La liberation des femmes en Philippinnes
Rapport Philippines, séminaire femmes, Amsterdam, juillet 2006
LE MOUVEMENT DE LIBERATION DES FEMMES : L’EXPERIENCE AUX PHILIPPINES
1. Introduction/Contenu du Rapport Ce rapport essaie de tracer les activités menées par le mouvement de libération des femmes au niveau national mais il se concentre surtout sur les activités du Parti, spécifiquement au Mindanao pendant la période révolutionnaire, dirigées par le Parti Marxiste-Léniniste.
Bien que ce rapport essaie de retracer les activités historiques à l’intérieur du mouvement révolutionnaire, il ne s’y limite pas et il ne peut éviter de mentionner les activités importantes et la formation d’organisations de femmes indépendantes qui ne sont pas dirigées par un parti et qui ont contribué d’une manière ou d’une autre au mouvement femmes du pays.
La dernière partie de ce rapport parle plus en détail du travail femmes au Mindanao, plus spécialement après la division dans le mouvement national-démocratique au début des années 90. Cette partie parle donc des réalités au Mindanao, dans lequel on est confronté au fait que le Mindanao est composé de trois peuples – les Lumads (peuples indigènes), les Moro et les colons, en majorité Chrétiens – ce qui a fortement influencé notre ligne de marche/tactique dans le mouvement des femmes.
On ne pouvait pas non plus éviter de comparer notre travail femme avec ce qui se passe dans le mouvement des femmes au niveau national.
2. Une brève histoire du mouvement des femmes dans le pays. Le début historique de mouvement des femmes aux Philippines est bien décrit par plusieurs militantes des Philippines (spécifiquement Aida Santos, Sylvia, Estrada, Claudio dans “ Mouvements des Femmes et Mouvements Sociaux : conjonctures et divergences “ ) qui ont d’abord, nous avons supposé, été très actifs dans le mouvement national-démocratique et qui se révèlent très critiques par rapport au comportement du mouvement des femmes dans le pays, son orientation, ses approches, ses directions. En relisant ces écrits, et en regardant notre propre expérience très limitée dans le mouvement des femmes, nous sommes en accord avec les différents points discutés dans cet article.
Comme il est écrit dans ce document, l’origine du mouvement des femmes se trouve dans la période coloniale espagnole (18ème siècle) avec des personnalités femmes proéminentes (comme Melchora Aquino et Gregoria de Jesus) qui ont participé et soutenu le mouvement révolutionnaire anti-espagnol. Pour citer, “ces femmes n’étaient pas motivées par un sentiment pro-femmes ou un féminisme cru … mais par un sens profond de patriotisme ou d’amour pour leur pays.” Si on regarde de plus près ce type de participation des femmes dans les luttes anticoloniales, ce sont les femmes à la base représentée par la guerrière Gabriela Silang et par beaucoup d’autres dont les livres d’histoire passent sous silence.
A cette époque le Katipunan (l’organisation révolutionnaire) ne se préoccupait pas des questions féministes. A partir de là, avec le début du développement du mouvement ouvrier, il y a la formation d’un mouvement des femmes, avec des femmes travailleuses rejointes plus tard par quelques femmes des élites. Elles se préoccupaient surtout de la santé des femmes et des enfants, de la santé reproductive et du droit de vote des femmes. Il y a peut-être encore beaucoup d’histoires hautes en couleur des activités et des actions de protestation des femmes pendant cette période féodale qui n’avaient jamais été rapportées à cette époque, comme le montrent clairement les exemples de Maria Clara et de Sisa dans nos livres d’histoire écrits par José Rizal. Après plus de 400 ans de domination féodale par la colonisation espagnole, les relations familiales de genre entre hommes et femmes ont continué même après, durant la reprise des affaires du pays par les Américains. Cette situation existante est renforcée davantage par les enseignements de l’Eglise, les Philippines étant le seul pays chrétien en Extrême-Orient grâce à nos maîtres coloniaux. Pendant la période coloniale américaine, un mouvement pour le droit de vote parmi les femmes philippines de l’élite, la plupart venant des classes moyennes et supérieures, a été soutenu par les autorités américaines pour faire dévier les luttes anti-américaines qui continuaient. Dans la discussion sur le droit de vote, on discutait s’il ne fallait pas réserver le droit de vote des femmes aux femmes éduquées de l’élite. C’était e mouvement national démocratique dirigé par Katipunan qui avait réussi à mettre en avant le droit de vote universel. Mais parce que la révolution du Katipunan a été inachevée, les questions femmes ne se sont pas développées.
3. Le mouvement des femmes pendant la période anti-dictatoriale et le mouvement démocratique national. On n’a pas beaucoup écrit sur le mouvement des femmes après l’affaiblissement de la révolution démocratique nationale menée par Katipunan, ni suite à la Guerre Japonaise (Deuxième Guerre mondiale), jusqu’à sa réapparition la fin des années 60 sous la direction du Parti communiste philippin de l’époque. Les femmes militantes avaient le sentiment que si la révolution de 1896 était inachevée, c’était également le cas pour la libération des femmes.
Pendant la dictature de Marcos, il y a eu une grande réorganisation du mouvement national-démocratique, le Parti avait mis sur pied un Sécrétariat femmes, responsable en 1969 pour la construction de MAKIBAKA (Malayang Kilusan nga Kababaihan) une organisation femmes autonome, dans le but de s’occuper des questions femmes de plus en plus nombreuses, elles ont organisé des crèches pour les travailleuses surtout dans le secteur des services et dans le commerce des grands centres urbains. La propagande anti-féministe et les accusations d’être occidentalisées, bourgeoises, lesbiennes et anti-mâles ont alors fusé, même de la part des camarades dans le mouvement révolutionnaire.
