Mondialisation et recomposition sociale, II : Genre. Nadia

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FORUM SOCIAL MONDIAL (2002)

LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES : LÀ OÙ L’AUTRE MONDE DOIT AGIR


La Marche mondiale des femmes a accepté de prendre en charge la rédaction du texte qui servira de base de discussion à ce forum veut délibérément parler de violence envers les femmes pour illustrer combien ce type de violences, cette problématique, sont centrales à une « culture de la violence ». Ne serait-elle pas une violence première et quasiment paradigmatique ? Nous avons délibérément voulu parler de violence envers les femmes car ce sont toujours les féministes qui ont du porter une parole sur cette violence. En dehors des féministes et du rapport de forces qu’elles imposent, le discours concernant les violences est comme ces violences : invisible….

Mais n’est-il pas effrayant de parler de « culture de la violence » ? N’est-il pas paradoxal, sans précaution, d’employer le mot culture, à connotation positive, avec le mot violence à connotation négative ? L’emploi du mot culture postule au moins la légitimation sociale, l’assentiment et la transmission. Transmission de la violence, légitimation sociale, plus ou moins marquée. C’est exactement ce qui se passe avec les violences à l’encontre des femmes.

Nous croyons qu’en appréhendant bien les causes et les conséquences de la violence envers les femmes, nous pourrons poser les premiers jalons d’une recherche d’alternatives pour un autre monde basé sur l’égalité et le respect de l’autre.

Ce texte vise donc à démontrer l’universalité de la violence, de ses diverses formes mais surtout à pointer ses causes afin d’arriver à l’éradiquer. Nous condamnons le patriarcat, ce système plusieurs fois millénaire d’inégalités, d’exploitation, de privilèges, de discriminations, de valeurs, de normes, de politiques, basé sur la prétention qu’il existerait une infériorité naturelle des femmes en tant qu’être humains et sur la hiérarchisation des rôles assignés dans nos sociétés aux hommes et aux femmes. C’est ce système qui génère les violences. Nous condamnons la mondialisation capitaliste néolibérale qui s ‘appuie sur la division sexuelle du travail pour créer des inégalités supplémentaires entre les hommes et les femmes, terreau plus que favorable à l’accroissement des violences Nous voulons mettre fin à ces violences et dresserons la liste des éléments à changer dans ce but. Les actrices et acteurs de la lutte contre la mondialisation libérale y sont évidemment impliqués.

Nous souhaitons que chaque personne qui lira ce texte, y contribuera par ses réflexions et propositions afin d’arriver à Porto Alegre en 2002 avec un texte fort et axé sur l’action. Nous vous invitons donc à nous faire part de vos commentaires.

A L’AUBE DU XXIème SIÈCLE :TOLÉRANCE ET COMPLAISANCE TENACES ENVERS TOUTES LES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES.

La violence envers les femmes, une réalité transnationale et transculturelle

La réalité de la violence envers les femmes prend des formes différentes selon les sociétés, les cultures mais l’existence de la violence envers les femmes est un phénomène, un fait social qui se retrouve de façon transversale dans toutes les classes sociales, les cultures, les religions, les situations géo-politiques. Il n’y aucune exception et la règle se confirme malheureusement tous les jours. Effectivement, toutes les minutes, des femmes sont abusées, humiliées, agressées, violées, battues, exploitées, tuées, le plus souvent par les hommes qui les entourent et ce, depuis des millénaires.

La violence s’exprime le plus souvent dans la sphère dite privée (les féministes ont amplement démontré que le « privé » est politique) : par exemple au sein de la famille avec le viol incestueux, les mutilations génitales, l’infanticide, la préférence du fils, les mariages forcés etc., au sein du mariage ou de la relation amoureuse : par exemple, le viol conjugal, les coups, le contrôle psychologique, le proxénétisme, le crime d’honneur, le femicide, etc. La sphère publique est aussi le lieu d’expression de violences envers les femmes comme le harcèlement sexuel ou moral au travail, les agressions sexuelles, le viol collectif, le trafic sexuel, la pornographie, le proxénétisme organisé, l’esclavage, les stérilisations forcées, etc. La violence envers les femmes est plus souvent l’expression de la domination d’un individu mais elle peut aussi être pratiquée de façon organisée par plusieurs hommes ou par un état (viols systématiques en Bosnie et en Haïti). Elle est trop souvent tolérée, excusée ou encouragée par le silence, par les discriminations, par la dépendance des femmes envers les hommes, par des justifications théoriques ou des approches psychologisantes à la source de stéréotypes voulant par exemple que les hommes soient incapables de contrôler leurs pulsions, notamment sexuelles, que les violeurs sont des malades mentaux, que les femmes aiment les « vrais hommes », etc.


