua un énorme "excédent de capitaux" dans les pays avancés.
(…)Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l'excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l'exportation de capitaux à l'étranger, dans les pays sous-développés. Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. Les possibilités d'exportation de capitaux proviennent de ce qu'un certain nombre de pays attardés sont d'ores et déjà entraînés dans l'engrenage du capitalisme mondial, que de grandes lignes de chemins de fer y ont été construites ou sont en voie de construction, que les conditions élémentaires du développement industriel s'y trouvent réunies, etc. La nécessité de l'exportation des capitaux est due à la "maturité excessive" du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements "avantageux" font défaut au capital.  
(…)Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l'excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l'exportation de capitaux à l'étranger, dans les pays sous-développés. Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. Les possibilités d'exportation de capitaux proviennent de ce qu'un certain nombre de pays attardés sont d'ores et déjà entraînés dans l'engrenage du capitalisme mondial, que de grandes lignes de chemins de fer y ont été construites ou sont en voie de construction, que les conditions élémentaires du développement industriel s'y trouvent réunies, etc. La nécessité de l'exportation des capitaux est due à la "maturité excessive" du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements "avantageux" font défaut au capital.  


VI. LE PARTAGE DU MONDE ENTRE LES GRANDES PUISSANCES
'''VI. LE PARTAGE DU MONDE ENTRE LES GRANDES PUISSANCES'''
Le capital financier ne s'intéresse pas uniquement aux sources de matières premières déjà connues. Il se préoccupe aussi des sources possibles; car, de nos jours, la technique se développe avec une rapidité incroyable, et des territoires aujourd'hui inutilisables peuvent être rendus utilisables demain par de nouveaux procédés (à cet effet, une grande banque peut organiser une expédition spéciale d'ingénieurs, d'agronomes, etc.), par l'investissement de capitaux importants. Il en est de même pour la prospection de richesses minérales, les nouveaux procédés de traitement et d'utilisation de telles ou telles matières premières, etc., etc. D'où la tendance inévitable du capital financier à élargir son territoire économique, et même son territoire d'une façon générale. De même que les trusts capitalisent leur avoir en l'estimant deux ou trois fois sa valeur, en escomptant leurs bénéfices "possibles" dans l'avenir (et non leurs bénéfices actuels), en tenant compte des résultats ultérieurs du monopole, de même le capital financier a généralement tendance à mettre la main sur le plus de terres possible, quelles qu'elles soient, où qu'elles soient, et par quelques moyens que ce soit, dans l'espoir d'y découvrir des sources de matières premières et par crainte de rester en arrière dans la lutte forcenée pour le partage des derniers morceaux du monde non encore partagés, ou le repartage des morceaux déjà partagés.
Le capital financier ne s'intéresse pas uniquement aux sources de matières premières déjà connues. Il se préoccupe aussi des sources possibles; car, de nos jours, la technique se développe avec une rapidité incroyable, et des territoires aujourd'hui inutilisables peuvent être rendus utilisables demain par de nouveaux procédés (à cet effet, une grande banque peut organiser une expédition spéciale d'ingénieurs, d'agronomes, etc.), par l'investissement de capitaux importants. Il en est de même pour la prospection de richesses minérales, les nouveaux procédés de traitement et d'utilisation de telles ou telles matières premières, etc., etc. D'où la tendance inévitable du capital financier à élargir son territoire économique, et même son territoire d'une façon générale. De même que les trusts capitalisent leur avoir en l'estimant deux ou trois fois sa valeur, en escomptant leurs bénéfices "possibles" dans l'avenir (et non leurs bénéfices actuels), en tenant compte des résultats ultérieurs du monopole, de même le capital financier a généralement tendance à mettre la main sur le plus de terres possible, quelles qu'elles soient, où qu'elles soient, et par quelques moyens que ce soit, dans l'espoir d'y découvrir des sources de matières premières et par crainte de rester en arrière dans la lutte forcenée pour le partage des derniers morceaux du monde non encore partagés, ou le repartage des morceaux déjà partagés.
L'exportation des capitaux trouve également son intérêt dans la conquête des colonies, car il est plus facile sur le marché colonial (c'est parfois même le seul terrain où la chose soit possible) d'éliminer un concurrent par les moyens du monopole, de s'assurer une commande, d'affermir les "relations" nécessaires, etc.
L'exportation des capitaux trouve également son intérêt dans la conquête des colonies, car il est plus facile sur le marché colonial (c'est parfois même le seul terrain où la chose soit possible) d'éliminer un concurrent par les moyens du monopole, de s'assurer une commande, d'affermir les "relations" nécessaires, etc.