Mais cet effort a été de courte durée, avec l’instauration de la loi martiale, MAKIBAKA est entré dans la clandestinité. On a changé le nom de Malaya en Makabayan, ce qui signalait une réorientation d’un mouvement autonome en une aile du Front national-démocratique. Dans les statuts on affirme explicitement en ce qui concerne l’orientation sexuelle, que les membres femmes peuvent avoir des orientations sexuelles différentes.
Dans d’autres formations politiques apparaissaient également des courants féministes. En 1975, les femmes actives de HUKBALAHAP organisaient le Katipunan ng Bagong Pilipina (KABAPA) avec une constitution teintée du féminisme du tiers-monde et qui s’attaque aux questions nationales, de classe et de genre avec comme objectif l’égalité, le développement, la paix, la liberté et le bonheur des enfants. Elles menaient de grandes campagnes pour le retrait des bases US des Philippines.
En 1981, différentes travailleuses du développement social venant de partout dans le pays, ont fondé une organisation autonome des femmes appelée PILIPINA. L’autonomie provenait du constat que “les dictats des dirigeants mâles de gauche affaiblissent les femmes et les mouvements des femmes”. Plus tard, les dirigeantes de PILIPINA ont fondé le réseau de femmes d’action pour le développement (WAND) et aussi le Abanse Pinay, le premier parti politique de femmes à avoir un siège en tant que représentante de secteur au Congrès Philippin.
En 1983, au sommet de la dictature de Marcos, s’est constitué le Katipunan ng Kababaihan Para sa Kalayaan (KALAYAAN). Son orientation rejetait la primauté de la lutte des classes et appelait à la formation d’un mouvement autonome des femmes dans le cadre national-démocratique, il se disait “féministe” et essayait d’avoir le soutien du dirigeant du mouvement national-démocratique, José Maria Sison. C’est devenu une coalition large de femmes provenant de courants politiques différents y compris avec des positions politiques neutres. Les critères pour être membres sont: s’opposer aux bases américaines et pour le droit à l’avortement (« pro-choice »). En essayant d’avancer et de concrétiser leur travail sur la “question femmes”, elles ont dû subir des critiques dures de la part de camarades masculins, du genre : le féminisme c’est la politique des classes moyennes et de la bourgeoisie, c’est très occidentalisé et pas enraciné dans le mouvement démocratique local, l’appel pour l’autonomie allait les faire dévier du but primordial de la lutte des classes, c’est anti-mâle et diviserait le mouvement). Des accusations disant qu’il s’agissait simplement de femmes et de camarades malheureuses étaient proférées envers les dirigeantes. Des efforts pour garantir une ligne politique correcte étaient faits par le mouvement national-démocratique, qui proposait la création d’un collectif politique au sein de l’organisation, mais les dirigeantes de celle-ci ont refusé de suivre.
GABRIELA ( Assemblée Générale des Femmes se Liant Ensemble) a été fondé en 1984 comme un front unique large contre la dictature de Marcos. Là, le défi était d’articuler les questions féministes, qui avaient besoin d’être précisées et approfondies, plutôt que de seulement intégrer les questions femmes dans une perspective politique dominante d’orientation de classe. Des questions sur les processus organisationnels se posent et aussi des questions sur la façon dont la coalition est dirigée. Il y avait des divergences non résolues et le nombre de membres diminuait fortement, seules les organisations sectorielles de base des paysans, des travailleurs et des pauvres des villes appartenants au courant démocratique national sont restées.
A la fin des années 1980 se sont formés d’autres groupes femmes, dont la plupart furent initié de manière indépendante à partir de blocs ou des mouvements sociaux qui se concentraient sur des thèmes spécifiques. Trois remarques générales sont à faire en ce qui concerne cette tendance, qui se poursuivait, à se concentrer sur des thèmes spécifiques:
1) il y avait un besoin de traduire la compréhension théorique féministe
en actions concrètes;
2) l’approche qui se concentre sur des thèmes précis était nécessaire
parce que les femmes voulaient mettre l’accent sur des questions féministes;
3) l’intérêt de donateurs pour les questions du genre a aussi poussé un
nombre de groupes femmes à construire des programmes s’adressant à ces questions.
Le résultat était la multiplication d’instituts et d’organisations femmes dans tout le pays qui s’adressaient aux problèmes sectoriels tels que les femmes dans les zones rurales, dans les communautés urbaines pauvres, les femmes migrantes. Elles essaient de répondre aussi bien aux besoins économiques qu’au demandes féministes.
En 1987 est fondé le DSWP (Femmes Socialistes Démocratiques des Philippines, Democratic Socialist Women of the Philippines) qui est très actif contre la mondialisation néolibérale. En 1994 a émergé SARILAYA qui se préoccupe des questions de sécurité alimentaire et du développement durable. Une autre organisation est SIBOL qui a élaboré et imposé le vote de lois contre le viol et la violence à l’encontre des femmes et des enfants, appuyée par le soutien massif d’autres groupes femmes.
Tous ces groupes femmes se concentrent sur les questions femmes, certaines ont adopté une analyse socialiste féministe de l’économie et affirment que la libération des femmes de l’oppression patriarcale ne peut se réaliser sans la libération du peuple entier de l’oppression impérialiste et vice versa.
