Exposé: La classe ouvrière comme sujet d'un rapport social: Difference between revisions
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Cet exposé est conçu autour de trois thèmes, la notion de rapport social, la composition de la classe ouvrière comme résultante des rapports sociaux et la | Cet exposé est conçu autour de trois thèmes, la notion de rapport social, la composition de la classe ouvrière comme résultante des rapports sociaux et la | ||
construction de la classe ouvrière comme sujet des rapports sociaux.<br> | construction de la classe ouvrière comme sujet des rapports sociaux.<br> | ||
Deux annexes (bibliographie et étude de la composition sociale de quelques pays)complètent cette série d’exposés.<br> | |||
'''Exposé 1 : la notion de rapport social'''<br> | '''Exposé 1 : la notion de rapport social'''<br> | ||
Notre combat quotidien s’alimente de nos résistances à toutes les formes d’oppression.<br> | Notre combat quotidien s’alimente de nos résistances à toutes les formes d’oppression.<br> | ||
Lorsqu’on est ouvrier, femme, immigré, handicapé, jeune, homosexuel (le)s, ou de tout autre | Lorsqu’on est ouvrier, femme, immigré, handicapé, jeune, homosexuel (le)s, ou de tout autre | ||
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dans la société capitaliste ? Comment bâtir des résistances collectives ? <br>Pour répondre à ces | dans la société capitaliste ? Comment bâtir des résistances collectives ? <br>Pour répondre à ces | ||
questions, nous nous appuierons spécialement sur la notion de rapport social.<br> | questions, nous nous appuierons spécialement sur la notion de rapport social.<br> | ||
1/ Quelques définitions : identité, rapport social, domination<br> | |||
'''1/ Quelques définitions''' : identité, rapport social, domination<br> | |||
La domination : C’est l’acte par lequel un groupe impose à un autre des situations non | La domination : C’est l’acte par lequel un groupe impose à un autre des situations non | ||
voulues. « Le rapport de domination est un rapport social dissymétrique entre (au moins) | voulues.<br> « Le rapport de domination est un rapport social dissymétrique entre (au moins) | ||
deux protagonistes dont l’un est en capacité d’imposer à l’autre (au travers d’une dynamique | deux protagonistes dont l’un est en capacité d’imposer à l’autre (au travers d’une dynamique | ||
entre contrainte et consentement) un jeu et les règles du jeu, incluant les catégories de | entre contrainte et consentement) un jeu et les règles du jeu, incluant les catégories de | ||
pensées et d’action »1. | pensées et d’action »1.<br> | ||
Identités : Nous avons tous plusieurs identités : chacun « est » homme ou femme, blanc ou | '''Identités''' : Nous avons tous plusieurs identités : chacun « est » homme ou femme, blanc ou | ||
noir, jeune ou ancien, etc. C’est la reconnaissance, l’impression d’appartenance à un groupe | noir, jeune ou ancien, etc. C’est la reconnaissance, l’impression d’appartenance à un groupe | ||
social, plus ou moins défini, qui donne | social, plus ou moins défini, qui donne l’identité 2.<br> La diversité identitaire humaine se déploie | ||
sur des échelles, le plus souvent binaires, entre ce qu’est être homme ou femme, blanc ou | sur des échelles, le plus souvent binaires, entre ce qu’est être homme ou femme, blanc ou | ||
noir, jeune ou ancien. Toutes catégories dont la définition est variable d’une culture à l’autre, | noir, jeune ou ancien. Toutes catégories dont la définition est variable d’une culture à l’autre, | ||
selon les périodes historiques. | selon les périodes historiques.<br> | ||
On peut donc combiner les oppressions : gays dans les cités, jeune immigrée,… | On peut donc combiner les oppressions : gays dans les cités, jeune immigrée,…<br> | ||
Les groupes, tels que les identités collectives les définissent, ont des caractéristiques plus ou | Les groupes, tels que les identités collectives les définissent, ont des caractéristiques plus ou | ||
moins réelles, octroyées par les autres ou par lui-même. | moins réelles, octroyées par les autres ou par lui-même.<br> | ||
1 Paul Bouffartigues, Le retour des classes sociales, inégalités, dominations, conflits, 2004 p 271 | 1 Paul Bouffartigues, Le retour des classes sociales, inégalités, dominations, conflits, 2004 p 271<br> | ||
2 Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998. | 2 Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998.<br> | ||
Rapports sociaux : On se situe tous au centre de différents rapports sociaux. | '''Rapports sociaux''' : On se situe tous au centre de différents rapports sociaux.<br> | ||
Homme Bourgeois Blanc Hétérosexuel Bien Portant Intellectuel | |||
Femme Ouvrier Noir / Beur Homosexuel Handicapé Manuel | Homme Bourgeois Blanc Hétérosexuel Bien Portant Intellectuel<br> | ||
On peut définir la notion de rapport à partir de plusieurs caractéristiques : | Femme Ouvrier Noir / Beur Homosexuel Handicapé Manuel<br> | ||
On peut définir la notion de rapport à partir de plusieurs caractéristiques :<br> | |||
· Dans un rapport social, il n’y a pas une relation entre deux groupes préexistants, mais un | · Dans un rapport social, il n’y a pas une relation entre deux groupes préexistants, mais un | ||
rapport qui construit les deux groupes. Dit autrement, les deux groupes se construisent | rapport qui construit les deux groupes. Dit autrement, les deux groupes se construisent | ||
dans la confrontation. Le salariat n’existait pas avant la bourgeoisie : la classe ouvrière est | dans la confrontation.<br> Le salariat n’existait pas avant la bourgeoisie : la classe ouvrière est | ||
apparue quand des propriétaires de moyens de production ont eu besoin de faire travailler | apparue quand des propriétaires de moyens de production ont eu besoin de faire travailler | ||
des salariés dans leurs usines. Dans le rapport hommes / femmes, c’est autant le groupe | des salariés dans leurs usines.<br> Dans le rapport hommes / femmes, c’est autant le groupe | ||
des femmes opprimées, que celui des hommes (virils, dominateurs), qui se définissent. | des femmes opprimées, que celui des hommes (virils, dominateurs), qui se définissent.<br> | ||
''C'est dans le rapport que les protagonistes se produisent et s'engendrent'' 3.<br> Le rapport | |||
social entre homosexuels et hétérosexuels se construit autour de l’ordre moral | social entre homosexuels et hétérosexuels se construit autour de l’ordre moral | ||
(ordre moral et ordre social vont de paire). | (ordre moral et ordre social vont de paire).<br> | ||
· Le rapport social se construit autour d’un enjeu4. L’affrontement se joue autour de deux | · Le rapport social se construit autour d’un enjeu4. <br>L’affrontement se joue autour de deux | ||
dimensions : d’une part affrontement entre les protagonistes ; d’autre part affrontement | dimensions : d’une part affrontement entre les protagonistes ; d’autre part affrontement | ||
autour d’un enjeu. Dans le rapport bourgeoisie / ouvriers, cet enjeu va être l’exploitation ; | autour d’un enjeu.<br> Dans le rapport bourgeoisie / ouvriers, cet enjeu va être l’exploitation ;<br> | ||
dans le rapport hommes / femmes, la division sexuelle du travail qui se traduit par | dans le rapport hommes / femmes, la division sexuelle du travail qui se traduit par | ||
l’assignation des femmes à des tâches précises dans la sphère de la production ou de la | l’assignation des femmes à des tâches précises dans la sphère de la production ou de la | ||
reproduction (services marchands ou dans la famille), et l’attribution des fonctions | reproduction (services marchands ou dans la famille), et l’attribution des fonctions | ||
publiques et des rôles de pouvoir aux hommes. | publiques et des rôles de pouvoir aux hommes.<br> | ||
· Certains de ces rapports sont antagoniques, irréconciliables. C’est le cas du rapport | · Certains de ces rapports sont antagoniques, irréconciliables.<br> C’est le cas du rapport | ||
bourgeoisie / ouvrier, dont l’enjeu est l’exploitation d’un groupe par l’autre (même si il | bourgeoisie / ouvrier, dont l’enjeu est l’exploitation d’un groupe par l’autre (même si il | ||
peut se créer des compromis forcément instables). Mais notre stratégie d’émancipation | peut se créer des compromis forcément instables). Mais notre stratégie d’émancipation | ||
vise à dépasser par exemple l’antagonisme hommes / femmes. | vise à dépasser par exemple l’antagonisme hommes / femmes.<br> | ||
Toute la société est concernée par ces rapports sociaux et ces antagonismes : c’est | Toute la société est concernée par ces rapports sociaux et ces antagonismes : c’est | ||
l’organisation sociale qui est transformée par la division sexuelle du | l’organisation sociale qui est transformée par la division sexuelle du travail 5.<br> Ce sont | ||
d’ailleurs ces dimensions qui définissent les êtres humains : l’espèce humaine, l’existence est | d’ailleurs ces dimensions qui définissent les êtres humains : l’espèce humaine, l’existence est | ||
formée de l’ensemble des rapports sociaux. « L'essence de l'homme n'est pas une abstraction | formée de l’ensemble des rapports sociaux.<br> « L'essence de l'homme n'est pas une abstraction | ||
inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » (Marx, | inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » (Marx, | ||
6e thèse sur Feuerbach.). Les relations interpersonnelles s’inscrivent forcément dans ce cadre. | 6e thèse sur Feuerbach.). Les relations interpersonnelles s’inscrivent forcément dans ce cadre.<br> | ||
2/ Multiplicité des identités, des appartenances de groupes. | |||
'''2/ Multiplicité des identités, des appartenances de groupes.'''<br> | |||
La liberté de chacun est de choisir le mode d’insertion dans ces relations humaines. Chacun a | La liberté de chacun est de choisir le mode d’insertion dans ces relations humaines. Chacun a | ||
