L'impérialisme au XXIème siècle (Extraits)

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Claudio Katz, 2002


Le renouveau de l’intérêt pour l’étude de l’impérialisme a modifié le débat sur la mondialisation, centré jusque là exclusivement sur la critique du néolibéralisme et sur les traits nouveaux de la mondialisation. Un concept développé par les principaux théoriciens marxistes du XXe siècle - qui a connu une large diffusion aux cours des années 1970 - attire à nouveau l’attention des chercheurs du fait de l’aggravation de la crise sociale du Tiers-Monde, de la multiplication des conflits armés et de la concurrence mortelle entre les firmes.

La notion d’impérialisme conceptualise deux types de problèmes : d’une part, les rapports de domination en vigueur entre les capitalistes du centre et les peuples de la périphérie et d’autre part les liens qui prévalent entre les grandes puissances impérialistes à chaque étape du capitalisme. Quelle est l’actualité de cette théorie ? En quoi peut elle contribuer à éclairer la réalité contemporaine ?

Une explication de la polarisation mondiale

La polarisation des revenus confirme l’importance de la théorie dans son sens premier. Lorsque la fortune de 3 multimillionnaires dépasse le Produit intérieur brut de 48 nations et lorsque toutes les quatre secondes un individu de la périphérie meurt de faim, il est difficile de cacher que l’élargissement du gouffre entre les pays avancés et les pays sous-développés obéit à des rapports d’oppression. Aujourd’hui il est incontestable que cette asymétrie n’est pas un événement « passager », qui serait corrigé par le « dégorgement » des bénéfices de la mondialisation. Les pays périphériques ne sont pas seulement les « perdants » de la mondialisation mais ils supportent une intensification des transferts des revenus qui ont historiquement freiné leur développement.

Ce drainage a provoqué la multiplication de la misère extrême dans les 49 nations les plus pauvres et des déformations majeures de l’accumulation partielle des pays dépendants semi-industrialisés. Dans ce second cas la prospérité des secteurs insérés dans la division internationale du travail est annihilée par le dépérissement des activités économiques destinées au marché intérieur.

L’analyse de l’impérialisme n’offre pas une interprétation conspirative du sous-développement ni ne disculpe les gouvernements locaux de cette situation. Elle présente simplement une explication de la polarisation de l’accumulation à l’échelle mondiale et de la réduction des possibilités de son nivellement entre des économies dissemblables. La marge du développement accéléré qui a permis au XIXe siècle à l’Allemagne et au Japon de parvenir au statut de puissance, détenu alors par la France ou la Grande-Bretagne, n’existe plus aujourd’hui pour le Brésil, l’Inde ou la Corée. La carte du monde ainsi modelée se caractérise par une « architecture stable » du centre et une « géographie variable » du sous-développement, les seules modifications possibles étant celles du statut périphérique de chaque pays dépendant (1).

La théorie de l’impérialisme attribue ces asymétries au transfert systématique de la valeur créée dans la périphérie vers les capitalistes du centre. Ce transfert se concrétise à travers la détérioration des termes des échanges commerciaux, l’aspiration des revenus financiers et la remise des bénéfices industriels. L’effet politique de ce drainage c’est la perte d’autonomie politique des classes dirigeantes périphériques et les interventions militaires croissantes du gendarme nord-américain.

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L’interventionnisme militaire

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[L]es États-Unis parient sur la réactivation de leur économie en relançant le réarmement et gardent sous la main les plans de guerre contre l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie et la Libye. Avec 5 % de la population mondiale, la principale puissance absorbe 40 % des dépenses militaires totales et vient de lancer la modernisation des sous-marins, la construction de nouveaux avions et la mise à l’épreuve, au travers d’un programme de « guerre des étoiles », des nouvelles applications des technologies de l’information.

La relance militaire constitue la réponse impérialiste à la désintégration des États, des économies et des sociétés périphériques, provoquée par la domination US croissante sur cette périphérie. C’est pour cela que l’actuelle « guerre totale contre le terrorisme » présente autant de similitudes avec les vieilles campagnes coloniales. De nouveau l’ennemi est diabolisé pour justifier les massacres de la population civile sur la ligne du front et les restrictions des droits démocratiques sur les arrières. Mais plus la destruction de l’ennemi « terroriste » avance et plus on assiste à une désarticulation politique et sociale. L’état de guerre généralisé perpétue l’instabilité provoquée par le pillage économique, la balkanisation politique et la destruction sociale de la périphérie (6).