Comparé aux années 1960, l’intervention impérialiste rapide dans le pays dans le cadre du projet néolibéral, a changé profondément le paysage socio-économique et politique. Pour certains dirigeants du mouvement national-démocratique, surtout des cadres au Mindanao, ces changements ont provoqué des questionnements sur comment faire avancer la révolution dans la phase d’une intervention impérialiste intense. Des débats sur le mode de production dans le pays et sur ses conséquences stratégiques ont été avancés par certains cadres auprès de la direction. Ceci a provoqué encore plus de questions et de débats à l’intérieur des organisations du parti au niveau national, et finalement ceci a résulté en une scission.
4. La période des scissions dans la gauche La mise en question de l’orientation du Parti concernant une analyse, des stratégies et des approches correctes sur la manière de faire avancer la révolution dans la situation actuelle, ont été le point de déclenchement de la scission. Nous-mêmes, membres d’organisations du Parti dans différentes régions du Mindanao, nous étions d’accord pour poser ce type de questions au début, mais nous ne nous attendions pas à cette scission au niveau organisationnel comme résultat. On s’attendait à une approche professionnelle et mature de la part du Parti. C’est peut-être pour cette raison que nous n’étions pas prêts à cette époque à assumer une scission et une autre orientation. On s’attendait à ce que le Parti (PCP, Parti Communiste des Philippines) finirait par comprendre l’importance des questions posées à la direction. Mais le résultat a été tout autre. En effet, un mémorandum “réaffirmant les principes de base et rectifiant les erreurs” a circulé au niveau national et, ceux qui le ne suivaient pas, seraient considérés comme révisionnistes et contre-révolutionnaires. Pendant plus d’un an, plusieurs cadres ont exigé un débat démocratique mais la direction a agi avec une poigne de fer sur ce point, ce qui a finalement été la cause de la scission.
Ainsi, en croyant toujours dans la justesse de la continuation de la lutte pour le changement social, nous avons dû chercher les liens corrects et la solidarité. On a essayé de se regrouper avec ceux qui avaient les mêmes questions et la même vision. Mais cela a été un processus long et fastidieux. Beaucoup de cadres étaient démoralisés et mécontents, ce qui a résulté en une perte massive de cadres permanents dans tous les aspects du travail du parti. A la fin, on a dû s’y mettre tous seuls et chercher la solidarité de ceux qui avaient la même vision. C’est peut-être pour cela qu’on a bâti des liens avec la IV.
Pour certains cadres révolutionnaires qui rejetaient le maoïsme du PCP, la période de la scission a été une période noire. Pour autant qu’on s’en souvienne, certains dirigeants du groupe étaient toujours à la recherche de l’analyse correcte et des directions révolutionnaires. Cela nous donnait, comme militants de base, la possibilité de lire d’autres livres que les ML, d’avoir des lectures théoriques et des opinions à partir de différents points de vue. Certains d’entre nous se réalisaient que certaines théories et certains principes avaient été omis de façon implicite parce qu’ils étaient en contradiction avec les stratégies formulées et l’approche pour faire avancer la révolution national-démocratique.
Immédiatement après la scission, toutes les sphères du travail du Parti avaient été affecté profondément, y compris le travail femmes. A un certain moment, on ne savait ni quoi faire, ni vers où aller, ni à quoi s’attendre et comment continuer la lutte dans laquelle on avait été engagées et à laquelle on avait consacré tous nos efforts. Ce stade, qu’on appelait “un tâtonnement dans le noir”, cherchant des directions et des solidarités, a été vécu par nous tous. La cause en est peut-être que, pendant la période de notre engagement direct dans la mouvement national-démocratique, on n’était pas exposé à des écoles de pensée et des orientations différentes ou peut-être parce qu’on ne pouvait pas le faire de peur d’être taxé de révisionniste, diviseur, contre-révolutionnaire etc. etc. et etc…
Mais la lutte doit continuer. Il fallait continuer dans différentes sphères de travail malgré le manque d’une orientation correcte et adéquate, également dans le travail femmes.
Pendant la période de la scission dans le mouvement national-démocratique, différents groupes et organisations femmes ont émergé là où des ONG’s et des organisations du peuple (OP’s) avaient travaillé sur des problèmes concrets. Il y avait des efforts pour faire accepter des questions féministes à travers la formation de comissions ou de secrétariats femmes. Au sein de la bureaucratie, l’instauration d’études féministes dans certains collèges et universités et des études sur le genre, sont devenu une stratégie. Un certain nombre de féministes académiques et d’avocates des droits de l’homme devenaient conseillères des programmes gouvernementaux sur le genre. Ces différents efforts dans le travail femmes continuent jusqu’à maintenant avec des groupes et des blocs politiques effectuant du travail femmes.
Des questions comme la sexualité, les droits reproductifs, la violence contre les femmes, le trafic sexuel, les prostituées,ont soulevé de larges débats et des campagnes au niveau national avec différentes organisations femmes ont obtenu des résultats positifs. On a même voté des lois en réponse aux demandes fortes de ces groupes femmes concernant la violence contre les femmes et les enfants. Le gouvernement a été forcé de créer des services et des instances pour appliquer ces lois, malgré leurs faibles moyens. Mettre le genre comme question centrale a été à l’ordre du jour même au niveau des bureaux et des programmes du gouvernement.
5. Le Mouvement des femmes:l’expérience du Mindanao, réalités et
perspectives
Le mouvement des femmes au Mindanao est intimement lié au développement du mouvement des femmes dans le pays et en même temps il est aussi fortement influencé par le développement du mouvement au niveau mondial.