heureusement la faculté de refuser ces dominations, de vouloir faire évoluer ces rapports | heureusement la faculté de refuser ces dominations, de vouloir faire évoluer ces rapports | ||
sociaux même si par exemple, la relation d’un couple mixte s’inscrit dans un rapport social | sociaux même si par exemple, la relation d’un couple mixte s’inscrit dans un rapport social | ||
hommes / femmes, qui concerne autant la dimension privée, professionnelle, familiale. | hommes / femmes, qui concerne autant la dimension privée, professionnelle, familiale.<br> | ||
3 Philippe Zarifian, rapport social de service et capitalisme, 2005, http://pagespersoorange. | 3 Philippe Zarifian, rapport social de service et capitalisme, 2005, http://pagespersoorange. | ||
fr/philippe.zarifian/page123.htm | fr/philippe.zarifian/page123.htm<br> | ||
4 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute, | 4 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute, | ||
2007, p 300. | 2007, p 300.<br> | ||
5 Qui devient un « fait social total », suivant le terme de M. Mauss, qui concerne toute la société. | 5 Qui devient un « fait social total », suivant le terme de M. Mauss, qui concerne toute la société.<br> | ||
Chacun « joue » aussi entre ses multiples identités. Chaque individu a des identités multiples. | Chacun « joue » aussi entre ses multiples identités. Chaque individu a des identités multiples. | ||
Suivant la conjoncture, une identité peut devenir prépondérante. On peut se définir vis-à-vis | Suivant la conjoncture, une identité peut devenir prépondérante. On peut se définir vis-à-vis | ||
des autres comme femme, homme, homosexuel, beur gay, handicapé femme, etc. Qu’est-ce | des autres comme femme, homme, homosexuel, beur gay, handicapé femme, etc.<br> Qu’est-ce | ||
qui fait qu’on a choisit une identité, que l’on met en avant tel dimension de notre personnalité | qui fait qu’on a choisit une identité, que l’on met en avant tel dimension de notre personnalité | ||
sociale ? | sociale ?<br> | ||
Deux éléments centraux apparaissent. D’abord ces identités sont collectives : on s’attribue des | Deux éléments centraux apparaissent. D’abord ces identités sont collectives : on s’attribue des | ||
éléments qui nous identifient à un groupe social. Elles sont par ailleurs évolutives : les | éléments qui nous identifient à un groupe social. Elles sont par ailleurs évolutives : les | ||
caractéristiques du groupe sont données par les rapports sociaux à un moment donné. Ce sont | caractéristiques du groupe sont données par les rapports sociaux à un moment donné. Ce sont | ||
des situations sociales qui définissent les identités particulières, des rapports entre des groupes | des situations sociales qui définissent les identités particulières, des rapports entre des groupes | ||
sociaux. | sociaux.<br> | ||
On peut être simultanément femme, ouvrière, blanche, etc. On peut être inscrits dans des | On peut être simultanément femme, ouvrière, blanche, etc. On peut être inscrits dans des | ||
rapports sociaux de domination tantôt du côté dominant, tantôt de l’autre. La relation entre | rapports sociaux de domination tantôt du côté dominant, tantôt de l’autre. La relation entre | ||
l’ouvrier et la femme de l’ouvrier s’inscrit dans des rapports de domination. | l’ouvrier et la femme de l’ouvrier s’inscrit dans des rapports de domination.<br> | ||
Les oppressions ont des caractéristiques communes. Elles se traduisent à la fois par : | Les oppressions ont des caractéristiques communes. Elles se traduisent à la fois par :<br> | ||
o Une absence de droits pour les populations dominées | o Une absence de droits pour les populations dominées<br> | ||
o Une violence symbolique conduisant à accepter la situation | o Une violence symbolique conduisant à accepter la situation<br> | ||
o Une violence physique qui complète cette violence symbolique | o Une violence physique qui complète cette violence symbolique<br> | ||
o Une stigmatisation par le dénigrement systématique du groupe opposé. « Les femmes | o Une stigmatisation par le dénigrement systématique du groupe opposé.<br> « Les femmes | ||
ont été invariablement dénoncées comme bavardes, coquettes, émotives, incapables de | ont été invariablement dénoncées comme bavardes, coquettes, émotives, incapables de | ||
réfléchir, bref comme un "moindre mâle"6 mais appréciées pour leur « douceur » etc. | réfléchir, bref comme un "moindre mâle"6 mais appréciées pour leur « douceur » etc.<br> | ||
Les colonisés par l’Europe ou les noirs aux Etats-Unis ont toujours été réputés « | Les colonisés par l’Europe ou les noirs aux Etats-Unis ont toujours été réputés « | ||
paresseux ». Les prolétaires du dix-neuvième siècle furent quant à eux considérés | paresseux ».<br> Les prolétaires du dix-neuvième siècle furent quant à eux considérés | ||
comme des « brutes » ou des alcooliques par nature »7 | comme des « brutes » ou des alcooliques par nature »7<br> | ||
o Une naturalisation de la différence : votre oppression est liée à vos caractéristiques | o Une naturalisation de la différence : votre oppression est liée à vos caractéristiques | ||
naturelles, qui la justifient. | naturelles, qui la justifient.<br> | ||
o Une hiérarchisation de ces différences (c’est mieux d’être blanc que noir). | o Une hiérarchisation de ces différences (c’est mieux d’être blanc que noir).<br> | ||
o Et un certain nombre de ces dominations, nous y reviendrons, se combinent avec une | o Et un certain nombre de ces dominations, nous y reviendrons, se combinent avec une | ||
exploitation économique. | exploitation économique.<br> | ||
Certains mettent en avant une oppression qui leur semble prioritaire par rapport aux autres. | Certains mettent en avant une oppression qui leur semble prioritaire par rapport aux autres. | ||
Cette démarche est souvent doublée par l’idée qu’une appartenance serait prioritaire, et | Cette démarche est souvent doublée par l’idée qu’une appartenance serait prioritaire, et | ||
définirait une communauté qui porterait l’identité principale (unique ?) de la personne. Il faut | définirait une communauté qui porterait l’identité principale (unique ?) de la personne. <br>Il faut | ||
rappeler quelques caractéristiques du système communautaire : ces groupes sont non | rappeler quelques caractéristiques du système communautaire : ces groupes sont non | ||
démocratiques, marqués par le poids de leaders. Ils s’enferment dans des normes rigides, | démocratiques, marqués par le poids de leaders. Ils s’enferment dans des normes rigides, | ||
impératives. Le repli et l’opposition aux autres groupes deviennent facilement dominants. Les | impératives. Le repli et l’opposition aux autres groupes deviennent facilement dominants.<br>Les | ||
institutions peuvent être porteuses de mécanismes qui participent de la construction de | institutions peuvent être porteuses de mécanismes qui participent de la construction de | ||
groupes particuliers (par exemple par la répartition discriminante des logements, voir les | groupes particuliers (par exemple par la répartition discriminante des logements, voir les | ||
écrits de Loïc Wacquant). Elles cristallisent les rapports sociaux dans des mécanismes | écrits de Loïc Wacquant). Elles cristallisent les rapports sociaux dans des mécanismes | ||
d’exclusion et de discrimination. | d’exclusion et de discrimination.<br> | ||
Mais l’affirmation du groupe peut aussi être la voie choisie pour construire un rapport de | Mais l’affirmation du groupe peut aussi être la voie choisie pour construire un rapport de | ||
force, il est vécu alors comme un point d’appui pour se battre et se faire reconnaître. | force, il est vécu alors comme un point d’appui pour se battre et se faire reconnaître.<br> | ||
6 Voir Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007. | 6 Voir Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007.<br> | ||
7 Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007. | 7 Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007.<br> | ||
3/ Centralité du rapport capital / travail | '''3/ Centralité du rapport capital / travail'''<br> | ||
Dans la société capitaliste, le rapport Capital / travail est un rapport social qui englobe tous les | Dans la société capitaliste, le rapport Capital / travail est un rapport social qui englobe tous les | ||
rapports sociaux. | rapports sociaux.<br> | ||
Capital | Capital<br> | ||
Bourgeois Homme Blanc Hétérosexuel Bien Portant | Bourgeois Homme Blanc Hétérosexuel Bien Portant<br> | ||
Ouvrier Femme Noir / Beur Homosexuel handicapé | Ouvrier Femme Noir / Beur Homosexuel handicapé<br> | ||
Travail | Travail<br> | ||
Ce rapport Capital / Travail combine donc un rapport social d’exploitation, qui s’applique à | Ce rapport Capital / Travail combine donc un rapport social d’exploitation, qui s’applique à | ||
toute la société, et un rapport de domination qui englobe l’ensemble des rapports sociaux et | toute la société, et un rapport de domination qui englobe l’ensemble des rapports sociaux et | ||
leur donne une forme particulière. | leur donne une forme particulière.<br> | ||
L’exploitation se nourrit des différentes oppressions et permet la sur-exploitation de certains | L’exploitation se nourrit des différentes oppressions et permet la sur-exploitation de certains | ||
groupes sociaux. | groupes sociaux.<br> | ||
⇒ L’oppression de la classe ouvrière a une base économique : les « prolétaires » sont | ⇒ L’oppression de la classe ouvrière a une base économique : les « prolétaires » sont | ||
obligés d’aller vendre leur force de travail, unique moyen de subsistance. Mais ceci ne | obligés d’aller vendre leur force de travail, unique moyen de subsistance. Mais ceci ne | ||
Line 136: | Line 140: | ||
les ouvriers acceptent la domination. « La classe sociale n’est pas définie seulement | les ouvriers acceptent la domination. « La classe sociale n’est pas définie seulement | ||