Les multiples manifestations des violences envers les femmes

Quelques statistiques mondiales sur la violence envers les femmes (tirées de Sexisme et mondialisation, Marche mondiale des femmes, 2000) : • De 20 à 50% des femmes dans le monde sont victimes à des degrés divers, de violences conjugales. • Dans le monde entier, on évalue à 5 000 le nombre de femmes et de jeunes filles victimes de crimes "d'honneur" par année. • L'UNICEF évalue qu'une femme sur 10 dans le monde est victime d'un viol une fois dans sa vie. • Selon la plupart des études publiées sur le sujet, les femmes violées le sont le plus souvent par un homme qu'elles connaissent. • Le nombre de femmes excisées est estimé à 130 millions dans le monde et tous les ans, près de 2 millions d'autres sont soumises à cette coutume, au rythme d'environ 6 000 cas par jour, soit 5 petites filles par minute. • On estime qu’il y a au bas mot 9 millions de femmes dans l’industrie du sexe. Certaines estimations vont jusqu’à 40 millions à travers le monde. • On estime que l’industrie mondiale du sexe rapporte 52 milliards de dollars chaque année aux réseaux criminels organisés. • Selon les évaluations, 4 millions de femmes et de fillettes sont achetées et vendues dans le monde entier chaque année, à de futurs époux, à des proxénètes ou à des marchands d'esclaves. • Dans la seule région de l’Asie du Sud-Est, près de 70 millions de femmes et d'enfants ont été victimes du trafic sexuel depuis 10 ans. • Plus de 100 millions de filles manquent à l'appel à travers le monde du fait de la préférence accordée au fils. • En Inde, en moyenne cinq femmes par jour sont brûlées pour des motifs tenant à leur dot, et beaucoup d'autres cas ne sont jamais signalés. • Une enquête réalisée dans les quinze états membres de l’Union européenne en 2000 révèle que 2% de travailleuses (=3 millions) ont fait l’objet de harcèlement sexuel au travail et 9% de travailleuses et de travailleurs ont été l’objet d’intimidation et de harcèlement moral.

Les régimes intégristes, formes extrêmes d’institutionnalisation des violences envers les femmes.

Certains régimes intégristes comme celui des Talibans en Afghanistan ont institutionnalisé la violence envers les femmes et en ont fait un droit divin accordé à tout homme, à tout moment. Le contrôle absolu et l’appropriation du corps des femmes ont pris, au cours des siècles des visages d’horreur ou de manipulation. Le XXe siècle a permis l’avancement des droits des femmes mais n’a pas fait reculer la violence qu’elles subissent de façon significative. On pense aux crimes d’honneur, aux crimes liés à la dot des jeunes filles, au lévirat qui sont autant de pratiques donnant le droit de vie ou de mort sur les fillettes et les femmes aux hommes de la famille. On pense à certaines réalités des pays occidentaux où on voit persister, malgré une plus grande reconnaissance des droits des femmes, la violence et le contrôle sous diverses formes (un viol toutes les 6 minutes aux États-Unis, non-reconnaissance du viol conjugal, du droit à l’avortement en Suisse par exemple, croissance du trafic sexuel, massacres de femmes comme celui de Montréal en 1989), etc. Aucune société n’est à l’abri de la violence envers les femmes car aucune société n’a pleinement réalisé l’égalité réelle entre les hommes et les femmes, même si l’égalité des droits, l’égalité formelle, est reconnue.

