Le libération des femmes

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Educational on women’s liberation

Lectures :

Histoire des femmes en Occident. I. L’Antiquité Sous la direction de Pauline Schmidt Pantel

« GENDER » OU « GENRE »

Extraits :

p. 607 «  La notion de sexual asymmetry ou de dissymétrie entre les sexes met l’accent sur la disparité existant dans le pouvoir et la valeur attribués à chaque sexe. »

« L’expression les rapports sociaux de sexe insiste sur un fait qui devrait être évident pour tous : les rapports entre les sexes sont des rapports sociaux. Ce ne sont pas des données naturelles, mais des constructions sociales. Leur étude est du même type que celle d’autres relations, égalitaires ou inégalitaires, entre groupes sociaux. Vue ainsi, la « domination masculine » est une expression parmi d’autres de l’inégalité des rapports sociaux. On peut en comprendre les rouages et en marquer les spécificités selon les systèmes historiques. De plus, il est possible d’étudier la manière dont s’articule avec d’autres ce type de domination. Ainsi, pour le monde antique l’étude des rôles attribués à chaque sexe devrait prendre place dans l’étude des rapports sociaux propres à la cité archaïque, classique ou hellénistique, à la Rome républicaine ou impériale. C’est une condition pour mieux comprendre leur fonction parmi l’ensemble des rapports sociaux inégalitaires. »

« Troisième notion : celle de gender ou de « genre », dont il est peut-être utile de préciser le contenu tant elle a été utilisée récemment à tort et à travers. Commençons par son utilisation comme fourre-tout. Il ne peut pas paraître un article en anglais sans que le terme « gender » figure dans le titre ou le sous-titre. »

p. 608 « (…) Or ce terme est souvent employé de façon générale et vague pour désigner simplement le fait qu’il existe des hommes et des femmes. Dans cette acceptation, la notion de gender se réfère à la division du monde entre masculin et féminin, à une division sexuelle ou sexuée. C’est un terme descriptif, neutre et consensuel. (…) »

« Mais le terme de gender est utilisé par l’historienne américaine Joan Scott avec un sens beaucoup plus précis, reprenant, synthétisant la démarche précédemment décrite. (…) L’utilisation du terme gender marque en effet : - le rejet du déterminisme biologique (implicite selon Joan Scott dans l’usage de termes comme « sexe » « et « différence sexuelle ») ; - l’introduction de la dimension relationnelle : hommes et femmes doivent être définis en termes réciproques, le terme gender prend ainsi en compte l’évolution générale des recherches récentes ; - l’insistance sur le caractère fondamentalement social des distinctions fondées sur le sexe.  Dans cette acceptation, gender est une catégorie d’analyse qui répond au besoin de formulation théorique apparu après la prolifération des études de cas. La problématisation du gender permet de poser des questions plus générales comme celles de la fonction du gender dans l’ensemble des rapports sociaux, ou celle de l’apport de l’étude du gender à la connaissance historique. On le constate, la notion de gender prend en charge ce qui était contenu dans les notions de sexual assymetry ou « rapports sociaux de sexe ». Elle est dès lors utile, à condition de toujours bien préciser le sens qu’on lui donne, et cela ni plus ni moins que des notions familières à l’historien comme celle de race ou de classe. »

Chapitre 10 : Bachofen, le matriarcat et le monde antique

Johan Jacob Bachofen (1815-1887) : juriste suisse passionné de philologie, il a voulu élaborer une théorie sur les origines de la vie physique, l’interprétation des mythes, l’essence de cette époque lointaine où il situait le règne du « droit maternel », le pouvoir (kratos, κρατoς) des femmes, bref, la gynécocratie. Le titre complet de son livre : Das Mutterrecht. Recherche sur la gynécocratie du monde ancien, selon sa nature religieuse et juridique.

Das Mutterrecht, eine Untersuchung über die Gynaikokratie der alten Welt nach ihrer religiösen und rechtlichen Natur, Nouvelle édition par Karl MEULI, in J.J. Bachofen, Gesammelte Werke, vol. II et III, Bâle, 1948.

Bachofen 5J.J.), Du règne de la mère au patriarcat, pages choisies par Adrien Turel, Paris, 1938. Réimpression, éditions de l’Aire, Lausanne, 1980.