par une position dans les rapports de production, mais par l’habitus de classe qui est | par une position dans les rapports de production, mais par l’habitus de classe qui est | ||
« normalement » (…) associé à cette position »8. | « normalement » (…) associé à cette position »8.<br> | ||
⇒ L’oppression des femmes permet de confiner les femmes dans les tâches liées à la | ⇒ L’oppression des femmes permet de confiner les femmes dans les tâches liées à la | ||
reproduction de la force de travail, de déqualifier le travail des femmes : un mode de | reproduction de la force de travail, de déqualifier le travail des femmes : un mode de | ||
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vise à faire croire au salaire féminin comme apport annexe dans le foyer. Ces éléments | vise à faire croire au salaire féminin comme apport annexe dans le foyer. Ces éléments | ||
se combinent pour justifier le moindre paiement des femmes, amenant donc une | se combinent pour justifier le moindre paiement des femmes, amenant donc une | ||
surexploitation. | surexploitation.<br> | ||
⇒ L’oppression raciale vise à justifier le maintien « en bas de l’échelle », dans des | ⇒ L’oppression raciale vise à justifier le maintien « en bas de l’échelle », dans des | ||
emplois subalterne, de manutention, de nettoyage, d’une catégorie de la population. | emplois subalterne, de manutention, de nettoyage, d’une catégorie de la population. | ||
Elle conduit à justifier la moindre reconnaissance dans toute la société. Par exemple, | Elle conduit à justifier la moindre reconnaissance dans toute la société. Par exemple, | ||
les jeunes immigrés représentent une armée de réserve qui pèse sur les salaires. | les jeunes immigrés représentent une armée de réserve qui pèse sur les salaires.<br> | ||
⇒ Les autres formes d’oppression peuvent aussi se combiner au rapport d’exploitation, | ⇒ Les autres formes d’oppression peuvent aussi se combiner au rapport d’exploitation, | ||
comme la catégorie de « travailleurs handicapés qui justifie des salaires moindres | comme la catégorie de « travailleurs handicapés qui justifie des salaires moindres<br> | ||
8 P. Bourdieu, La distinction, Critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007, p 433. | 8 P. Bourdieu, La distinction, Critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007, p 433.<br> | ||
(France : 50 % du salaire dans les centres spécialisés), ou l’exclusion du marché du | (France : 50 % du salaire dans les centres spécialisés), ou l’exclusion du marché du | ||
travail (Grande Bretagne). Mais les trois premières formes d’oppressions sont | travail (Grande Bretagne). Mais les trois premières formes d’oppressions sont | ||
Line 160: | Line 164: | ||
L’expérience première du monde social est celle de la doxa, adhésion aux relations d’ordre | L’expérience première du monde social est celle de la doxa, adhésion aux relations d’ordre | ||
qui, parce qu’elles fondent inséparablement le monde réel et le monde pensé, sont acceptées | qui, parce qu’elles fondent inséparablement le monde réel et le monde pensé, sont acceptées | ||
comme allant de soi »9 | comme allant de soi »9<br> | ||
· Les ouvriers ont une situation d’exploitation parce qu’ils n’ont pas le diplôme qui | · Les ouvriers ont une situation d’exploitation parce qu’ils n’ont pas le diplôme qui | ||
permette de faire autre chose Un des mécanismes repose sur l’idée de renvoyer aux | permette de faire autre chose Un des mécanismes repose sur l’idée de renvoyer aux | ||
opprimés la responsabilité de leur situation : « L’école ou la reconnaissance du mérite | opprimés la responsabilité de leur situation : « L’école ou la reconnaissance du mérite | ||
permettent de s’élever ; si les ouvriers restent ouvriers c’est qu’ils sont moins | permettent de s’élever ; si les ouvriers restent ouvriers c’est qu’ils sont moins | ||
compétents. » | compétents. »<br> | ||
· Les femmes s’occupent des enfants parce qu’elles sont « naturellement » aptes à le | · Les femmes s’occupent des enfants parce qu’elles sont « naturellement » aptes à le | ||
faire. Les hommes occupent la sphère publique qui leur est dédiée. | faire. Les hommes occupent la sphère publique qui leur est dédiée.<br> | ||
· Les immigrés occupent le « bas de l’échelle », ils font le « sale boulot » parce qu’ils | · Les immigrés occupent le « bas de l’échelle », ils font le « sale boulot » parce qu’ils | ||
sont immigrés. | sont immigrés.<br> | ||
· Les travailleurs manuels ne sont pas aptes à réfléchir, ils n’en ont pas les capacités. | · Les travailleurs manuels ne sont pas aptes à réfléchir, ils n’en ont pas les capacités. | ||
La tension principale se joue au niveau de la division du travail10, bien plus que sur la | La tension principale se joue au niveau de la division du travail10, bien plus que sur la | ||
Line 178: | Line 182: | ||
qu’infirmière)11. La séparation se traduit par des professions masculines ou féminines, telles | qu’infirmière)11. La séparation se traduit par des professions masculines ou féminines, telles | ||
que chirurgien ou infirmière. La hiérarchisation des tâches amène à valoriser davantage la | que chirurgien ou infirmière. La hiérarchisation des tâches amène à valoriser davantage la | ||
position du chirurgien que celle de l’infirmière. | position du chirurgien que celle de l’infirmière.<br> | ||
La logique du rapport antagonique Capital / travail prime sur le reste. L’oppression conduit à | La logique du rapport antagonique Capital / travail prime sur le reste. L’oppression conduit à | ||
une « surexploitation » de certains groupes (femmes ouvrière immigrée par exemple). La base | une « surexploitation » de certains groupes (femmes ouvrière immigrée par exemple). La base | ||
économique de l’oppression est donc l’exploitation. Elle repose sur des mécanismes | économique de l’oppression est donc l’exploitation. Elle repose sur des mécanismes | ||
permanents de divisions des salariés entre eux, d’opposition. | permanents de divisions des salariés entre eux, d’opposition.<br> | ||
Il faut inclure à cette approche globale des oppressions la dimension profondément intégrée | Il faut inclure à cette approche globale des oppressions la dimension profondément intégrée | ||
dans nos sociétés de ces rapports de domination. Cette force tient au fait notamment que le | dans nos sociétés de ces rapports de domination. Cette force tient au fait notamment que le | ||
capitalisme se réapproprie les oppressions des systèmes précapitalistes, leur donne une forme | capitalisme se réapproprie les oppressions des systèmes précapitalistes, leur donne une forme | ||
particulière, leur fixe des enjeux différents (tels que l’inscription dans des rapports | particulière, leur fixe des enjeux différents (tels que l’inscription dans des rapports | ||
d’exploitation), les nourrit en permanence par des mécanismes divers. L’oppression des | d’exploitation), les nourrit en permanence par des mécanismes divers.<br> L’oppression des | ||
femmes, le racisme ne se réduisent pas à des rapports d’exploitation. Racisme, mépris des | femmes, le racisme ne se réduisent pas à des rapports d’exploitation. Racisme, mépris des | ||
ouvriers, machisme, etc. C’est pourquoi résoudre les questions d’exploitation ne conduit pas | ouvriers, machisme, etc. C’est pourquoi résoudre les questions d’exploitation ne conduit pas | ||
à résoudre les oppressions. La révolution ne signera pas la fin de l’oppression des femmes, ni | à résoudre les oppressions. La révolution ne signera pas la fin de l’oppression des femmes, ni | ||
les réflexes vis-à-vis de « l’étranger ». | les réflexes vis-à-vis de « l’étranger ».<br> | ||
9 P. Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007 p 549. | 9 P. Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007 p 549.<br> | ||
10 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute, | 10 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute, | ||
2007, p 300. | 2007, p 300.<br> | ||
11 Voir l’article de D Kergoat, Rapports sociaux et division du travail entre les sexes, in Femmes genre et société, | 11 Voir l’article de D Kergoat, Rapports sociaux et division du travail entre les sexes, in Femmes genre et société, | ||
l’état des savoirs, 2005, p 94-101. | l’état des savoirs, 2005, p 94-101.<br> | ||
Ces rapports d’oppression et d’exploitation sont des rapports sociaux, qui ne résument | '''Ces rapports d’oppression et d’exploitation sont des rapports sociaux, qui ne résument | ||
pas à une situation de famille ou de travail mais structurent toute la société. Pour | pas à une situation de famille ou de travail mais structurent toute la société.<br> Pour | ||
appréhender la classe ouvrière, il faut la comprendre comme un produit de ces rapports | appréhender la classe ouvrière, il faut la comprendre comme un produit de ces rapports | ||
sociaux. | sociaux.'''<br> | ||
Exposé 2 : | '''Exposé 2 : La composition de la classe ouvrière'''<br> | ||
La composition de la classe ouvrière | |||
La tradition marxiste donne une place centrale à la classe ouvrière dans les processus de | La tradition marxiste donne une place centrale à la classe ouvrière dans les processus de | ||
transformation de la société. Cette partie vise à comprendre, à partir de l’analyse des classes | transformation de la société. Cette partie vise à comprendre, à partir de l’analyse des classes | ||
sociales dans notre monde tel qu’il est, les processus de constitution de cette classe ouvrière, | sociales dans notre monde tel qu’il est, les processus de constitution de cette classe ouvrière, | ||
comme groupe socioprofessionnel, comme classe sociale mais surtout comme produit d’un | comme groupe socioprofessionnel, comme classe sociale mais surtout comme produit d’un | ||