Le Mindanao, avec une économie à prédominance agricole fortement contrôlée par l’impérialisme, se compose de trois peuples – les Moros, les Lumads et les colons/Philippins chrétiens, majoritaires – qui ont tous les trois leur propre tradition, culture et affiliation religieuse dont il faut tenir compte pour creuser la question des femmes. Vu son mode de production capitaliste inégal et mal développé, le travail des femmes se situe également à des niveaux différents de développement et de participation.
Pour nous du RPMM (Parti révolutionnaire des travailleurs du Mindanao) l’orientation et la conduite de notre travail femmes a été fortement influencé par l’orientation et la direction proposé par le mouvement national-démocratique. La présentation historique des expériences au niveau national ont été l’unique expérience pour nous au Mindanao. C’est seulement après la scission qu’on a appris et compris l’orientation socialiste-féministe après l’établissement de liens avec la IVe Internationale et par nos études dans les années 1990. Pendant un certain temps nous avions continué avec notre travail femmes, en essayant de comprendre cette nouvelle orientation dans le contexte des réalités et des perspectives du Mindanao.
Dans notre travail femmes nous prenons en compte le fait qu’il y a trois peuples au Mindanao. L’organisation sectorielle des femmes, plus spécialement parmi les colons chrétiens, est aussi une de nos approches. Il y a des agriculteurs, des pêcheurs, les pauvres des villes et le mouvement des femmes travailleuses que ce soit dans les syndicats, parmi les travailleuses des services, les ouvrières agricoles et les semi-prolétaires. Les types d’organisations vont des organisations femmes non-mixtes, aux collectifs femmes dans les organisations mixtes chez les trois peuples et dans les différents secteurs.
Les objectifs immédiats et à long terme et les objectifs de la construction d’organisations femmes à différents niveaux varient. Cela dépend beaucoup des besoins et problèmes auxquels sont confrontées les femmes dans les régions, les peuples, les secteurs et les types de travail différents. Cela va des problèmes purement “femmes” aux problèmes de l’écologie, des droits humains et des problèmes économiques qui sont pris en main par ces organisations femmes. Les questions femmes comme la sexualité, les droits reproductifs et l’avortement sont lentement intégrées dans notre travail éducatif et nos campagnes tout en tenant bien compte des réalités de chaque peuple. Pour pouvoir être acceptées et respectées chez les différents peuples, les femmes organisatrices doivent dès le début tenir compte de l’origine ethnique, des coutumes, des traditions et même des affiliations religieuses.
Aujourd’hui, le travail femme a dû s’orienter vers l’organisation des femmes travailleuses migrantes, y compris leurs familles, dont le nombre augmente d’année en année. A cause de la pauvreté et de l’augmentation du chômage, surtout à la campagne, les femmes rurales et aussi celles des communautés urbaines, essaient par tous les moyens d’aller travailler comme personnel de maison à l’étranger. Cette tendance vers l’émigration et l’argent renvoyé par les travailleurs émigrés représente en ce moment, selon les estimations nationales, plus de 40% du PNB des Philippines. Ceci pose un grand défi pour le Parti, comment organiser les migrants Philippins qui travaillent partout dans le monde.
La plupart des femmes du Mindanao travaillent comme aide ménagère au Moyen-Orient. Des organisations de migrants ont posé les problèmes de la protection des droits du travail et du bien-être de ces femmes travailleuses migrantes. Des cas de viol, de mauvais traitements, différents cas d’harcèlement sexuel, des salaires trop bas ou non-payés, ce sont des problèmes auxquels sont confronté(e)s les travailleur(e)s migrant(e)s. Il y a eu même des cas célèbres de viol, de mauvais traitement et de meurtre qui ont attiré l’attention du grand public et des pays hôtes, ce qui a résulté dans des mobilisations. Cette situation est devenue un grand défi pour le gouvernement et le mouvement des femmes, c’est-à-dire comment creuser ces tendances et ces problèmes.
A côté de la construction d’organisations femmes, les groupes femmes ont également construit des institutions qui offrent des services aux femmes, par exemple des refuges pour des femmes battues et leurs enfants, des services de conseil et des services juridiques. Des programmes, des services et des projets sur la santé, la nourriture, l’alphabétisation des adultes, des campagnes contre la violence envers les femmes, le trafic des femmes et des projets de survie économique sont les activités principales de ces organisations femmes et de ces institutions.
La guerre qui continue et les problèmes de la paix posés au Mindanao sont un grand défi surtout pour les femmes qui sont les plus touchées par cette guerre. Plusieurs organisations révolutionnaires font la guerre contre le gouvernement. Il y a eu de temps en temps des confrontations pas uniquement avec les groupes révolutionnaires mais également avec des groupes de mécontents que le gouvernement qualifie de « terroristes ». Dans une situation de guerre, c’est le plus souvent les femmes qui ont la charge du soin des familles (enfants) la recherche de nourriture et des moyens d’existence pour ne pas parler de l’harcèlement subi surtout s’il s’agit de femmes de révolutionnaires. Ces femmes sont violées lors d’opérations militaires. Il y a eu récemment le cas d’un viol par un soldat américain qui participait au projet “Balikatan” – des exercices conjoints du gouvernement des Philippines et de soldats américains sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
Les organisations et groupes femmes participent sous différentes formes et à différents niveaux aux problèmes politiques et aux campagnes. Des organisations et des groupes femmes ont été très actives et certaines ont été à l’initiative de mouvements pour la paix, de campagnes concernant l’environnement et d’autres mouvements sociaux.