Si l’Égypte a servi de fondement à la construction théorique de Bachofen, c’est surtout grâce à Plutarque et son traité sur Isis et Osiris, ouvrage d’une forte résonance platonicienne écrit aux environs 120 ap. J.-C. L’illustration par Plutarque du mythe égyptien, associée à l’image que donne la terre d’Égypte avec les crues et les décrues du Nil ont fourni à Bachofen les éléments essentiels d’un scénario qu’il a adapté et interprété selon ses orientations idéologiques propres.

p. 593-594

Les idées fortes

- L’évolutionnisme ethnologique qui croit à une évolution unilinéaire des sociétés humaines, selon un mouvement qui va de la « sauvagerie » (ou de la « barbarie ») à la civilisation, du plus bas au plus haut, du plus simple au plus complexe. Cette théorie est associée chez Bachofen à un « modèle cyclique », comme le prouve la marche en arrière qui frappe, selon lui, certaines sociétés. - La conception, portant semble-t-il une forte empreinte hégélienne, selon laquelle le passage d’un stade à l’autre ne se réalise qu’à travers la confrontation violente de deux principes opposés, en l’occurrence le « principe féminin » et le « principe masculin ». Autour de ces rapports conflictuels entre hommes et femmes s’organise une série de couples antithétiques : nature/culture, matière/esprit, terre (et lune)/soleil, obscurité/lumière, Orient/Occident, Aphrodite/Apollon, gauche/droite, mort/vie etc. - La mise en valeur de la religion, considérée par le fondateur du « matriarcat » comme la cause première du développement des peuples, comme le levier unique et puissant de toute civilisation. Or, si à l’aube de l’humanité la femme a exercé la plus grande influence sur le sexe masculin, c’est grâce justement à son inclination innée pour le divin, le surnaturel, le merveilleux, l’irrationnel. La base du matriarcat est finalement religieuse. D’où l’importance de l’image archétypale d’une Grande Mère, d’une Grande Déesse, d’une Terre-Mère, haute figure symbolique du « règne maternel », à laquelle s’identifient presque toutes les divinités féminines du monde ancien. - Le présupposé axiomatique, repris maintes fois par Bachofen et ses défenseurs, que le mythe fonctionne en tant qu’histoire, que la tradition mythique constitue un vaste miroir où se reflètent fidèlement les réalités passées, qu’elle est le témoignage le plus authentique, la manifestation la plus directe, véridique, des époques primitives. - La certitude enfin, affichée par les partisans du « matriarcat », que les systèmes matrilinéaires étaient obligatoirement les plus primitifs, certitude qui a conduit à une confusion, voire une identification entre matrilinéarité et matrilocalité d’une part et matriarcat de l’autre.

p. 592 Tantôt ignoré, tantôt controversé, approuvé ou loué, l’ouvrage de Bachofen sur le « droit maternel » et la « gynécocratie » reste le point de départ pour toute histoire du matriarcat. Outre l’influence qu’il a exercée – et que l’on devrait mieux évaluer – sur le domaine psychanalytique, il sert encore de référence à une certaine pensée marxiste ou marxisante, trop fidèle à l’accueil enthousiaste qu’avait réservé Engels au Mutterrecht, dont la publication constituait pour lui une « r évolution totale ». « La découverte du stade primitif matriarcal, écrivait Engels, en tant qu’étape précédant le stade patriarcal, a pour l’humanité la même signification que possède pour la biologie la théorie de l’évolution de Darwin, la même valeur qu’a pour l’économie politique la théorie de la plus-value de Marx.


Mérites et limites de l’analyse de Marx et de Engels concernant la nature de la famille et la situation des femmes. (Basé sur l’article de Frédérique Vintueil)

- analyse dans le contexte du « capitalisme sauvage » : Le capitalisme représente une rupture fondamentale dans la situation des femmes et dans la nature de la famille. La logique du nouveau mode de production créera les conditions objectives d’une émancipation : le capitalisme sape les bases de la domination masculine en ôtant à la famille son rôle de transmission de la propriété. Ceci se confirme dans le capitalisme du troisième âge. Engels voit le rôle positif de l’insertion des femmes dans la production, il légitime le droit au travail des femmes. MAIS l’accès au salariat n’est pas une condition suffisante de libération parce que les femmes sont prolétarisées comme femmes. Contre les socialistes utopiques qui exaltent le travail domestique et le rôle de Femmes comme Mères, Engels écrit : la famille conjugale moderne est fondée sur l’esclavage domestique avoué ou voilé des femmes. - pas de théorie de l’oppression spécifique des femmes : Les conditions de la reproduction sont absentes, cela s’explique par le fait que le capitalisme opère la séparation radicale entre l’univers de la production et de la reproduction. Marx le rencontre les femmes que par leur entrée dans la manufacture. La famille est considérée comme un legs du passé : transmission de l’héritage aux enfants reconnus comme légitimes, monogamie, enrichissement par la dot de la femme. - trois lacunes dans la théorie marxistes :