rapport social. | rapport social.<br> | ||
1/ La composition de la classe ouvrière | |||
'''1/ La composition de la classe ouvrière'''<br> | |||
Définir le périmètre de la classe ouvrière, comme on va le voir, est essentiellement une | Définir le périmètre de la classe ouvrière, comme on va le voir, est essentiellement une | ||
question politique et non pas économique ou sociologique. Cerner la classe ouvrière permet | question politique et non pas économique ou sociologique. Cerner la classe ouvrière permet | ||
d’entrer dans une compréhension de ce qu’est une classe sociale. | d’entrer dans une compréhension de ce qu’est une classe sociale.<br> | ||
a) Il existe une définition stricte de la classe ouvrière, assimilée aux seuls | a) Il existe une définition stricte de la classe ouvrière, assimilée aux seuls | ||
''ouvriers''<br> | |||
Il existe une définition très restrictive de la classe ouvrière : elle recouvrerait les seuls salariés | Il existe une définition très restrictive de la classe ouvrière : elle recouvrerait les seuls salariés | ||
de l’industrie, et parmi eux les | de l’industrie, et parmi eux les ''producteurs de plus-value''. Certains d’entre nous défendent | ||
cette thèse. | cette thèse.<br> | ||
Pour ces camarades, le travail improductif n’est pas forcément moins utile socialement | Pour ces camarades, le travail improductif n’est pas forcément moins utile socialement | ||
que le travail productif. Le fait qu’un salarié ne produise pas de plus–value ne signifie | que le travail productif. Le fait qu’un salarié ne produise pas de plus–value ne signifie | ||
pas que le capitaliste ne lui extorque pas de surtravail ainsi que Marx l’a noté dans Le | pas que le capitaliste ne lui extorque pas de surtravail ainsi que Marx l’a noté dans Le | ||
Capital (livre III, tome 3) à propos des salariés du secteur commercial : ce type de | Capital (livre III, tome 3) à propos des salariés du secteur commercial : ce type de | ||
salarié | salarié''rapporte au capitaliste, non parce qu’il crée directement de la plus-value, | ||
mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en | mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en | ||
accomplissant du travail en partie non-payé | accomplissant du travail en partie non-payé''. Ils font donc partie des exploités. C’est | ||
aussi la thèse défendue par E. Mandel : | aussi la thèse défendue par E. Mandel : ''L’échange même, c‘est–à-dire la | ||
concurrence, c'est-à-dire le mouvement dans la sphère de circulation, ne peuvent | concurrence, c'est-à-dire le mouvement dans la sphère de circulation, ne peuvent | ||
créer la moindre atome de plus-value | créer la moindre atome de plus-value''12.<br> | ||
Qui crée de la plus-value ? | Qui crée de la plus-value ?<br> | ||
Les ouvriers de l’industrie ne sont pas les seuls à créer de la plus-value. C’est le cas des | Les ouvriers de l’industrie ne sont pas les seuls à créer de la plus-value. C’est le cas des | ||
employés de commerce, les salariés des services (postiers), tous ceux qui sont engagés dans la | employés de commerce, les salariés des services (postiers), tous ceux qui sont engagés dans la | ||
reproduction de la force de travail : | reproduction de la force de travail :<br> | ||
· Pour que la marchandise devienne une valeur d’usage, il faut qu’elle soit là où on en a | · Pour que la marchandise devienne une valeur d’usage, il faut qu’elle soit là où on en a | ||
besoin, donc le transport de la marchandise ou son commerce participe à donner une | besoin, donc le transport de la marchandise ou son commerce participe à donner une | ||
véritable valeur d’usage, il crée donc aussi de la valeur d’échange. | véritable valeur d’usage, il crée donc aussi de la valeur d’échange.<br> | ||
· La logistique participe à l’organisation globale du travail et donc à une création globale de | · La logistique participe à l’organisation globale du travail et donc à une création globale de | ||
valeurs. | valeurs.<br> | ||
· Les infirmières, les instituteurs participent à la reproduction de la classe ouvrière, ils | · Les infirmières, les instituteurs participent à la reproduction de la classe ouvrière, ils | ||
relèvent des services publics qui anticipent les besoins sociaux collectifs. | relèvent des services publics qui anticipent les besoins sociaux collectifs.<br> | ||
12 Ernest Mandel, 3e âge du capitalisme, 10/18, t1 p 183. Idem p 343. | 12 Ernest Mandel, 3e âge du capitalisme, 10/18, t1 p 183. Idem p 343.<br> | ||
Pour J-M Harribey, même les services non marchands créent de la valeur. | Pour J-M Harribey, même les services non marchands créent de la valeur. ''Le travail | ||
effectué dans les services non marchands est productif de valeurs d’usage monétaires mais pas | effectué dans les services non marchands est productif de valeurs d’usage monétaires mais pas | ||
de valeur pour le capital, et les travailleurs qui y sont employés créent le revenu qui les | de valeur pour le capital, et les travailleurs qui y sont employés créent le revenu qui les | ||
rémunère. | rémunère.''L’explication marxiste traditionnelle défend que la non-marchandise (les | ||
services) est financée par la marchandise. Mais cela rend impossible de | services) est financée par la marchandise. Mais cela rend impossible de ''théoriser une sphère | ||
non marchande ayant pour vocation de s’étendre au fur et à mesure que les rapports de forces | non marchande ayant pour vocation de s’étendre au fur et à mesure que les rapports de forces | ||
tourneraient à l’avantage du travail face au capital. | tourneraient à l’avantage du travail face au capital.''13<br> | ||
La déconsidération du mouvement ouvrier pour le travail des femmes relève beaucoup de ce | La déconsidération du mouvement ouvrier pour le travail des femmes relève beaucoup de ce | ||
non-dit : le travail des employé-es ne créerait pas de plus-value, et pure coïncidence, les | non-dit : le travail des employé-es ne créerait pas de plus-value, et pure coïncidence, les | ||
employés sont majoritairement des femmes. | employés sont majoritairement des femmes.<br> | ||
Certains courants défendent cette thèse, à partir d’un considérant : la classe ouvrière est | Certains courants défendent cette thèse, à partir d’un considérant : la classe ouvrière est | ||
historiquement minoritaire, l’objectif politique principal est donc de tisser des alliances avec | historiquement minoritaire, l’objectif politique principal est donc de tisser des alliances avec | ||
la | la ''petite bourgeoisie'' ou la bourgeoisie nationale. On voit bien ici combien cette question | ||
est essentiellement politique et n’a pas de conséquence théorique autre que stratégique. | est essentiellement politique et n’a pas de conséquence théorique autre que stratégique.<br> | ||
b) Une seconde lecture extensive de la classe ouvrière est possible. C’est celle | b) Une seconde lecture extensive de la classe ouvrière est possible. C’est celle | ||
défendue ici. | défendue ici.<br> | ||
Les employés, de même que l’ensemble des groupes sociaux polarisés par le rapport | Les employés, de même que l’ensemble des groupes sociaux polarisés par le rapport | ||
d’exploitation capitalistes et le plus souvent salariés, font partie des ouvriers, et donc de la | d’exploitation capitalistes et le plus souvent salariés, font partie des ouvriers, et donc de la | ||
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la production, et l’existence d’une classe sociale qui ne se résume pas à un groupe | la production, et l’existence d’une classe sociale qui ne se résume pas à un groupe | ||
professionnel. Dans cette optique, la classe ouvrière représente une large part de la | professionnel. Dans cette optique, la classe ouvrière représente une large part de la | ||
population, entre 80 et 90 % de la population. | population, entre 80 et 90 % de la population.<br> | ||
La classe ouvrière se définit par une convergence d’éléments. | La classe ouvrière se définit par une convergence d’éléments.<br> | ||
- le salariat (ce qui renvoie à la vente de la force de travail) | - le salariat (ce qui renvoie à la vente de la force de travail) <br> | ||
- la vie sociale commune | - la vie sociale commune<br> | ||
- La place dans la production, le travail d’exécution (ce qui oppose les ouvriers à | - La place dans la production, le travail d’exécution (ce qui oppose les ouvriers à | ||
tous ceux qui ont charge d’encadrement) ; le travail subordonné | tous ceux qui ont charge d’encadrement) ; le travail subordonné<br> | ||
- Ce groupe ne dépend pour vivre que de son travail. Le prolétariat est obligé de | - Ce groupe ne dépend pour vivre que de son travail. Le prolétariat est obligé de | ||
vendre sa force de travail. Il s’oppose à un autre groupe qui est caractérisé au | vendre sa force de travail. Il s’oppose à un autre groupe qui est caractérisé au | ||
contraire par le patrimoine, la bourgeoisie. Qu’est-ce qui est fondamental pour | contraire par le patrimoine, la bourgeoisie. Qu’est-ce qui est fondamental pour | ||
définir ce groupe ? : la nature de la source de revenu. | définir ce groupe ? : la nature de la source de revenu.<br> | ||
· Soit on est dépendant de son travail (ce que l’on fait) : la classe | · Soit on est dépendant de son travail (ce que l’on fait) : la classe | ||
ouvrière. | ouvrière.<br> | ||
· Soit on tire son revenu de son patrimoine. (ce que l’on a) : la | · Soit on tire son revenu de son patrimoine. (ce que l’on a) : la | ||
bourgeoisie. | bourgeoisie.<br> | ||
Ce qui est primordial, c’est que la confrontation entre ces deux classes structure la société. | Ce qui est primordial, c’est que la confrontation entre ces deux classes structure la société. | ||
- Reste un point en débat entre nous : la référence à la production directe (ce qui les | - Reste un point en débat entre nous : la référence à la production directe (ce qui les | ||