Latest revision as of 11:19, 11 August 2021

Extraits de L'impérialisme, stade le plus élevé du capitalisme, V.I.Lênin (1916-1917)

https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp6.htm

I.LA CONCENTRATION DE LA PRODUCTION ET LES MONOPOLES (…) Il y a un demi-siècle, quand Marx écrivait son Capital, la libre concurrence apparaissait à l'immense majorité des économistes comme une "loi de la nature". La science officielle tenta de tuer par la conspiration du silence l'oeuvre de Marx, qui démontrait par une analyse théorique et historique du capitalisme que la libre concurrence engendre la concentration de la production, laquelle, arrivée à un certain degré de développement, conduit au monopole. Maintenant, le monopole est devenu un fait. Les économistes accumulent des montagnes de livres pour en décrire les diverses manifestations, tout en continuant à déclarer en choeur que "le marxisme est réfuté". Mais les faits sont têtus, comme dit le proverbe anglais, et, qu'on le veuille ou non, on doit en tenir compte. Les faits montrent que les différences existant entre les pays capitalistes, par exemple, en matière de protectionnisme ou de libre-échange, ne déterminent que des variations insignifiantes dans la forme des monopoles ou dans la date de leur apparition, tandis que la naissance des monopoles, conséquence de la concentration de la production, est une loi générale et essentielle du stade actuel de l'évolution du capitalisme. (…)

II.LES BANQUES ET LEUR NOUVEAU ROLE Mieux peut-être que de longs développements, ces simples chiffres montrent comment la concentration des capitaux et l'accroissement des opérations bancaires modifient radicalement le rôle joué par les banques. Les capitalistes épars finissent par ne former qu'un seul capitaliste collectif. En tenant le compte courant de plusieurs capitalistes, la banque semble ne se livrer qu'à des opérations purement techniques, uniquement subsidiaires. Mais quand ces opérations prennent une extension formidable, il en résulte qu'une poignée de monopolistes se subordonne les opérations commerciales et industrielles de la société capitaliste tout entière; elle peut, grâce aux liaisons bancaires, grâce aux comptes courants et à d'autres opérations financières, connaître tout d'abord exactement la situation de tels ou tels capitalistes, puis les contrôler, agir sur eux en élargissant ou en restreignant, en facilitant ou en entravant le crédit, et enfin déterminer entièrement leur sort, déterminer les revenus de leurs entreprises, les priver de capitaux, ou leur permettre d'accroître rapidement les leurs dans d'énormes proportions, etc.

III.LE CAPITAL FINANCIER ET L'OLIGARCHIE FINANCIERE "Une part toujours croissante du capital industriel, écrit Hilferding, n'appartient pas aux industriels qui l'utilisent. Ces derniers n'en obtiennent la disposition que par le canal de la banque, qui est pour eux le représentant des propriétaires de ce capital. D'autre part, force est à la banque d'investir une part de plus en plus grande de ses capitaux dans l'industrie. Elle devient ainsi, de plus en plus, un capitaliste industriel. Ce capital bancaire -c'est-à-dire ce capital-argent- qui se transforme ainsi en capital industriel, je l'appelle "capital financier". "Le capital financier est donc un capital dont disposent les banques et qu'utilisent les industriels." Cette définition est incomplète dans la mesure où elle passe sous silence un fait de la plus haute importance, à savoir la concentration accrue de la production et du capital, au point qu'elle donne et a déjà donné naissance au monopole. Mais tout l'exposé de Hilferding, en général, et plus particulièrement les deux chapitres qui précèdent celui auquel nous empruntons cette définition, soulignent le rôle des monopoles capitalistes.

IV. L'EXPORTATION DES CAPITAUX Ce qui caractérisait l'ancien capitalisme, où régnait la libre concurrence, c'était l'exportation des marchandises. Ce qui caractérise le capitalisme actuel, où règnent les monopoles, c'est l'exportation des capitaux. Le capitalisme, c'est la production marchande, à son plus haut degré de développement, où la force de travail elle-même devient marchandise. L'extension des échanges tant nationaux qu'internationaux, surtout, est un trait distinctif caractéristique du capitalisme. Le développement inégal et par bonds des différentes entreprises, des différentes industries et des différents pays, est inévitable en régime capitaliste. Devenue capitaliste la première, et adoptant le libre-échange vers le milieu du XIXe siècle, l'Angleterre prétendit au rôle d'"atelier du monde entier", de fournisseur en articles manufacturés de tous les pays, qui devaient, en échange, la ravitailler en matières premières. Mais ce monopole, l'Angleterre commença à le perdre dès le dernier quart de ce siècle. D'autres pays, qui s'étaient défendus par des tarifs douaniers "protecteurs", devinrent à leur tour des Etats capitalistes indépendants. Au seuil du XXe siècle, on vit se constituer un autre genre de monopoles : tout d'abord, des associations monopolistes capitalistes dans tous les pays à capitalisme évolué; ensuite, la situation de monopole de quelques pays très riches, dans lesquels l'accumulation des capitaux atteignait d'immenses proportions. Il se constitua un énorme "excédent de capitaux" dans les pays avancés. (…)Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l'excédent de capitaux est consacré, non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné, car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes, mais à augmenter ces profits par l'exportation de capitaux à l'étranger, dans les pays sous-développés. Les profits y sont habituellement élevés, car les capitaux y sont peu nombreux, le prix de la terre relativement bas, les salaires de même, les matières premières à bon marché. Les possibilités d'exportation de capitaux proviennent de ce qu'un certain nombre de pays attardés sont d'ores et déjà entraînés dans l'engrenage du capitalisme mondial, que de grandes lignes de chemins de fer y ont été construites ou sont en voie de construction, que les conditions élémentaires du développement industriel s'y trouvent réunies, etc. La nécessité de l'exportation des capitaux est due à la "maturité excessive" du capitalisme dans certains pays, où (l'agriculture étant arriérée et les masses misérables) les placements "avantageux" font défaut au capital.