Ces effets sont le plus visibles en Amérique latine et au Moyen-Orient, deux zones d’importance stratégique aux yeux du Pentagone, car elles détiennent les ressources pétrolières et représentent des marchés importants disputés par la concurrence européenne et japonaise. En raison de cette importance stratégique ils sont au centre de la domination impérialiste et souffrent de processus très semblables de désarticulation étatique, d’affaiblissement économique de la classe dominante locale et de perte d’autorité de leurs représentations politiques traditionnelles.


Le fatalisme néolibéral

L’expropriation économique, la recolonisation politique et l’interventionnisme militaire sont les trois piliers de l’impérialisme actuel. Nombre d’analystes se limitent à décrire de manière résignée cette oppression comme un destin inexorable. Certains présentent la fracture entre les « gagnants et les perdants » de la mondialisation comme un « coût du développement », sans expliquer pourquoi ce prix se perpétue à travers les temps et reste toujours à la charge des nations qui l’ont déjà payé par le passé.

Les néolibéraux tendent de pronostiquer que la fin du sous-développement se réalisera dans les pays qui parient sur « l’attrait » du capital étranger et sur la « séduction » des firmes. Mais les nations dépendantes qui se sont engagées sur ce chemin au cours de la décennie passée en ouvrant leurs économies payent aujourd’hui la plus lourde facture des « crises émergentes ». Celles qui se sont le plus engagées dans les privatisations ont le plus perdu sur le marché mondial. En procurant des grandes facilités au capital impérialiste elles ont levé les barrières qui limitaient le pillage de leurs ressources naturelles et elles le payent aujourd’hui par des échanges commerciaux plus asymétriques, par une instabilité financière plus intense et une désarticulation industrielle plus accentuée.

Certains néolibéraux attribuent ces effets à l’application limitée de leurs recommandations, comme si une décennie d’expériences néfastes n’avait pas fourni suffisamment de leçons quant au résultat de leurs recettes. D’autres suggèrent que le sous-développement est une fatalité du fait du tempérament perdant de la population périphérique, du poids de la corruption ou de l’immaturité culturelle des peuples du Tiers-Monde. En général l’argumentation colonialiste a changé de style, mais son contenu reste invariable. Aujourd’hui on ne justifie plus la supériorité du conquérant par sa pureté raciale, mais par ses connaissances supérieures et la qualité de ses comportements.


+ Claudio Katz, professeur à l’Université de Buenos Aires et chercheur au CONICET, est un des animateurs du réseau argentin Economistas de Izquierda (EDI, Économistes de gauche).

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Notes

1. J’ai analysé ce processus dans : Claudio Katz, « Les nouvelles turbulences d’une économie malmenée par l’impérialisme », Inprecor n° 457 d’avril 2001 ; « Las crisis recientes en la periferia », Realidad Económica n° 183, octobre-novembre 2001, Buenos Aires ; « Une récession globale entre guerres et rébellions », Inprecor n° 470/471 de mai-juin 2002. La polarisation entre le centre et la périphérie est également reconnue par les auteurs qui classifient les nations en quatre cercles hiérarchiques (puissances centrales, pays récepteurs des investissements étrangers, récepteurs potentiels de ces flux et économies périphériques) et qui estiment que le seul changement possible de cette hiérarchie serait l’ascension des pays du troisième rang au second (ou vice versa). D’autres changements sont considérés comme très improbables (du second au premier rang ou du quatrième au second). Cf. Charles Albert Michalet, La séduction des nations, Économica, Paris 1999 (chap. 2)

6. Phil Hearse, « Guerre à la terreur, un premier bilan », Inprecor 466/467, janvier-fevrier 2002 ; Yvan Lemaitre, « La paix et la justice impossibles » et Christian Piquet, « Nouvelle donne, nouveaux défis », Critique Communiste n° 165, hiver 2002 ; Janette Habel, « États Unis-Amérique Latine », Contretemps n° 3, février 2002.


Article complet: http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article1190