différencie des ingénieurs d’étude, par exemple). | différencie des ingénieurs d’étude, par exemple).<br> | ||
13 Jean-Marie Harribey, Economie politique de la démarchandisation de la société, Actuel Marx, | 13 Jean-Marie Harribey, Economie politique de la démarchandisation de la société, Actuel Marx, | ||
« Altermondialisme, anticapitalisme », n° 44, 2e semestre 2008, p. 76-91 | « Altermondialisme, anticapitalisme », n° 44, 2e semestre 2008, p. 76-91<br> | ||
Mais surtout, ce n’est pas seulement un ensemble de travailleurs, mais une classe sociale qui | Mais surtout, ce n’est pas seulement un ensemble de travailleurs, mais une classe sociale qui | ||
se construit politiquement, socialement. Les chômeurs par exemple en font partie. | se construit politiquement, socialement. Les chômeurs par exemple en font partie.<br> | ||
Employeurs / bourgeoisie | Employeurs / bourgeoisie<br> | ||
Petits cadres | Petits cadres<br> | ||
Techniciens | Techniciens<br> | ||
Ouvriers et employé(e)s | Ouvriers et employé(e)s<br> | ||
Un certain nombre de groupes intermédiaires existent. C’est le cas des techniciens : Dans les | Un certain nombre de groupes intermédiaires existent. C’est le cas des techniciens : Dans les | ||
années 1960 on trouve différentes définitions concernant des couches particulières du salariat. | années 1960 on trouve différentes définitions concernant des couches particulières du salariat. | ||
on parle de | on parle de ''nouvelle classe ouvrière'' concernant les ''techniciens'' censés être moins | ||
sensibles aux revendications dites quantitatives (les salaires) et plus sensibles aux | sensibles aux revendications dites quantitatives (les salaires) et plus sensibles aux | ||
revendications dites qualitatives (contrôle sur la production, autogestion). C’est la | revendications dites qualitatives (contrôle sur la production, autogestion). C’est la | ||
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cadre, qui leur serait promis, les amène à s’identifier aux directions. En fait leur origine | cadre, qui leur serait promis, les amène à s’identifier aux directions. En fait leur origine | ||
sociale, souvent populaire, la fin du mythe de la promotion sociale et la baisse de leur salaire | sociale, souvent populaire, la fin du mythe de la promotion sociale et la baisse de leur salaire | ||
les a rapprochés des salariés d’exécution. | les a rapprochés des salariés d’exécution.<br> | ||
Des salariés, les cadres de production / cadres techniques / ingénieurs de bureaux d’étude | Des salariés, les cadres de production / cadres techniques / ingénieurs de bureaux d’étude | ||
participent à l’organisation de la production. Par rapport à ces catégories, les questions sont : | participent à l’organisation de la production. Par rapport à ces catégories, les questions sont :<br> | ||
· Quelle est la place dans le processus de production, d’exploitation ? Est-ce qu’ils | · Quelle est la place dans le processus de production, d’exploitation ? Est-ce qu’ils | ||
jouent un rôle, par délégation, dans les processus d’exploitation ? | jouent un rôle, par délégation, dans les processus d’exploitation ?<br> | ||
· Question qui lui est liée : est-ce que ces salariés sont payés en fonction de leur travail, | · Question qui lui est liée : est-ce que ces salariés sont payés en fonction de leur travail, | ||
ou de la place dans le processus d’exploitation (leur rôle éventuel dans l’appareil | ou de la place dans le processus d’exploitation (leur rôle éventuel dans l’appareil | ||
répressif) ? | répressif) ?<br> | ||
La plupart de ces salariés, quand ils n’ont pas de rôle d’encadrement sont de fait dans des | La plupart de ces salariés, quand ils n’ont pas de rôle d’encadrement sont de fait dans des | ||
situations identiques aux salariés, avec qui ils doivent trouver un intérêt commun. On peut | situations identiques aux salariés, avec qui ils doivent trouver un intérêt commun. On peut | ||
dire que ces groupes sont objectivement dans la classe ouvrière, mais sont | dire que ces groupes sont objectivement dans la classe ouvrière, mais sont politiquement | ||
attirés par la bourgeoisie, qui leur fait miroiter pouvoir, intégration, reconnaissance du mérite, | attirés par la bourgeoisie, qui leur fait miroiter pouvoir, intégration, reconnaissance du mérite, | ||
ascension sociale… | ascension sociale…<br> | ||
c) Ce débat vient de la confusion entre deux notions : un groupe professionnel et | c) Ce débat vient de la confusion entre deux notions : un groupe professionnel et | ||
une classe sociale. | une classe sociale.<br> | ||
Un groupe professionnel rassemble des personnes ayant une situation identique dans les | Un groupe professionnel rassemble des personnes ayant une situation identique dans les | ||
rapports de production. Mais une classe sociale est une notion plus vaste. Celle-ci considère le | rapports de production. Mais une classe sociale est une notion plus vaste. Celle-ci considère le | ||
groupe dans le cadre de la société, elle inclut la reproduction de la classe sociale comme un | groupe dans le cadre de la société, elle inclut la reproduction de la classe sociale comme un | ||
élément constitutif de sa composition (voir les études menés sur la bourgeoisie, qui montrent | élément constitutif de sa composition (voir les études menés sur la bourgeoisie, qui montrent | ||
bien cette dimension). | bien cette dimension).<br> | ||
14 Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000. | 14 Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000.<br> | ||
La vie sociale des employé(e)s et des ouvrier(e)s, leur niveau de vie, leurs lieux de vie les | La vie sociale des employé(e)s et des ouvrier(e)s, leur niveau de vie, leurs lieux de vie les | ||
rassemblent. Ouvriers et employés ont des conditions de rémunération similaires avec un | rassemblent. Ouvriers et employés ont des conditions de rémunération similaires avec un | ||
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de l’habitat, des difficultés d’insertion professionnelle au début de la vie active, ou de l’accès | de l’habitat, des difficultés d’insertion professionnelle au début de la vie active, ou de l’accès | ||
de leurs enfants aux études supérieures, etc. La symbiose grandissante des employés et | de leurs enfants aux études supérieures, etc. La symbiose grandissante des employés et | ||
ouvriers est symbolisée par la forte proportion des couples | ouvriers est symbolisée par la forte proportion des couples ''mixtes'': en 1996 en France, | ||
40% des employées avaient épousé un ouvrier. | 40% des employées avaient épousé un ouvrier.<br> | ||
L’analyse de Danièle Kergoat15 à propos des ouvrières montre que les femmes vont et | L’analyse de Danièle Kergoat15 à propos des ouvrières montre que les femmes vont et | ||
viennent de l’activité en usine à l’inactivité, elles passent du secteur secondaire (industrie) au | viennent de l’activité en usine à l’inactivité, elles passent du secteur secondaire (industrie) au | ||
secteur tertiaire (le commerce, les services) : | secteur tertiaire (le commerce, les services) :''Ne font-elles partie de la classe ouvrière stricto | ||
sensu que de façon sporadique, ou plus largement de ‘classes populaires’ ? | sensu que de façon sporadique, ou plus largement de ‘classes populaires’ ?''. <br>La définition de | ||
l’ouvrier à partir de la situation professionnelle stable ( et surtout de la participation à la | l’ouvrier à partir de la situation professionnelle stable ( et surtout de la participation à la | ||
''création de plus-value''au sens le plus strict) relève d’un schéma masculin. Et leur | |||
appartenance à la classe ouvrière à partir du métier du | appartenance à la classe ouvrière à partir du métier du ''chef de famille''aboutit à nier la | ||
division sexuelle du travail et à rendre invisible le travail des femmes. | division sexuelle du travail et à rendre invisible le travail des femmes.<br> | ||
Danièle Kergoat esquisse à partir de cet exemple, et des luttes sociales des femmes, la | Danièle Kergoat esquisse à partir de cet exemple, et des luttes sociales des femmes, la | ||
construction d’une classe sociale qui ne se définit pas qu’à partir d’un groupe professionnel : | construction d’une classe sociale qui ne se définit pas qu’à partir d’un groupe professionnel : | ||
''Les luttes des ouvrières n’ajoutent pas quelque chose en plus aux thèmes du | |||
mouvement ouvrier, elles ne se content pas de les enrichir. Elles dessinent en filigrane | mouvement ouvrier, elles ne se content pas de les enrichir. Elles dessinent en filigrane | ||
autre chose… Leurs luttes ne dissociant pas (ne pouvant dissocier) les conditions de | autre chose… Leurs luttes ne dissociant pas (ne pouvant dissocier) les conditions de | ||
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par les rapports de domination, elles esquissent en creux le moule d’une conscience de | par les rapports de domination, elles esquissent en creux le moule d’une conscience de | ||
classe qui ne serait plus axée sur les seuls aspects de la production mais prendrait en | classe qui ne serait plus axée sur les seuls aspects de la production mais prendrait en | ||
compte la totalité des formes sociales que prennent les rapports de classe | compte la totalité des formes sociales que prennent les rapports de classe''(p 134). | ||
Elle en conclut à la nécessité | Elle en conclut à la nécessité d’''une extension du champ de la lutte des classes''.<br> | ||
On pourrait aussi citer le cas des jeunes précaires qui évoluent d’emplois d’ouvriers à des | On pourrait aussi citer le cas des jeunes précaires qui évoluent d’emplois d’ouvriers à des | ||
emplois d’employés… Leur appartenance à la classe ouvrière ne change pas suivant les | emplois d’employés… Leur appartenance à la classe ouvrière ne change pas suivant les | ||