   • L’utilisation différenciée de la force de travail féminine
   • L’apparition d’une famille bourgeoise adaptée au nouveau mode de production
   • La nature des rapports sociaux entre les sexes

- une conclusion stratégique : importance d’un mouvement des femmes autunome.

1. Utilisation de la force du travail des femmes. Accumulation de surprofits à l’aube du capitalisme industriel : « Quand le capital s’empara de la machine, son cri fut : du travail de femmes, du travail d’enfants ! » Mais ce travail des femmes dociles, dépendantes, précaires et sous qualifiées, est un phénomène conjoncturel tandis que la surexploitation de la main-d’œuvre féminine est resté un élément structurel jusqu’à aujourd’hui, dans le capitalisme du troisième âge. La valeur de la force de travail. Marx : « La valeur de la force de travail est déterminée par les frais d’entretien de l’ouvrier et de sa famille ». Le salaire féminin est amputé de la partie que les hommes reçoivent pour entretenir leur famille, en plus d’eux-mêmes. La société préfère ‘assister’ des millions de femmes – allocations aux veuves, aux mères célibataires, divorcées – plutôt que de rétribuer la force de travail féminine à l’égal à celle des hommes. Le salaire des femmes, continue à être vu comme un salaire d’appoint, ceci procède des exigences d’accumulation du profit. Les femmes sont donc surexploitées en tant que salariées. Cette surexploitation tire sa légitimité de la famille, instance en dehors de la sphère de production, c’est la famille qui constitue les femmes en groupe opprimé.

2. Nouvelle famille bourgeoise. Marx et Engels pensaient que la famille bourgeoise allait disparaître à courte échéance. Le « capitalisme sauvage » avait séparé l’ouvrier/ère de sa famille paysanne. La famille apparaissait comme un reliquat des rapports sociaux précapitalistes. Marx et Engels ont pris le phénomène conjoncturel de destruction de la famille ancienne dans la prolétarisation, comme un phénomène structurel. Mais le capitalisme a, dans sa deuxième phase, reconstruit une famille : la famille ouvrière sur le modèle « bourgeois » s’est construite autour des tâches de reproduction de la force de travail (qui ne pouvaient pas être socialisées) et de l’idéal de la maternité étendu à la femme ouvrière. Les tâches de reproduction de la force de travail que le capital ne peut alors socialiser, continuent à être assumées dans le cadre privé. Le statut de la femme est le résultat du lien entre le travail reproductif effectué par elles dans la famille et leur insertion dans le marché du travail. Les tâches domestiques réalisées dans le cadre privé, sont une source énorme d’économie de capital : le sursalaire masculin (différence avec le salaire féminin) n’atteint jamais le montant des heures du travail ménager. Dans le capitalisme du troisième âge, le règne des marchandises s’étend à de larges secteurs de la reproduction : vêtements, nourriture, laveries, … Le travail des femmes dans l’industrie capitaliste accroît directement la production de marchandises supplémentaires et de plus-value. Si une part des marchandises ainsi produites est consommée par les familles des travailleurs en remplacement des services domestiques autrefois rendus gratuitement par la maîtresse de maison, ceci est tout bénéfice du capital car ceci facilite la réalisation de la plus-value. La spécificité de la famille bourgeoise actuelle : coupure entre l’homme privé et le producteur/citoyen ; individualisme bourgeois et en même temps un lieu de solidarité affective minimale ; assure la socialisation des enfants ; on se marie par amour, la famille reste la valeur refuge. La participation des femmes à la production pour le marché, l’accès à des niveaux d’études identiques, le discours bourgeois sur l’égalité formelle sont entrés en contradiction avec le statut d’opprimées des femmes dans le travail et la famille. Phénomène qui est loin d’être achevé et dans lequel l’intervention consciente des femmes organisées est un élément décisif.