Il y a eu des groupes femmes et des femmes individuelles qui ont participé aux élections et au travail législatif. Pendant des années l’arène électorale était réservée à l’élite et aux hommes. Mais avec la participation directe des organisations de masse dans la lutte électorale, des organisations ont réussi à proposer des candidates pour les organes législatifs, comme Abanse Pinay, Gabriela et des femmes d’Akbayan. Tisser des réseaux, faire du lobbying et mettre en avant les questions femmes et les problèmes de la paix et du développement, voilà le travail qui est fait consciemment par ces organisations. En ce moment, les organisations femmes sont très actives au sujet du Charter Change, où des articles progressistes de la Constitution avaient été rayé dans le projet de nouvelle Constitution. Il y a aussi la campagne pour le fédéralisme qui gagne du terrain au Mindanao comme alternative au Charter Change.
Nos défis et nos perspectives. Au niveau idéologique, l’orientation et la formation socialiste-féministes sont lentement intégrées dans notre capacité à construire des activités pour ces groupes femmes. Pour l’organisation du Parti au Mindanao, le problème est comment concrétiser et actualiser l’orientation socialiste-féministe dans les organisations femmes qu’il influence et dont il s’occupe.
Même après l’établissement de liens avec la IV, surtout dans ses apports théoriques aux organisations du Parti au Mindanao, certains cadres ont eu des difficultés à concrétiser ces apports théoriques, surtout en ce qui concerne la question femmes. Des difficultés à discuter à fond sur la sexualité et sur le patriarcat, surtout parmi les camarades hommes. Il faut avoir une bonne dose de réflexion et d’ingéniosité pour organiser des discussions et mener des campagnes sur ces sujets, surtout à la base, parce que la majorité des gens ne connaissent pas ces idées et ces positions radicales ou parce que les pratiques existantes interdisent ou empêchent la discussion libre. Les coutumes, les traditions et l’affiliation religieuse doivent être pris en compte avec soin quand on discute de ce type de problèmes.
Si un des éléments majeurs de la libération des femmes est la question de la sexualité et du patriarcat, alors l’organisation du Parti au Mindanao doit redoubler ses efforts pour augmenter le niveau de conscience et pour concrétiser cela dans la pratique et ceci doit commencer avec les membres en général.
Le défi de la construction d’organisations de femmes autonomes, de groupes et de collectifs dans une organisation mixte, reste constant de même que l’incorporation de l’orientation féministe dans le programme de formation théorique.
Un autre aspect est le problème de l’émigration qui a fortement touché les trois peuples du Mindanao.
Construire des relations de travail et de coopération avec d’autres groupes féministes, avec d’autres blocs et courants sur des thèmes féministes et des campagnes, c’est le défi de tous les jours, comment surmonter une longue décade de désunion parmi les secteurs progressistes de la classe ouvrière, ce qui a aussi un effet dans la progression de la lutte anti-impérialiste et du mouvement pour le changement social.
Appendices
SUR LA SITUATION DES FEMMES MORO
1. Femmes musulmanes pauvres et dans les régions de conflit armé.
- au Mindanao 70% des naissances se passent à la maison
- 88% au ARMM (Autonomous Region of Muslim Mindanao – Région autonome de Mindanao musulman)
- 84% dans la péninsule de Zamboanga - en 2005 il y a eu entre janvier et août 24.563 de familles déplacées soit
154.536 personnes
- pendant que les femmes s’enfuient, il y a des cas de fausses couches et de
mortalité maternelle
- le cas de Nur aina (voir plus loin) - abolition des hilots , sages-femmes traditionnelles - des cas de viol sur des femmes en prison - moins d’inscriptions dans les écoles cette année et ses implications pour les
femmes Moro
- le chômage parmi les musulmans en général - en 2005, 4709 déportations du Sabah en tout juste trois mois
2. Questions sur les traditions culturelles et les croyances.
- femmes en politique - mutilation sexuelle - codification des traditions Tausug - les morts d’honneur - questions du voile, l’expérience MSU - des scandales sexuels - la mortalité maternelle et la croyance qu’une femme qui meurt en couches
va directement au ciel
3. Les campagnes actuelles.
- la fatwa sur le planning familial - les amendements à la Sharia: polygamie, Khuluq, héritage, wali
4. Questions et défis.
- le commentaire de badjao - fausses idées sur le féminisme
MOUVEMENTS NATIONAUX INDÉPENDANTS
Thèmes et campagnes:
1. Avortement - création d’un réseau qui discute ouvertement du droit à l’avortement - problèmes après l’avortement, soucis par rapport aux prestataires de
service,des articles à sensation sur un fœtus retrouvé, mais personne ne se demande qui est la mère
- affiche sur “le danger de l’avortement” - disponibilité des produits/herbes abortifs traditionnels - nécessité de différencier la position par rapport au droit l’avortement:
soins post-avortement, décriminalisation de l’avortement, conditions pour permettre l’avortement, l’avortement en tant que droit absolu
2.Le cas de viol à Subic - l’intervention du gouvernement Arroyo - l’attitude les peuples de Zamoanga par rapport à ce cas
3. Violence contre les femmes - les barangays ont eux-mêmes adopté des mécanismes pour s’en sortir - les affiches
4. Commercialisation des corps des femmes et images - les vidéos musicaux des Philippines - les publicités “nakatikim ka nab a ng kinse anyos?” (avez-vous goûté à une qui a 15 ans ?)