saisons. | saisons.<br> | ||
L’insistance sur la définition du prolétariat est dangereuse si elle conduit à négliger ce qui est | L’insistance sur la définition du prolétariat est dangereuse si elle conduit à négliger ce qui est | ||
essentiel : la façon dont, dans une formation sociale donnée se polarisent les forces en | essentiel : la façon dont, dans une formation sociale donnée se polarisent les forces en | ||
présence, leurs dynamiques sociales et politiques. Autrement dit, les groupes sociaux sont | présence, leurs dynamiques sociales et politiques. Autrement dit, les groupes sociaux sont | ||
l’émanation des rapports sociaux. | l’émanation des rapports sociaux.<br> | ||
2/ Paysans, artisans, secteur informel. | |||
D’autres groupes sociaux sont polarisés par le rapport capital / travail. | '''2/ Paysans, artisans, secteur informel.'''<br> | ||
D’autres groupes sociaux sont polarisés par le rapport capital / travail.<br> | |||
Le groupe des paysans est fondamentalement divisé entre les grands propriétaires terriens qui | Le groupe des paysans est fondamentalement divisé entre les grands propriétaires terriens qui | ||
considèrent leur terre comme un capital à faire fructifier, et les petits paysans. La terre passe | considèrent leur terre comme un capital à faire fructifier, et les petits paysans. La terre passe | ||
sous la domination du capitalisme industriel, l’organisation du travail devient capitaliste (et | sous la domination du capitalisme industriel, l’organisation du travail devient capitaliste (et | ||
productiviste…). | productiviste…).<br> | ||
15 Danièle Kergoat, Les ouvrières, le Sycomore 1982 | 15 Danièle Kergoat, Les ouvrières, le Sycomore 1982<br> | ||
''Dans sa fonction de producteur, l’agriculteur perd de plus en plus le contrôle de sa | |||
production et même de ses moyens de production : en d’autres termes, il se | production et même de ses moyens de production : en d’autres termes, il se | ||
prolétarise, sans devenir salarié au sens strict | prolétarise, sans devenir salarié au sens strict''16. (Bernard Lambert17, 1970)<br> | ||
Dans de nombreux pays capitalistes où la paysannerie est encore importante, les trois grandes | Dans de nombreux pays capitalistes où la paysannerie est encore importante, les trois grandes | ||
fonctions de l’agriculture sont : produire de la nourriture et des matières premières en quantité | fonctions de l’agriculture sont : produire de la nourriture et des matières premières en quantité | ||
toujours plus grande ; fournir le captal initial pour le développement industriel et urbain | toujours plus grande ; fournir le captal initial pour le développement industriel et urbain | ||
(surtout pour le capitalisme naissant) ; servir de réservoir de main d’oeuvre pour le reste des | (surtout pour le capitalisme naissant) ; servir de réservoir de main d’oeuvre pour le reste des | ||
activités18. | activités18.<br> | ||
Le réseau des très petites entreprises et des artisans s’est aussi renforcé, dans la plupart des | Le réseau des très petites entreprises et des artisans s’est aussi renforcé, dans la plupart des | ||
pays, du fait de l’éclatement du salariat comme nouvelle stratégie des grandes entreprises et | pays, du fait de l’éclatement du salariat comme nouvelle stratégie des grandes entreprises et | ||
des politiques de sous-traitance. | des politiques de sous-traitance.<br> | ||
De même, un secteur informel s’est créé, qui ne relève d’aucune loi sociale dans de très | De même, un secteur informel s’est créé, qui ne relève d’aucune loi sociale dans de très | ||
nombreux pays. | nombreux pays.<br> | ||
Fondamentalement, ces formes d’emploi diverses, même comme structures précapitalistes, se | Fondamentalement, ces formes d’emploi diverses, même comme structures précapitalistes, se | ||
trouvent confrontées à l’extension de la loi de la valeur. Ce ne sont pas les paysans ou les | trouvent confrontées à l’extension de la loi de la valeur. Ce ne sont pas les paysans ou les | ||
artisans du XVIIIe. Les banques, les prêts, les normes d’investissement et de rentabilité les | artisans du XVIIIe. Les banques, les prêts, les normes d’investissement et de rentabilité les | ||
intègrent au fonctionnement capitaliste. | intègrent au fonctionnement capitaliste.<br> | ||
· Les marins pêcheurs, les petits paysans sont pris dans des structures de coûts, | · Les marins pêcheurs, les petits paysans sont pris dans des structures de coûts, | ||
d’investissements par les banques (crédit agricole) qui font fonctionner leurs | d’investissements par les banques (crédit agricole) qui font fonctionner leurs | ||
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Même si la propriété (plus ou moins factice) de leur patrimoine leur fait croire à leur | Même si la propriété (plus ou moins factice) de leur patrimoine leur fait croire à leur | ||
autonomie. Leur intérêt objectif est de se lier avec la classe ouvrière contre le | autonomie. Leur intérêt objectif est de se lier avec la classe ouvrière contre le | ||
capitalisme. | capitalisme.<br> | ||
· Le secteur informel, tout en situant à la marge du salariat (un salariat sans droits | · Le secteur informel, tout en situant à la marge du salariat (un salariat sans droits | ||
collectifs, sans représentation), est intégré comme un des éléments du circuit de | collectifs, sans représentation), est intégré comme un des éléments du circuit de | ||
reproduction de la force de travail. | reproduction de la force de travail.<br> | ||
· Des structures comme les coopératives, le revenu garanti par un fonds bancaire | · Des structures comme les coopératives, le revenu garanti par un fonds bancaire | ||
permettraient de lier formes de propriété et socialisation. De lier intérêts particuliers | permettraient de lier formes de propriété et socialisation. De lier intérêts particuliers | ||
et alliance avec la classe ouvrière. | et alliance avec la classe ouvrière.<br> | ||
Ces classes sociales sont insérées dans les rapports marchands capitalistes, ils relèvent de la | Ces classes sociales sont insérées dans les rapports marchands capitalistes, ils relèvent de la | ||
production ou de la reproduction de la force de travail. C’est donc à nous de créer les | production ou de la reproduction de la force de travail. C’est donc à nous de créer les | ||
conditions de les associer à la classe ouvrière. Cela peut passer par le soutien à des formes | conditions de les associer à la classe ouvrière. Cela peut passer par le soutien à des formes | ||
coopératives ou autres formes de socialisation. | coopératives ou autres formes de socialisation.<br> | ||
Un débat existe sur les jeunes confrontés à la précarité, et sur le groupe social qu’ils | Un débat existe sur les jeunes confrontés à la précarité, et sur le groupe social qu’ils | ||
représenteraient. La thèse de ce courent est que la précarité dépasse largement le seul travail, | représenteraient. La thèse de ce courent est que la précarité dépasse largement le seul travail, | ||
et qu’elle permet d’identifier un groupe avec des caractéristiques homogènes : | et qu’elle permet d’identifier un groupe avec des caractéristiques homogènes : | ||
''Les salariés précaires constituent aujourd’hui la figure du salarié de la discontinuité, | |||
comme ont pu l’être en d’autres temps les journaliers ou les manoeuvres. (…) Les | comme ont pu l’être en d’autres temps les journaliers ou les manoeuvres. (…) Les | ||
précaires cumulent dans leur expérience du travail un ensemble de discontinuités : | précaires cumulent dans leur expérience du travail un ensemble de discontinuités : | ||
discontinuité de l’emploi, de la protection sociale, de l’organisation collective. A | discontinuité de l’emploi, de la protection sociale, de l’organisation collective. A | ||
travers l’expérience des discontinuités de périodes d’emploi et de chômage d’abord, | travers l’expérience des discontinuités de périodes d’emploi et de chômage d’abord'',<br> | ||
16 Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte de classe, le Seuil 1970. | 16 Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte de classe, le Seuil 1970. | ||
17 B. Lambert est le fondateur du groupe français des Paysans-Travailleurs, qui deviendra par la suite la | 17 B. Lambert est le fondateur du groupe français des Paysans-Travailleurs, qui deviendra par la suite la | ||
Confédération paysanne (gauche radicale). | Confédération paysanne (gauche radicale).<br> | ||
18 Eric J. Hobsbawm, L’ère du capital, tome II : 1848 - 1875, Pluriel, p 249 | 18 Eric J. Hobsbawm, L’ère du capital, tome II : 1848 - 1875, Pluriel, p 249<br> | ||
les travailleurs précaires sont tantôt travailleurs salariés, toujours de manière | ''les travailleurs précaires sont tantôt travailleurs salariés, toujours de manière | ||
incomplète car ne disposant pas de l’ensemble des attributs des salariés à statut, tantôt | incomplète car ne disposant pas de l’ensemble des attributs des salariés à statut, tantôt | ||
chômeurs, mais de manière intermittente et n’aspirant pas le plus souvent à cette | chômeurs, mais de manière intermittente et n’aspirant pas le plus souvent à cette | ||
condition. | condition.''19<br> | ||
Ces précaires ont en effet une | Ces précaires ont en effet une ''identité''de situations vécues et de ressentis : ils s’identifient | ||
à une condition commune. Mais le fait qu’ils n’ont pas de projet spécifique, à part celui de ne | à une condition commune. Mais le fait qu’ils n’ont pas de projet spécifique, à part celui de ne | ||
plus être précaire, ne permet pas, à notre sens, d’en faire un groupe qui pourrait porter un | plus être précaire, ne permet pas, à notre sens, d’en faire un groupe qui pourrait porter un | ||
projet spécifique. Il faut donc trouver, là encore, les conditions de convergence avec le reste | projet spécifique. Il faut donc trouver, là encore, les conditions de convergence avec le reste | ||