Sur la scène internationale, à l’heure actuelle, la situation des femmes afghanes est probablement l’exemple le plus criant de l’indifférence ou de la tolérance de l’intolérable dont peuvent faire preuve les pays se réclamant du respect des droits humains fondamentaux. Avant le 7 octobre, peu de pays avaient réagi pour réclamer la fin des exactions des Talibans contre les femmes depuis 1996. Depuis le début de la guerre, on invoque cependant le non-respect des droits fondamentaux des femmes pour appuyer les bombardements, faisant fi de l’impact de cette guerre, comme de toutes les guerres, sur les femmes. Selon Amnistie Internationale, le nombre de femmes victimes lors des conflits armés est passé de 5% lors de la première guerre mondiale à 50% lors de la deuxième guerre mondiale et à près de 80% dans les années 90. Il n’y aucune raison pour que la présente guerre fasse exception. Les femmes afghanes, tout comme la population afghane, veulent que les bombardements cessent, qu’avec le départ des Talibans soit instaurée l’égalité. Les groupes de femmes afghanes veulent aussi être partie prenante de la résolution du conflit et du rétablissement de la démocratie dans leur pays.

Le viol comme arme de guerre

Un autre visage que prend la violence envers les femmes est celui du corps des femmes utilisé comme butin ou arme de guerre. Dans tous les conflits armés, des plus anciens aux plus récents, les attaquants se sont servis du viol des femmes comme façon d’atteindre leurs ennemis. Par exemple, des camps de viol ont été organisés lors de la guerre des Balkans pour parfaire le « nettoyage ethnique ». On commence à savoir maintenant que les viols ont été massifs, de la part des Français, durant la guerre d’Algérie. De 1932 jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, le Japon a mis sur pied des camps d’esclaves sexuelles pour son armée. Ainsi 200 000 femmes ont été contraintes à l’esclavage sexuel dans des centres de viols appelés « centre de délassement ». Ces esclaves appelées « femmes de réconfort » étaient des femmes kidnappées des pays mitoyens en guerre avec le Japon. Au Kosovo, depuis la fin de la guerre, des femmes d’Europe de l'Est ont été enlevées, séquestrées, terrorisées et amenées dans des bordels de Pristina par le crime organisé où près de la moitié de leurs clients sont du personnel international et des forces de maintien de la paix…et la liste pourrait s’allonger.

Les femmes combattent et s’organisent

Malgré les souffrances infligées, les femmes combattent partout et tous les jours les violences. Elles s’auto organisent et manifestent pour faire changer les lois, veiller à ce qu’elles soient appliquées, bousculer les « traditions » dont les femmes paient le prix, apporter leur solidarité concrète aux femmes victimes des violences, etc. Des femmes endurant des violences ont tous les jours le courage de se lever pour les dénoncer haut et fort. Ce sont elles les premières combattantes de ce fléau social. Ainsi les Mauriciennes par exemple se sont-elles mobilisées contre les violences conjugales et ont fait voter une loi en 1997. Ainsi des pièces de théâtre prévenant le trafic sexuel sont –elles jouées aux Philippines. Ainsi les « Femmes en Noir » en Serbie, se sont-elles élevées contre la politique militariste et nationaliste de Milosevic et ont apporté leur soutien aux réfugiéEs du Kosovo. Ainsi Au Burkina Faso des associations travaillent auprès des adolescentes pour prévenir l’excision et le mariage forcé ou/et précoce.