5. Contraception - la pilule du lendemain - vers le bannissement du stérilet - le manque de disponibilité des contraceptifs - la déclaration de Dayrit que le contrôle démographique n’est pas l’affaire du
gouvernement
- la décision de l’Eglise de refuser la communion aux femmes ayant fait
poser un stérilet
6. Sur la question des LGBT - ils sont bien acceptés par la société - « coming-out » de célébrités - le show télévisé “Out!”
CHAUVINISME RELIGIEUX, CONFLIT ARMÉ ET SANTÉ REPRODUCTIVE DES FEMMES MUSULMANES DE BASILAN.
Par Sitti Djalia Turabin-Hataman Présenté à la 10ième conférence nationale de l’ICPD 4-6 octobre 2005, Manila, Heritage Hotel
La province de Basilan est une île à 30 minutes par bateau de Zamboanga City . Sa surface est d’environ 1.279 km2 avec une population totale de 332.828 personnes (chiffres de 2000). Malgré sa beauté, ses ressources et sa culture, Basilan est surtout connue pour une seule chose: le groupe extrémiste de Abu Sayyaf. Depuis qu’il sème la terreur à partir du début des années 90, l’île autrefois sous-développée mais paisible et calme, est devenue une des provinces les plus pauvres du pays et le champ de bataille entre les militaires et Abu Sayyaf.
Ce sort tragique de la province est encore aggravé par la réponse du gouvernement face à cette situation. La militarisation est déjà en soi une mauvaise chose mais couplée à une diminution du budget attribué, cela donne une province qui se meurt. Le Mindanao, dont fait parti Basilan, a reçu à peine 100,7 milliards de Pesos soit 13,90% du budget national. En 2002, le chiffre tombe à 92,93 milliards ou 11,90% et finalement en 2003 Mindanao ne recevait que 84,86 milliards, un maigre 10,55% du budget national. Cette somme est répartie entre les différentes villes et provinces de la région, dont beaucoup sont parmi les plus pauvres du pays, déchirées par la guerre avec environ un demi-million d’évacué(e)s à nourrir. Bienvenu à Basilan, bienvenu au Mindanao.
Les femmes de Basilan ( Meh Karendehan Si Basilan)
Sur base des chiffres de 2000, 60% de la population totale de Basilan est constituée de femmes, et 69.894 de ces femmes sont en âge de procréer. La majorité de ces femmes sont musulmanes et en tant que telles, elles doivent mener une triple lutte.
Dans la culture extrêmement patriarcale des Moros, elle lutte pour réaffirmer ses droits en tant que femme. Dans une province accablée par la guerre, elle lutte pour maintenir sa famille en vie. Dans un pays où les musulmans sont des citoyens de seconde zone, elle lutte contre les discriminations tout en luttant pour préserver son identité en tant que musulmane. En effet, la lutte est un mot trop familier pour une femme musulmane du Basilan.
En 2000, au moins 3.207 familles ont été déplacées à cause des opérations armées et des confrontations entre les militaires et des éléments sans loi dans la province. En 2001 le nombre a augmenté jusqu’au chiffre énorme de 15.650 familles avec 74.630 de personnes dépendantes, ce qui veut dire 15.650 femmes qui prennent soin de 74.630 enfants, en construisant un foyer dans le petit espace assigné à sa famille dans les zones d’évacuation, en cherchant de la nourriture pour sa famille, soignant enfants ou mari malades ou peut-être blessés, et les autres femmes pleurant la perte tragique d’un être aimé. Finalement, c’est elle qui souffre le plus, c’est elle qui paie pour les coûts misérables de la guerre.
Quelle santé reproductive? En vue de la situation décrite ci-dessus des femmes musulmanes de Basilan, on peut comprendre que leur santé personnelle est le moindre de leurs soucis. Sa santé reproductive est encore plus ignorée et souvent elle-même n’en est pas consciente.
Des interview récentes de travailleurs de la santé dans la province ont pourtant révélé une autre perspective sur comment les femmes musulmanes font face aux problèmes de la santé reproductive. Même si on ne peut pas exclure l’hypothèse mise en avant, il y a une différence significative avec ce qu’on attendait à priori. Elles sont conscientes des problèmes et elles exigent des solutions.
Presque tous les travailleurs de la santé, infirmières ou sages-femmes dans des centres de santé locaux expriment la même opinion. La demande de méthodes de planning familial est écrasante. Chaque jour un nombre croissant de femmes visitent les centres de santé et demandent des préservatifs, la pilule, l’insertion du stérilet, des injections de Depo (contraceptif) et autres méthodes. Malheureusement, aucun de ces moyens contraceptifs n’est disponible dans ces centres.
Comme l’a affirmé récemment la secrétaire d’état au département de la santé, le planning familial n’est pas l’affaire du gouvernement. Ceci a été entendu clairement jusque dans la province du Basilan. Qui cela concerne-t-il alors? Quelles sont les options pour ces femmes?
L’hôpital général du Basilan a rapporté 15 cas d’avortement de janvier à juin de cette année. Ceci est un chiffre choquant pour une petite province conservatrice dominée par l’islam. Et nous n’avons pas encore regardé les cas non rapportés…
Comme le disait une infirmière du bureau de santé de Lamitan: “ces jours-ci, les femmes sont plus ouvertes à l’avortement”. Elle racontait qu’un jour, une femme musulmane portant le hijab, venait vers elle et demandait de manière décontractée ce qu’elle pouvait prendre comme substance pour avorter. Elle-même musulmane, l’infirmière n’en croyait pas ses yeux! Quand elle refusait, la femme insistait en expliquant qu’elle ne demandait pas le médicament mais seulement la prescription, ou sans prescription, juste le nom de ce médicament.