de la classe ouvrière. | de la classe ouvrière.<br> | ||
3/ Quelques repères pour conclure ce thème : | |||
'''3/ Quelques repères pour conclure ce thème :'''<br> | |||
· Une classe sociale, ce n’est pas seulement une position dans l’organisation du | · Une classe sociale, ce n’est pas seulement une position dans l’organisation du | ||
travail. | travail.<br> | ||
La théorie de l’exploitation est le point de départ nécessaire à une analyse marxiste des classes | La théorie de l’exploitation est le point de départ nécessaire à une analyse marxiste des classes | ||
sociales mais (au risque d’être schématique), elle ne nous fournit que des rôles ou des | sociales mais (au risque d’être schématique), elle ne nous fournit que des rôles ou des | ||
positions qui existent dans la structure d’une société particulière. Ces positions se traduisent | positions qui existent dans la structure d’une société particulière. Ces positions se traduisent | ||
par la participation à un collectif, un groupe social défini par la source de ses revenus | par la participation à un collectif, un groupe social défini par la source de ses revenus | ||
collectifs (le travail), le lieu de vie, le devenir, etc. | collectifs (le travail), le lieu de vie, le devenir, etc.<br> | ||
· Fondamentalement le calcul du poids de la classe ouvrière est une question | · Fondamentalement le calcul du poids de la classe ouvrière est une question | ||
politique : | politique :<br> | ||
- Soit la classe ouvrière est minoritaire : c’est une politique d’alliance avec d’autres | - Soit la classe ouvrière est minoritaire : c’est une politique d’alliance avec d’autres | ||
couches qui est au centre de la stratégie. | couches qui est au centre de la stratégie.<br> | ||
- Soit la classe ouvrière est socialement majoritaire, intégrant les « ouvriers », les | - Soit la classe ouvrière est socialement majoritaire, intégrant les « ouvriers », les | ||
employés, les techniciens ainsi que tous ceux parmi les catégories intermédiaires, | employés, les techniciens ainsi que tous ceux parmi les catégories intermédiaires, | ||
artisans et petits paysans qui sont objectivement pris dans le même système | artisans et petits paysans qui sont objectivement pris dans le même système | ||
capitaliste. Elle représente 80 à 90 % de la population. Notre tâche principale est | capitaliste. Elle représente 80 à 90 % de la population. Notre tâche principale est | ||
alors son unification pour la transformer en un sujet porteur d’un projet collectif. | alors son unification pour la transformer en un sujet porteur d’un projet collectif.<br> | ||
D’où la suite de l’exposé. | D’où la suite de l’exposé.<br> | ||
19 Adrien Mazières-Vaysse, Précarité et construction d’identités collectives dans le salariat, Contretemps N°4, | 19 Adrien Mazières-Vaysse, Précarité et construction d’identités collectives dans le salariat, Contretemps N°4, | ||
décembre 2009. | décembre 2009.<br> | ||
'''Exposé 3:La construction de la classe ouvrière comme sujet'''<br> | |||
La construction de la classe ouvrière comme sujet | |||
Dans le second exposé, nous nous sommes attachés à décrire les processus et rapports sociaux | Dans le second exposé, nous nous sommes attachés à décrire les processus et rapports sociaux | ||
qui tendent à construire la classe ouvrière comme classe sociale. Mais nous devons intégrer | qui tendent à construire la classe ouvrière comme classe sociale. Mais nous devons intégrer | ||
une dimension subjective à cette construction de la classe ouvrière. C’est l’objet de ce | une dimension subjective à cette construction de la classe ouvrière. C’est l’objet de ce | ||
troisième exposé. | troisième exposé.<br> | ||
Comment la classe ouvrière émerge-t-elle comme futur groupe dominant dans la société ? Les | Comment la classe ouvrière émerge-t-elle comme futur groupe dominant dans la société ? Les | ||
outils pour cette démarche d’affirmation et de construction d’une classe sociale sont | outils pour cette démarche d’affirmation et de construction d’une classe sociale sont | ||
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partis politiques proposant diverses stratégies. L’histoire du mouvement ouvrier est en effet | partis politiques proposant diverses stratégies. L’histoire du mouvement ouvrier est en effet | ||
celle d’un effort constant pour se construire comme sujet historique. La prise de conscience | celle d’un effort constant pour se construire comme sujet historique. La prise de conscience | ||
collective est évidemment le fil conducteur de cette histoire collective. | collective est évidemment le fil conducteur de cette histoire collective.<br> | ||
1/ Classe objective, classe subjective, | |||
intérêt commun ? | '''1/ Classe objective, classe subjective,''conscience de classe'': construire un | ||
intérêt commun ?'''<br> | |||
Posséder les éléments objectifs ne suffit pas pour apparaitre comme une classe sociale. C’est | Posséder les éléments objectifs ne suffit pas pour apparaitre comme une classe sociale. C’est | ||
ce qu’explique Marx, dès 1948, à propos de la petite paysannerie : | ce qu’explique Marx, dès 1948, à propos de la petite paysannerie :<br> | ||
''Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions | |||
économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs | économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs | ||
intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elle constitue une | intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elle constitue une | ||
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n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs | n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs | ||
intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune | intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune | ||
organisation politique. | organisation politique.''20<br> | ||
Pour transformer la classe ouvrière en sujet d’histoire, il s’agit donc de transformer la | Pour transformer la classe ouvrière en sujet d’histoire, il s’agit donc de transformer la | ||
''similitude des intérêts''des salariés en la conscience de cet intérêt commun, qui dépasse | |||
pour le salarié le seul stade de sa relation personnelle avec son employeur, qui dépasse la | pour le salarié le seul stade de sa relation personnelle avec son employeur, qui dépasse la | ||
relation collective des salariés à l’employeur, bref qui s’exprime par le passage de | relation collective des salariés à l’employeur, bref qui s’exprime par le passage de | ||
l’opposition à son patron à l’opposition au patronat dans son ensemble. Le syndicalisme, qui | l’opposition à son patron à l’opposition au patronat dans son ensemble. Le syndicalisme, qui | ||
met en avant la prise de conscience et la construction d’un | met en avant la prise de conscience et la construction d’un ''intérêt commun''dans le | ||
processus d’exploitation, a un rôle primordial concernant cette unification21. | processus d’exploitation, a un rôle primordial concernant cette unification21.<br> | ||
La bourgeoisie a une conscience de classe. Par son mode de vie, sa reproduction sociale | La bourgeoisie a une conscience de classe. Par son mode de vie, sa reproduction sociale | ||
endogène, l’affirmation d’un espace social réservé, mais aussi par une conscience aigue de ses | endogène, l’affirmation d’un espace social réservé, mais aussi par une conscience aigue de ses | ||
intérêts collectifs, qui se traduisent par une représentation politique identifiée, elle affirme | intérêts collectifs, qui se traduisent par une représentation politique identifiée, elle affirme | ||
sans cesse avoir une conscience de classe combative. | sans cesse avoir une conscience de classe combative.<br> | ||
20 MARX, Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, éd sociales 1976 p 127. | 20 MARX, Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, éd sociales 1976 p 127.<br> | ||
21 Louis-Marie Barnier, Unifier le salariat, la tâche historique du syndicalisme. Contretemps, mars 2010, n° 5, | 21 Louis-Marie Barnier, Unifier le salariat, la tâche historique du syndicalisme. Contretemps, mars 2010, n° 5, | ||
http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-unification-salariat-mars2010.pdf | http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-unification-salariat-mars2010.pdf<br> | ||
De même le salariat doit se construire sa propre représentation politique et sociale autonome. | De même le salariat doit se construire sa propre représentation politique et sociale autonome. | ||
Ceci exprime l’idée d’un projet commun, la projection dans une situation autre où la classe | Ceci exprime l’idée d’un projet commun, la projection dans une situation autre où la classe | ||
ouvrière ne serait pas dominée. Et donc la nécessité de s’unifier en dépassant ses | ouvrière ne serait pas dominée. Et donc la nécessité de s’unifier en dépassant ses | ||
contradictions internes. | contradictions internes.<br> | ||
2/ Représentations professionnelles, territoriales : solidarités | |||
professionnelles, construction de droits salariaux. | '''2/ Représentations professionnelles, territoriales : solidarités professionnelles, construction de droits salariaux.'''<br> | ||
La classe ouvrière est hétérogène, traversée de divisions et de contradictions. La construction | La classe ouvrière est hétérogène, traversée de divisions et de contradictions. La construction | ||
d’un intérêt commun, comme peut le faire le syndicalisme, émane de la relation salariale. | d’un intérêt commun, comme peut le faire le syndicalisme, émane de la relation salariale. | ||
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pour se construire comme sujet collectif face au patronat et à la bourgeoisie. Deux grands | pour se construire comme sujet collectif face au patronat et à la bourgeoisie. Deux grands | ||