LES CAUSES DE LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES

La violence envers les femmes trouve ses racines dans la haine de l’altérité et la croyance que la domination est un mode de survie viable. Le patriarcat a institué, un ordre de domination (social, économique, politique) du masculin sur le féminin. Ainsi les hommes, les garçons tirent dans toutes les sociétés, dans toutes les classes sociales et malgré les avancées du féminisme des dernières années, des bénéfices importants et des privilèges bien concrets de ce système de domination : par exemple, les travaux domestiques, l’éducation des enfants sont effectués partout en quasi-totalité et gratuitement par les femmes voire par les petites filles. Partout les garçons, les hommes ont plus de « valeur » que les femmes et les fillettes. Afin d’imposer ce système d’exploitation et d’oppression , le plus ancien et le plus pérennisé qui soit, et de le maintenir en place, la violence ou la menace de la violence est utilisée comme outil de contrôle, comme punition pour avoir dérogé aux règles établies par le patriarcat (hiérarchisation, soumission, obéissance, etc.). Nos sociétés se sont développées (et continuent de se développer) avec comme assises cette hiérarchisation des individus selon leur appartenance à un sexe. Dans ce contexte, l’altérité est vue et construite comme une menace plutôt que comme une richesse. Ainsi, le besoin de dominer pour survivre, sur lequel est basé le patriarcat, la volonté de conserver les privilèges inhérents au statut de l’oppresseur mènent à l’utilisation de la violence comme affirmation de la masculinité et comme outil de maintien de la domination. Se crée ainsi une véritable solidarité entre hommes pour que cette situation perdure. Tant et aussi longtemps que nous refuserons de remettre en question ces réalités, nous ne parviendrons pas à éliminer la violence envers les femmes.

La domination patriarcale se modèle habituellement selon le système économique dominant, au mode de production existant. Le mode de production capitaliste coexiste donc avec la domination patriarcale qui lui était antérieure et l’utilise pour son plus grand profit. Les régimes dits « socialistes » ont aussi cohabité avec le patriarcat et l’expérience historique des femmes face à ce type de sociétés les a convaincues qu’un changement vers un régime « progressiste » ne s’accompagne pas du tout automatiquement d’un accès à l’égalité et à l’éradication des violences à leur encontre. Évidemment, les femmes sont présentes dans toutes les classes sociales. Ce sont elles que l’on retrouve cependant en majorité au sud dans le travail informel, ou travailleuses dans les zones franches, ou sans emploi salarié. Au nord, elles sont majoritaires dans le travail précaire, flexible, à temps partiel, ou au chômage. Ce sont elles, au sud comme au nord qui accomplissent encore la quasi-totalité des tâches domestiques gratuitement. Ces espaces de vulnérabilité supplémentaires peuvent être autant de zones sensibles à l’accroissement des violences ou à la difficulté renforcée d’en sortir.

De même les discriminations racistes fragilisent considérablement les femmes. Ces différents modes d’oppression se conjuguent, s’interpénètrent et se renforcent mutuellement. La présence d’un handicap, le jeune âge ou le grand âge, le lesbianisme, la prostitution peuvent être autant de facteurs aggravants.

CONSÉQUENCES DES VIOLENCES

Les répercussions qu'endurent les femmes victimes de violences ne sont jamais anodines. C'est toujours une personnalité entière qui est ébranlée, une remise en cause totale qui s'opère Paradoxalement, quelles que soient les circonstances et les formes de violences subies, les femmes ressentent honte et culpabilité. Honte de ce qu'elles ont subi comme effraction de l'intime, comme négation de leur libre arbitre et de leur intégrité physique et psychologique. Culpabilité de n'avoir soi-disant opposé aucune résistance ( la réalité est en fait un peu plus complexe). Et ce, dans tous les coins et recoins du monde au sud comme au nord, à l'est comme à l'ouest.

Les conséquences des violences se répercutent en premier lieu sur la santé des femmes. Conséquences physiques telles que hémorragies répétées pouvant aller jusqu'à la septicémie à la suite de mutilations sexuelles, membres cassés, etc. à la suite de coups répétés, somatisations multiples.

Par définition elles peuvent aller jusqu'à la mort : meurtre des nouvelles-nées en Chine, crimes d'honneur en Jordanie ou au Maroc, meurtres de femmes à Ciudad Juarez au Mexique. Mais la mort peut venir aussi de violences conjugales : un coup un peu plus appuyé que les autres de la part de son mari et à un endroit particulièrement vulnérable. La Banque mondiale, elle même est contrainte de reconnaître que les violences envers les femmes sont une cause de décès et d’incapacité chez les femmes en âge de procréer aussi importante que le cancer et une cause de mauvaise santé plus importante que les accidents de la route et la malaria combinés.

Conséquences aussi psychologiques : perte de l'estime de soi, dépression, tentatives de suicide, phobies, cauchemars, crises d'angoisse, psychoses, peur des rapports sexuels, entrée dans la prostitution, etc.