3. Rapports sociaux entre les sexes. Certaines féministes ont parlé d’exploitation des femmes par les hommes à travers le travail domestique ou d’un système patriarcal en parallèle au système capitaliste. La notion d’appropriation de la force du travail des femmes pour les tâches productives et reproductives par les hommes nous paraît opérante pour les sociétés préclassistes ; elle se discute, au cas par cas, pour des formations sociales classistes, non capitalistes. Elle ne vaut pas pour le capitalisme. Exploitation suppose ponction de plus-value dans le cadre de la production pour le marché et séparation radicale entre possesseur du Capital et travailleur. Rien de tel dans le cadre du travail domestique. Il se réalise dans le cadre privé, hors marché, hors critères de rentabilité ; il s’agit d’un service rendu par l’épouse à l’époux. - La force de travail féminine est surexploitée sur le marché du travail : salaires, statuts, armée de réserve et précarité, carrière, etc. - La travail domestique est gratuit et représente une économie importante sur l’entretien global de la force de travail. - Ceci est possible grâce au statut dévalorisé de toutes les femmes à tous les niveaux de la société, c'est-à-dire grâce à l’oppression spécifique en tant que femmes. Le système capitaliste a repris en l’adaptant, l’oppression millénaire des femmes. Les hommes se sont vus garantir un statut collectif d’oppresseurs, avec des miettes de plus-value (salaires plus élevés) et des privilèges sociaux (ne pas accomplir le travail domestique) et idéologiques.


4. Luttes contre l’oppression spécifique, importance de la lutte indépendante par les femmes, rôle stratégique du mouvement de la libération des femmes pour la révolution et pour la construction d’une société socialiste. Le rapport homme/femme joue un rôle majeur dans la structuration de la personnalité individuelle. L’origine de la domination des femmes par les hommes, est plus ancienne que l’émergence des sociétés de classe, comme toute recherche anthropologique dans des sociétés préclassistes nous a montré. Cette domination qu’on peut appeler « patriarcale » a perduré, sous des formes précises différentes, dans toutes les sociétés de classe connues. Le capitalisme est le premier mode de production qui établit une séparation radicale entre la sphère privée et la sphère publique. Ce système a intégré, dans le cadre de sa recherche de plus-value, les anciennes formes d’oppression des femmes dans son système de production et de reproduction. C’est dans la famille que se trouve le nœud de l’oppression des femmes. Le système capitalisme « profite » du travail domestique gratuit des femmes tout aussi bien du statut inférieur des femmes dans la société. Les femmes sont doublement exploitées en tant que salariées, l’oppression spécifique s’exprime dans le rôle central des femmes dans leur famille et l’acceptation de leur double exploitation. Le mouvement autonome des femmes des années post 68 a su analyser les phénomènes d’oppression spécifique grâce aux luttes à tous les niveaux.

Pour réussir se libérer d’une oppression séculaire et pour donner un contenu nouveau au concept de libération, il ne suffit pas d’attendre la révolution socialiste. Cette révolution doit impliquer dès le début les luttes des femmes qui forment désormais la quasi moitié de la classe des salarié.e.s. Mais cette lutte pour le socialisme doit en même temps intégrer la libération des femmes comme partie intégrante du contenu du concept de « socialisme ». La critique de la famille doit aller plus loin qu’une critique des aspects « bourgeois », elle doit aussi mettre en avant des lignes de force pour qu’une vraie libération des femmes soit mise à l’ordre du jour :

   • revendications d’égalité dans la pratique et pas seulement égalité formelle
   • revendications concernant le travail domestique : sa socialisation
   • importance des luttes et des revendications de « démarchandisation » : services publics gratuits de proximité, sous contrôle et des salarié.e.s et des utilisateurs/trices 

L’importance d’un mouvement autonome des femmes : c’est une question stratégique aussi bien pour un renversement de la société capitaliste que pour le début de la construction de la société socialiste que nous voulons.


« La perspective communiste exige aussi un changement radical du rapport entre l'homme et la femme : l'expérience du rapport entre les genres est la première expérience de l'altérité, et aussi longtemps que subsistera ce rapport d'oppression, tout être différent, par sa culture, sa couleur, ou son orientation sexuelle, sera victime de formes de discrimination et de domination. » Daniel Bensaïd


Cinzia Arruzza - Au-delà des doubles standards : vers une véritable politique de libération des femmes

Alexandra Kollontaï - La famille et l'Etat communiste