A Isabela City où il y a 23.213 femmes en âge de procréer, il existe un seul centre de planning familial, tenu par une seule femme. Pour le second trimestre de 2004, il a eu un total de 568 usagères régulières, en majorité des musulman(e)s. Les services comprennent les orientations de planning familial et les méthodes telles que la pilule, les préservatifs, DMPA, l’insertion du stérilet et les spermicides. Elles font aussi des examens des seins et des frottis vaginaux. Etant le seul centre de planning familial de toute la province, il y a aussi des visiteurs d’autres municipalités. Elles visitent le centre quand elles ou leurs maris vont à Isabela pour d’autres courses. Elle racontait également un cas d’une femme musulmane qui demandait du cytotec en ajoutant sans détour qu’elle allait l’utiliser pour un avortement. L’infirmière refusait. Le femme expliquait alors à l’infirmière qu’elle ne devait pas se sentir coupable car ce serait de toute façon son péché à elle. Dans la municipalité de Maluso, l’infirmière s’inquiète plus du nombre de maladies sexuellement transmissibles. Maluso était une municipalité très conservatrice et arriérée mais la vie nocturne y est devenu plus animée à cause des exercices militaires « Balikatan ». On a ouvert des night clubs et la prostitution y est devenue rampante. Aujourd’hui, même après Balikatan, les clubs continuent leurs activités.
Il n’y a pas encore de cas diagnostiqués de maladies sexuelles mais les travailleurs de la santé ne peuvent pas les exclure. Personne n’est d’accord pour subir des examens médicaux et même si on le voulait, les centres n’ont pas les moyens pour les effectuer.
Dans la municipalité de Lantawan, le plus grand problème est celui de l’accessibilité du territoire. A part d’être un repaire d’Abu Sayyaf, elle comprend aussi 10 îles-barangays. Sans prime pour le danger ni prime de transport, les travailleuses de la santé louent des bateaux de pêcheurs avec leur propre argent, elles bravent les tempêtes et les vagues pour atteindre ces barangays. Et ce qui est encore pire, lorsqu’elles arrivent dans ces territoires, tout ce qu’elles peuvent faire, comme le disait une sage-femme, c’est “se regarder entre nous”. Cela fait plus d’un an depuis qu’elles ont distribué des médicaments pour la dernière fois au cours d’une camapgne médicale dans le barangay de Lubukan , après un conflit armé. Quand les centres de santé ont-ils reçu pour la dernière fois des médicaments? Elles ne se le rappellent plus.
Cette situation a aussi empêché Lantawan d’avoir un médecin municipal. Après dix ans sans médecin, Lantawan avait finalement obtenu un médecin grâce au programme de Barrio. Il n’y est resté à peine pendant un an. Le Docteur Omar a abandonné, il disait que rien n’est plus démoralisant qu’un médecin qui n’a aucun moyen.
En 2003, Lawantan a rapporté 4 cas de mortalité maternelle due à une rétention du placenta et une hémorragie.
Des interviews avec des femmes musulmanes et des travailleurs de la santé à Basilan montrent les données suivantes:
A. Méthodes de planning familial préférées: 1. la pilule. 2. le DMPA 3. insertion de stérilet 4. méthodes naturelles - symptothermale - méthode des journées standard - température basale du corps 5. préservatifs 6. ligature des trompes 7. spermicide B. Causes d’avortement induit: 1. la pauvreté 2. grossesse non planifiée 3. travail à l’étranger 4. le maintien de sa figure
C. Causes d’avortement spontané: 1. pauvreté - malnutrition - le travail - absence d’accès aux soins médicaux en cas de risque d’avortement 2. maladie 3. évacuation en cas de conflit armé
D. Causes de mortalité maternelle: 1. accouchement pratiqué par des hilotes sans qualification (sage-femme traditionnelle) - rétention du placenta - hémorragie - éclampsie - hypertension
2. absence de soins prénatals - pas de diagnostic d’une maladie ou de la position du fœtus - malnutrition
3. absence d’accès aux hôpitaux ou autres services en cas d’urgence - pas de transports - distance - routes en mauvais état ou bloquées
E. Facteurs touchant la prestation des services de la santé reproductive 1. la santé reproductive n’est pas une priorité pour les gouvernements locaux - pas de médicaments ni d’autres services - manque de gens qualifiés
2. la culture et les traditions musulmanes 3. la situation de l’ordre et de la paix
L’analyse statistique des indicateurs de la santé reproductive est peut-être inadéquate vu qu’il y a plus de cas non rapportés que rapportés. Mais elle peut être utilisée comme point de départ pour d’autres études, bien qu’elle ne reflète pas la situation réelle des femmes musulmanes à Basilan. En tenant compte de cette limitation, on a choisi de raconter l’histoire de trois femmes musulmanes différentes pour essayer de décrire concrètement les réalités auxquelles sont confrontées les femmes musulmanes à Basilan en général.