Les conséquences peuvent revêtir un aspect plus " matériel " : déménagement, perte d'emploi, abandon des études. Le rapport à l'entourage peut être bouleversé : rupture avec le conjoint, éloignement de prétendus " amis ".

La violence envers les femmes ou même la menace de la violence a principalement comme conséquences de maintenir les femmes dans un état de peur ou de vulnérabilité constante et de limiter leurs déplacements (particulièrement le soir ou la nuit), leur accès à des espaces publics où elles se sentent en sécurité, leur participation sociale, leur autonomie. Les femmes se voient ainsi dénier l’accès à une citoyenneté pleine et entière. La violence remplit un rôle de contrôle social des femmes. Toutes ces conséquences peuvent aussi se chiffrer en coûts économiques .

VIOLENCES ET MONDIALISATION LIBÉRALE

Une des conséquences de la mondialisation libérale est la délocalisation des entreprises du nord vers le sud afin de trouver de la main d'oeuvre à moindre coût. Le marché du travail s'ouvre ainsi aux femmes mais dans des conditions plus que dramatiques : salaires insuffisants pour vivre, conditions de travail très éprouvantes occasionnant des risques majeurs pour la santé, droit du travail inexistant, interdiction de la syndicalisation. La précarité de leur situation sur le marché du travail rend ces femmes vulnérables à l'extrême : par exemple, dans les maquiladoras au Mexique, lors des entretiens d'embauche, les ouvrières doivent répondre à des questions concernant leur comportement sexuel, leur cycle menstruel, et le contrôle des naissances. Les entreprises leur imposent aussi un test de grossesse. La plupart du temps ces femmes sont des mères célibataires ou représentent la principale source de revenus pour leur famille. C'est la raison pour laquelle elles acceptent des contrôles corporels humiliants. Dans les usines délocalisées au Bangladesh les ouvrières ont deux grandes peurs : l'incendie et le viol. En juin 1996, 32 ouvrières ont brûlé à Dacca parce qu'il n'y avait dans l'usine ni sortie de secours, ni extincteurs. La nouvelle s'est très vite propagée . En revanche, c'est toujours la loi du silence pour les viols. Le harcèlement sexuel, le chantage au licenciement si elles ne cèdent pas est monnaie courante de la part des chefs hommes.

Au nord, les changements apportés dans l’organisation du travail (augmentation des tâches, intensification du rythme de travail, pressions accrues sur le personnel, etc.) et le développement de toutes les formes de travail précaire et atypique entraînent une augmentation du harcèlement moral ou psychologique dont les femmes sont principalement victimes car ce sont elles que l’on retrouve le plus dans cette forme de travail.

Avec le développement de la mondialisation capitaliste on assiste à une féminisation accrue des migrations, la majeure partie vers les pays industrialisés. Ces femmes sont contraintes à l'émigration car elles ne peuvent plus subsister chez elles et doivent aider leur famille en envoyant régulièrement de l'argent. Certains pays, comme les Philippines, encouragent même cette émigration. Ces femmes sont souvent employées de maison et certaines d'entre elles doivent subir le harcèlement sexuel ou le viol de la part de leurs employeurs en plus d’être dépendantes car sans-papières. Ce fut le cas de la philippine Sarah Balabagan (14 ans) en Arabie Saoudite ou de l'ivoirienne Véronique Akobé qui furent toutes les deux jugées et condamnées pour tentative de meurtre ou de meurtre contre leurs employeurs qui les avaient violées.

Les Institutions financières internationales, le FMI et la Banque Mondiale, imposent aux pays endettés des plans d'ajustement structurels afin " d'assainir " leur économie. Ces derniers préconisent des destructions de services publics, réduisent drastiquement le nombre de fonctionnaires, augmentent considérablement le prix des denrées de première nécessité, etc. Ils contraignent les femmes à travailler encore plus de façon non rémunérée pour compenser les services désormais inexistants, jettent des milliers de femmes et d'hommes au chômage, appauvrissent et affament des populations entières. Ces actions néfastes délitent le tissu social et créent ainsi un terreau favorable à l'émergence de violences supplémentaires à l'encontre des femmes, notamment au sein du couple. Elles favorisent la marchandisation du corps des femmes et des enfants, en majorité les petites filles, seul bien qui leur reste à vendre : prostitution, esclavage domestique, trafic d'organes, etc.