VI. LE PARTAGE DU MONDE ENTRE LES GRANDES PUISSANCES Le capital financier ne s'intéresse pas uniquement aux sources de matières premières déjà connues. Il se préoccupe aussi des sources possibles; car, de nos jours, la technique se développe avec une rapidité incroyable, et des territoires aujourd'hui inutilisables peuvent être rendus utilisables demain par de nouveaux procédés (à cet effet, une grande banque peut organiser une expédition spéciale d'ingénieurs, d'agronomes, etc.), par l'investissement de capitaux importants. Il en est de même pour la prospection de richesses minérales, les nouveaux procédés de traitement et d'utilisation de telles ou telles matières premières, etc., etc. D'où la tendance inévitable du capital financier à élargir son territoire économique, et même son territoire d'une façon générale. De même que les trusts capitalisent leur avoir en l'estimant deux ou trois fois sa valeur, en escomptant leurs bénéfices "possibles" dans l'avenir (et non leurs bénéfices actuels), en tenant compte des résultats ultérieurs du monopole, de même le capital financier a généralement tendance à mettre la main sur le plus de terres possible, quelles qu'elles soient, où qu'elles soient, et par quelques moyens que ce soit, dans l'espoir d'y découvrir des sources de matières premières et par crainte de rester en arrière dans la lutte forcenée pour le partage des derniers morceaux du monde non encore partagés, ou le repartage des morceaux déjà partagés. L'exportation des capitaux trouve également son intérêt dans la conquête des colonies, car il est plus facile sur le marché colonial (c'est parfois même le seul terrain où la chose soit possible) d'éliminer un concurrent par les moyens du monopole, de s'assurer une commande, d'affermir les "relations" nécessaires, etc. La superstructure extra-économique qui s'érige sur les bases du capital financier, ainsi que la politique et l'idéologie de ce dernier, renforcent la tendance aux conquêtes coloniales. "Le capital financier veut non pas la liberté, mais la domination" dit fort justement Hilferding. Dès l'instant qu'il est question de politique coloniale à l'époque de l'impérialisme capitaliste, il faut noter que le capital financier et la politique internationale qui lui est conforme, et qui se réduit à la lutte des grandes puissances pour le partage économique et politique du monde, créent pour les Etats diverses formes transitoires de dépendance. Cette époque n'est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l'indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d'une dépendance financière et diplomatique. Nous avons déjà indiqué une de ces formes : les semi-colonies. En voici une autre, dont l'Argentine, par exemple, nous offre le modèle. (…) Référons-nous à l'historien Driault, qui, dans son livre Problèmes politiques et sociaux de la fin du XIXe siècle, au chapitre sur les grandes puissances et le partage du monde, s'est exprimé en ces termes : "Dans ces dernières années, sauf en Chine, toutes les places vacantes sur le globe ont été prises par les puissances de l'Europe ou de l'Amérique du Nord : quelques conflits se sont produits et quelques déplacements d'influence, précurseurs de plus redoutables et prochains bouleversements. Car il faut se hâter : les nations qui ne sont pas pourvues risquent de ne l'être jamais et de ne pas prendre part à la gigantesque exploitation du globe qui sera l'un des faits essentiels du siècle prochain (le XXe). C'est pourquoi toute l'Europe et l'Amérique furent agitées récemment de la fièvre de l'expansion coloniale, de "l'impérialisme", qui est le caractère le plus remarquable de la fin du XIXe siècle." Et l'auteur ajoutait : "Dans ce partage du monde, dans cette course ardente aux trésors et aux grands marchés de la terre, l'importance relative des Empires fondés en ce siècle, le XIXe, n'est absolument pas en proportion avec la place qu'occupent en Europe les nations qui les ont fondés. Les puissances prépondérantes en Europe, qui président à ses destinées, ne sont pas également prépondérantes dans le monde. Et comme la grandeur coloniale, promesse de richesses encore non évaluées, se répercutera évidemment sur l'importance relative des Etats européens, la question coloniale, "l'impérialisme", si l'on veut, a modifié déjà, modifiera de plus en plus les conditions politiques de l'Europe elle-même "[J. E. Driault, "Problemes Politiques et sociaux", París, 1907, pág. 299].