LA FEMME ET ABU SAYYAF Elsa était déjà institutrice à l’école primaire d’état à Basilan quand elle a rencontré Rachid, un étudiant ingénieur en 3ième année au collège de Zamboanga. C’était un musulman religieux, très impliqué dans le fondamen-talisme islamique. Ce n’est qu’après plus d’un an de leur relation qu’elle a eu connaissance de son implication dans le Harakatul Islaamiya mieux connu comme Abu Sayyaf. Elle l’a appris quand elle a dit à Rachid qu’elle était enceinte. Rachid n’était pas prêt pour la mariage. Ils décidèrent de ne pas avoir le bébé, surtout de peur d’une humiliation publique considérant l’influence spirituelle supposée de Rachid en tant que membre d’Abu Sayyaf et le fait qu’avoir des relations sexuelles avant le mariage est très immoral selon l’Islam.
Ils décidèrent de se marier deux ans plus tard. Rachid abandonnait ses études et entrait dans la jungle de Basilan en réponse à l’appel au jihad par Abu Sayyaf. Elsa eut trois autres avortements, sans que Rachid ne le sache. Elle disait que ce n’était pas vraiment pour des raisons économiques, bien que cela jouait aussi un rôle. C’était plus par la peur de perdre son mari et de devoir éduquer son enfant sans la présence du père. Chaque fois qu’on rapporte des opérations militaires ou des rencontres avec Abu Sayyaf, elle est torturée par la pensée que Rachid est peut-être mort. Elle ne s’imagine pas de donner une telle vie à un enfant innocent.
A la mort de Abdurajak Janjalani en 1999, Rachid décida de quiter. Ils ouvrèrent leur propre affaire et essayèrent de commencer une nouvelle vie. Elsa n’en demanda pas plus. Tout ce qui manqua, c’était des enfants pour avoir une vie comblée. Mais cela n’arriva jamais. Rachid s’est marié avec une autre femme et a maintenant deux enfants avec elle. Bien qu’il ne soit pas divorcé d’Elsa, il ne la visite que rarement.
Elsa se sent coupable. Elle pense que les avortements successifs sont la cause de sa stérilité. Elle n’a pas voulu consulter un médecin comme le lui demandait Rachid. Elle avait peur qu’il ne découvre la vérité sur ces avortements et elle est persuadée qu’il l’aurait tuée. Elle a choisi de garder son secret et de porter seule toute sa rancune.
LA FEMME ET LA POLYGAMIE Orpheline à 19 ans, Nisar était impuissante quand sa famille l’a obligée de se marier avec un oncle lointain. Ils disaient que le mariage avec un homme plus âgé lui donnerait la sécurité financière et que puisqu’il s’agissait de son oncle, il la traiterait correctement. Ils disaient tous que c’était le mieux pour elle, bien qu’elle ne serait que sa quatrième femme.
Après deux mois, elle était enceinte. Mais les affaires de contrebande de riz de son mari n’allaient pas bien. Il disait qu’il ne pouvait pas se permettre d’avoir encore un enfant en plus. Il avait déjà 4 enfants avec sa première femme, 6 avec la seconde femme et 4 autres avec la troisième femme. Alors il l’a emmenée chez un “médecin” à Zamboanga City.
Tout ce que Nisar se rappelle c’est la douleur terrible, mais elle n’a pas résisté. Elle n’avait pas la force d’aller contre la volonté de son mari. Même si elle décidait de garder l’enfant, elle croit qu’elle n’a pas les moyens pour pourvoir à ses besoins. Elle n’arrête pas de pleurer et de s’excuser auprès de son bébé qui aurait dû être son premier enfant.
LA FEMME ET LA PAUVRETE Nur-aina était la travailleuse de la santé du barangay d’Upper Manggas, Lantawan, Basilan. En tant qu’infirmière, elle était consciente du risque de laisser les accouchements dans les main d’une hilot (sage-femme traditionelle). Mais elle n’avait pas les moyens pour se payer un accouchement à l’hôpital. Son mari était un simple paysan et elle ne recevait en tant que travailleuse de santé qu’une allocation de 500 Pesos par trimestre.
Babuh était une hilot expérimentée mais avait déjà plus que soixante-dix ans. L’infirmière municipale lui avait déjà interdit de pratiquer des accouchements à haut risque à cause de son grand âge. Mais quand l’accouchement de Nur-aina commençait, sa famille appelait Babuh, qui était de la famille.
Le bébé naquit normalement sans problèmes mais le placenta restait trop longtemps à l’intérieur selon Babuh. Elle s’impatientait et commençait à tirer sur ce qu’elle croyait être le placenta. Elle le déposait dans un sac et l’emmenait pour le rituel traditionnel Tausug. Mais après un bout de temps, Nur-aina commençait à saigner fortement et à suffoquer. Elle transpirait et tremblait, elle suppliait son mari de l’amener à l’hôpital situé à 20 km. Elle mourut pendant le trajet. Le mari racontait que ses derniers mots étaient des instructions pour emmener le bébé régulièrement au centre de santé pour les vaccinations.
Arrivés à l’hôpital on découvrait que Babuh avait retiré non seulement le placenta mais l’utérus entier.
Ces histoires de femmes de Basilan sont le reflet de la totalité de nos conditions dans la province. Notre lutte contre le chauvinisme religieux et culturel, contre la guerre, contre la pauvreté, ne nous laisse pas le choix, nous ne nous préoccupons pas de notre santé en général ni de notre santé reproductive.
Cette situation déplorable de nos femmes est effectivement une violation de ce que l’Islam garantit aux femmes. Une garantie qui est peut-être la mieux décrite dans le Hadith:” Le meilleur parmi vous est celui avec le meilleur caractère. Et le meilleur caractère est celui qui est le meilleur envers les femmes.”