Commerce sexuel, une industrie plus que florissante

La mondialisation libérale a donné au commerce sexuel, passé du stade artisanal au stade industriel, une dimension planétaire. Cette internationalisation a créé un très large marché d'échanges sexuels où femmes et enfants sont devenus des marchandises consommables disponibles pour la clientèle masculine demandeuse. La prostitution a connu un essor considérable durant les trois dernières décennies dans l'hémisphère sud et depuis une décennie, après la chute du mur de Berlin, dans les pays de l'Est de l'Europe. Elle revêt des formes diverses. On assiste à un essor de la prostitution locale liée aux déplacements de la campagne vers les villes. Les femmes et les enfants sont prostitués dans les quartiers " chauds " des métropoles de leur propre pays : Thaïlande, Philippines, Indonésie, Inde, etc. Provoqué par les facilités de transports et de communication, l'attrait de " l'exotique ", la recherche de prostitué-e-s toujours plus jeunes supposé-e-s non contaminé-e-s par le VIH, le tourisme sexuel est en augmentation constante. Certains pays même comptent sur les revenus de la prostitution pour assurer leur développement. Mais ce tourisme sexuel n'a pas lieu uniquement dans les pays du sud. Il s'exerce aussi en Europe à Berlin, Hambourg ou Amsterdam qui sont devenus des destinations importantes. Ce sont d'ailleurs des pays qui reconnaissent la prostitution comme " travail sexuel ".

Parallèlement à cette prostitution locale, le trafic des femmes et des enfants s'est considérablement étoffé. On retrouve dans les villes du Japon, de l'Europe de l'Ouest et de l'Amérique du Nord des centaines de milliers de jeunes femmes qui ont été "déplacées" afin de se livrer à la prostitution. Le plus gros contingent de personnes provient des pays de l'Asie du Sud et du Sud-Est : environ 400 000 par an. Puis de l'ex Union Soviétique suivie par l'Amérique Latine et les Caraïbes. Ces femmes et ces enfants sont parfois enlevés et vendus d'intermédiaire en intermédiaire jusqu'à la destination. Mais parfois c'est la misère qui pousse les femmes à quitter leur pays et à tomber dans le piège des réseaux mafieux qui organisent le passage des frontières et promettent par exemple un travail bien rémunéré dans un bar ou un mariage avec un occidental. La constitution de la " Forteresse Europe ", par exemple, où il y a une restriction drastique des possibilités de circulation des personnes, le rêve de l'Eldorado occidental, la fuite devant des situations de guerre, amènent des femmes à avoir recours à ce type de démarches.

Dans les réseaux, l'entrée dans la prostitution s'accompagne toujours de violences supplémentaires dites " dressage " afin de contraindre les femmes à l'obéissance et à la soumission : coups, humiliations, viols répétés, etc. Ces réseaux génèrent des profits considérables. Interpol a calculé que les revenus d'un proxénète vivant en Europe étaient d'environ 108 000 euros par an. A l'heure actuelle, le trafic des femmes en vue de la prostitution est plus rentable que celui de la drogue : le bénéfice de la drogue est unique alors qu'une femme prostituée rapporte de l'argent toute l'année au proxénète.

Ces réseaux de prostitution s'appuient sur le développement inégalé et totalement banalisé de la pornographie : exploitation de sex-shops, sites pornographiques sur Internet, cassettes vidéos, etc. Celle-ci met en scène des images mercantiles, avilissantes, violentes, du corps des femmes et la plupart du temps de façon tout à fait légale. Elle fait de même, mais de façon illégale, pour les enfants. Les femmes qui tournent dans ces films sont souvent elles mêmes victimes de viols, violences et meurtres, les films « hardcore », les « reality show » étant de plus en plus demandés.

DES ALTERNATIVES, DES PERSPECTIVES, DES ORIENTATIONS QUI PERMETTRAIENT D’ALLER VERS L’ELIMINATION COMPLETE DE TOUTES LES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES


Comment en sortir ? Comment faire en sorte que ces violences, beaucoup plus que doublement millénaires, s’arrêtent ?

Les discriminations à l’encontre des femmes, les inégalités dont elles souffrent sont encore souvent inscrites, institutionnalisées, dans le droit et les lois de nombreux pays. Durant tout le XXième siècle et encore maintenant les féministes ont lutté afin de faire reconnaître leurs droits fondamentaux. Elles ont revendiqué et veillé au fait que leurs victoires soient sanctionnées par une inscription dans la loi. La reconnaissance de leurs droits formels est toujours une bataille première que ce soit au niveau national ou international. Nous voulons donc d’abord inscrire l’interdiction des violences dans la loi de chaque pays, transposer dans le droit national les contenus des Conventions internationales ou régionales là où il en existe. (voir demandes de la Marche mondiale des femmes en annexe)

Ensuite, faire en sorte que ces lois répriment la totalité des violences. Il existe encore des pays où le viol conjugal n’est pas un crime : par exemple Inde, Malaisie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Serbie. Il existe encore des pays où la violence conjugale qu’elle soit psychologique ou physique, n’est pas reconnu, comme en Haïti. Il existe encore des pays où le code pénal stipule qu’un violeur qui épouse la femme qu’il a violée ne sera pas poursuivi : par exemple Costa Rica, Éthiopie, Liban, Pérou, Uruguay. Il existe encore des pays où le harcèlement sexuel au travail ne peut être le fait que d’un supérieur hiérarchique et non d’un collègue : par exemple la France.

Ensuite encore faire en sorte que ces lois soient effectivement appliquées. En effet, dans presque la totalité des pays du monde, les lois réprimant les violences envers les femmes sont très mal appliquées parce qu’il manque une réelle volonté politique de les faire appliquer. De fait, dans les pays où elles en ont la possibilité, bien peu de femmes portent plainte contre les violences qu’elles subissent parce qu’elles craignent les représailles ou, tout simplement, de ne pas être crues. Et ces violences restent donc invisibles. Dans tous les pays du monde, ce sont les féministes qui les ont rendues visibles.

Certains pays occidentaux pratiquent avec brio le double langage : ils s’offusquent avec sincérité des violences à l’encontre des femmes, versent deux ou trois larmes de compassion et laissent couvrir en même temps, au nom de la liberté d’expression, les murs de leurs villes d’affiches publicitaires qui dégradent et avilissent l’image des femmes et qui sont de véritables incitations et permissions du viol.

Mais les lois ne font pas tout. Il est de la responsabilité des États de tous les pays du monde de faire en sorte que les violences contre les femmes soient intolérables pour toutes et tous.

Il est de la responsabilité des États de tous les pays du monde d’éduquer leur population par tous les moyens possibles en ce sens, et ce, dès le plus jeune âge.

Il est de la responsabilité des États de tous les pays du monde de former aux réalités des violences à l’encontre des femmes tous les personnels sociaux, de santé, d’enseignement, de justice, de police, etc., susceptibles de les recevoir.

Il est de la responsabilité des États de tous les pays de reconnaître et de promouvoir l’égalité entre les sexes et les droits fondamentaux des femmes.

Nous en sommes loin ? Évidemment puisque certains États institutionnalisent les violences à l’encontre des femmes. Mais ne sommes nous pas là pour penser l’utopie ?

Il n’y a pas que les États qui doivent prendre leurs responsabilités

Les mouvements sociaux dans leur ensemble, les associations anti-mondialisation néo-libérale, les organisations syndicales, politiques doivent participer à la dénonciation des violences. Les syndicats par exemple doivent dénoncer le harcèlement sexuel au travail et doivent aussi soutenir une femme victime de violences conjugales que son mari vient harceler jusqu’à son lieu de travail et qui est contrainte de démissionner et ceci est vrai au nord comme au sud.

Il est de notre responsabilité individuelle et collective, hommes et femmes, de prendre position contre les violences partout où nous les rencontrons, y compris au sein de nos propres organisations militantes mixtes, et de faire en sorte d’empêcher qu’elles se produisent. Ne faisons pas comme ces gens qui en 1985 sur un quai de métro à Paris, à 6 heures du soir, heure de très grande affluence, ont vu une jeune fille être violée sous leurs yeux sans réagir.

Il est de la responsabilité de nos camarades hommes des mouvements sociaux de se solidariser publiquement, au nom d’une autre société que nous voulons construire ensemble, avec la lutte des féministes contre les violences. Pourquoi pas une déclaration solennelle des mouvements sociaux et de la Marche Mondiale des Femmes s’engageant à lutter en commun? Pourquoi pas organiser un tribunal international sur les violences envers les femmes lors de la troisième rencontre du Forum Social Mondial ?

Les violences, de tout type, privent les femmes de leur autonomie et minent leur intégrité physique, morale, psychologique et intellectuelle. Elles les empêchent de travailler, de lutter, de se divertir, … bref, de vivre. Sachons l’entendre.

Ce qui autorise et crée les violences ce sont toutes les inégalités, les fanatismes, les discriminations dont les femmes sont victimes, l’état d’infériorité ou de marginalité dans lequel on veut les maintenir. Les violences sont les dernières garantes de l’oppression des femmes et parallèlement nos sociétés inégalitaires font le lit des violences. Lutter contre les inégalités c’est aussi lutter contre la légitimation des violences.

Les hommes ont certes à perdre des privilèges dans la lutte contre les inégalités femmes/hommes. Mais ne sommes nous pas réuniEs pour abattre les privilèges, TOUS les privilèges. Les hommes ont à gagner, comme nous les femmes, d’autres rapports humains basés sur la confiance réciproque et le respect mutuel. Ils ont à gagner, comme nous les femmes, des individus nouveaux débarrassés des oripeaux de la vieille société. Ils ont à gagner, comme nous les femmes, une société réellement égalitaire pour laquelle nous luttons tous dans tous les autres domaines : racisme, travail, anticolonialisme, etc.

De nombreux auteurs parlent du caractère inné de la violence, de son caractère naturel. Freud postule l’existence d’une pulsion de mort. On cherche même un gène de la violence. Rien de tout cela ne nous paraît prouvé. Nous pouvons tout aussi bien postuler du fait que la violence est une construction sociale. Il n’est pas très compliqué, en dehors de toute influence néfaste, d’éduquer un enfant à la non-violence. Ces argumentations du caractère naturel de la violence ne seraient-elles pas des justifications idéologiques, des tentatives de légitimation ?

Ce qui est sûr en revanche, c’est que la violence sert à la domination. Il n’y a pas de domination sans violence, même si il n’est pas nécessaire qu’elle s’exprime tout le temps ouvertement : l’idéologie sert à maintenir l’ordre du dominant.

Ce qui fonde, entre autres, la possibilité de la vie humaine, c’est de pouvoir se reposer en paix, de ne pas être obligéE d’être sans cesse aux aguets. L’état de guerre permanent est insupportable. Mais cela suppose un minimum de confiance en l’autre. C’est le propre de toute relation humaine « normale ». Certaines femmes ne peuvent même pas accéder à cette confiance. Pour elles, dans certains lieux, la vie consiste à gérer l’imprévisible : la violence de leur conjoint, ou celle de leur supérieur hiérarchique au travail. VIVRE est quasi impossible. Leur vie se résume à de la survie, à de la mort psychologique à petits feux.

QUAND ARRÊTERONS-NOUS CELA  ? « Un peuple qui en opprime un autre n’est pas un peuple libre ». Paraphrasons : « Une personne qui en opprime une autre n’est pas une personne libre ».

Pour construire un autre monde, pour qu’il soit possible, les mouvements sociaux doivent s’engager aussi à remettre en question les rapports inégaux entre les hommes et les femmes; s’engager aussi à intégrer dans leur analyse les liens entre capitalisme, sexisme et racisme; s’engager à réclamer le respect des droits des femmes; s’engager à remettre en question la « culture de la violence » et ce, tout autant dans leurs pratiques individuelles que collectives. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons prétendre ébranler les fondements du patriarcat et de la mondialisation libérale.

Marche mondiale des femmes www.marchemondialedesfemmes.org