mécanismes ont été utilisés par le mouvement ouvrier, la solidarité professionnelle et les | mécanismes ont été utilisés par le mouvement ouvrier, la solidarité professionnelle et les | ||
droits salariaux. | droits salariaux.<br> | ||
· Solidarité professionnelle | · Solidarité professionnelle<br> | ||
A partir de la reconnaissance du rôle de chacun dans l’organisation du travail, des grilles | A partir de la reconnaissance du rôle de chacun dans l’organisation du travail, des grilles | ||
hiérarchique se sont construites, intégrées dans des conventions collectives de branche. Elles | hiérarchique se sont construites, intégrées dans des conventions collectives de branche. Elles | ||
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métiers, les activités… Elles résultent d’un compromis : pour les salariés comme pour les | métiers, les activités… Elles résultent d’un compromis : pour les salariés comme pour les | ||
employeurs, réduire la concurrence entre salariés d’un même métier, ou entre entreprises | employeurs, réduire la concurrence entre salariés d’un même métier, ou entre entreprises | ||
d’une même activité. Elles représentent pour les salariés | d’une même activité. Elles représentent pour les salariés ''la prise de conscience que la | ||
bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur | bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur | ||
la division du prolétariat et sur l’opposition entre groupes individualisés d’ouvriers | la division du prolétariat et sur l’opposition entre groupes individualisés d’ouvriers''22.<br> | ||
E. Durkheim avait bien résumé ce que représente cette solidarité organique : le lien social, | E. Durkheim avait bien résumé ce que représente cette solidarité organique : le lien social, | ||
basé sur la solidarité organique, s’appuie sur la reconnaissance du rôle de chacun au sein dans | basé sur la solidarité organique, s’appuie sur la reconnaissance du rôle de chacun au sein dans | ||
la division du travail social de cet organisme (comme les organes d’un corps humain). Pour | la division du travail social de cet organisme (comme les organes d’un corps humain). Pour | ||
lui c’est le lien social le plus fort : | lui c’est le lien social le plus fort : ''Il y a lieu de supposer que la corporation est appelée à | ||
devenir la base ou une des bases essentielles de notre organisation politique | devenir la base ou une des bases essentielles de notre organisation politique''23<br> | ||
La solidarité professionnelle est aux sources du mouvement ouvrier. Cette construction repose | La solidarité professionnelle est aux sources du mouvement ouvrier. Cette construction repose | ||
sur un mécanisme d’identification de la classe ouvrière à certains groupes mieux organisés et | sur un mécanisme d’identification de la classe ouvrière à certains groupes mieux organisés et | ||
donc avec de meilleurs acquis sociaux, à condition que ces groupes fassent bénéficier | donc avec de meilleurs acquis sociaux, à condition que ces groupes fassent bénéficier | ||
l’ensemble des avantages reçus. | l’ensemble des avantages reçus.<br> | ||
''Cela ne signifie pas que les acquis des groupes centraux du syndicalisme ont | |||
vocation à être étendus vers les groupes périphériques, mais que ces derniers peuvent | vocation à être étendus vers les groupes périphériques, mais que ces derniers peuvent''<br> | ||
22 F. Engels, la situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845. | 22 F. Engels, la situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.<br> | ||
23 Emile Durkheim, De la division du travail social, préface à la 2nde | 23 Emile Durkheim, De la division du travail social, préface à la 2nde Éd.<br> | ||
bénéficier indirectement du dynamisme des premiers. Le rôle de référence de l’emploi | ''bénéficier indirectement du dynamisme des premiers. Le rôle de référence de l’emploi | ||
standard ne va de pair ni avec sa généralisation, ni avec une uniformisation des | standard ne va de pair ni avec sa généralisation, ni avec une uniformisation des | ||
bénéfices qui y sont attachés, ni avec une égalité des conditions d’accès, de maintien | bénéfices qui y sont attachés, ni avec une égalité des conditions d’accès, de maintien | ||
ou de promotion en son sein. | ou de promotion en son sein.''24<br> | ||
C’est justement ce mécanisme qui est remis en cause dans la période actuelle : les groupes les | C’est justement ce mécanisme qui est remis en cause dans la période actuelle : les groupes les | ||
plus avancés sont eux-mêmes sur la défensive et n’arrivent plus à faire bénéficier les autres | plus avancés sont eux-mêmes sur la défensive et n’arrivent plus à faire bénéficier les autres | ||
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lien avec les statutaires, de nombreux salariés de PME ou de sous-traitants sans garantie | lien avec les statutaires, de nombreux salariés de PME ou de sous-traitants sans garantie | ||
sociale. Ce mécanisme de construction autour de solidarités professionnelles est néanmoins | sociale. Ce mécanisme de construction autour de solidarités professionnelles est néanmoins | ||
l’axe structurant d’une grande partie du mouvement ouvrier dans de nombreux pays. | l’axe structurant d’une grande partie du mouvement ouvrier dans de nombreux pays.<br> | ||
Employeurs / bourgeoisie | Employeurs / bourgeoisie État<br> | ||
Corporation statut salarial | Corporation statut salarial<br> | ||
Solidarité professionnelle solidarité territoriale | Solidarité professionnelle solidarité territoriale<br> | ||
Classe ouvrière / salariés | Classe ouvrière / salariés<br> | ||
Reconnaissance | Reconnaissance Égalité<br> | ||
· Solidarité géographique / territoriale et droits salariaux | · Solidarité géographique / territoriale et droits salariaux<br> | ||
Un second mécanisme d’unification appréhende la classe ouvrière comme une classe sociale | Un second mécanisme d’unification appréhende la classe ouvrière comme une classe sociale | ||
qui se construit à travers un rapport salarial global. Les revendications mises en avant visent | qui se construit à travers un rapport salarial global. Les revendications mises en avant visent | ||
alors à unifier au delà des statuts particuliers et de la situation particulière dans l’organisation | alors à unifier au delà des statuts particuliers et de la situation particulière dans l’organisation | ||
du travail. Les droits collectifs relèvent d’un statut salarial, qui participe de la construction de | du travail. Les droits collectifs relèvent d’un statut salarial, qui participe de la construction de | ||
ce salariat comme un sujet. | ce salariat comme un sujet.<br> | ||
Un salaire minimum peut jouer ce rôle d’unification quelque soit le statut. Des revendications | Un salaire minimum peut jouer ce rôle d’unification quelque soit le statut. Des revendications | ||
telles que l’augmentation uniforme (France, Angleterre) jouent le même rôle d’unification par | telles que l’augmentation uniforme (France, Angleterre) jouent le même rôle d’unification par | ||
delà les différences. C’est surtout la protection sociale, autour de la socialisation de la | delà les différences. C’est surtout la protection sociale, autour de la socialisation de la | ||
reproduction de la force de travail, qui joue le vecteur d’une mobilisation sociale et | reproduction de la force de travail, qui joue le vecteur d’une mobilisation sociale et | ||
d’unification du salariat. | d’unification du salariat.<br> | ||
''La protection sociale est un élément du salaire total distribué par les instances | |||
politiques du salariat que sont les instances du partenariat social, et non pas une | politiques du salariat que sont les instances du partenariat social, et non pas une | ||
redistribution. Elle pose tous les salariés, qu’ils soient occupés, chômeurs, en arrêt de | redistribution. Elle pose tous les salariés, qu’ils soient occupés, chômeurs, en arrêt de | ||
maladie, jeunes en formation ou pensionnés, des cadres aux ouvriers, comme membres du | maladie, jeunes en formation ou pensionnés, des cadres aux ouvriers, comme membres du | ||
travailleur collectif | travailleur collectif''25.<br> | ||
Aujourd’hui, les cotisations sociales (salarié + employeur) représentent, en France, plus de 50 | Aujourd’hui, les cotisations sociales (salarié + employeur) représentent, en France, plus de 50 | ||
% du salaire. On peut dire que puisque cet argent n’est pas accumulé, il représente la moitié | % du salaire. On peut dire que puisque cet argent n’est pas accumulé, il représente la moitié | ||
Line 563: | Line 576: | ||
permet de dépasser les contradictions liées à l’organisation du travail dans l’entreprise. | permet de dépasser les contradictions liées à l’organisation du travail dans l’entreprise. | ||
D’ailleurs, les grandes luttes du salariat (1995, 2003) se sont structurées ces dernières années | D’ailleurs, les grandes luttes du salariat (1995, 2003) se sont structurées ces dernières années | ||
autour de la défense de la protection sociale. | autour de la défense de la protection sociale.<br> | ||
24 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique | 24 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique | ||
internationale de l’IRES, N°97, 2005. http://www.ires-fr.org/Chronique-de-l-IRES-No-97-numero | internationale de l’IRES, N°97, 2005. http://www.ires-fr.org/Chronique-de-l-IRES-No-97-numero | ||
25 Bernard Friot, Puissance du salariat, la Dispute 1998, p 200. | 25 Bernard Friot, Puissance du salariat, la Dispute 1998, p 200.<br> | ||
L’extension de la sécurité sociale, puis des autres dimensions de la protection sociale, | L’extension de la sécurité sociale, puis des autres dimensions de la protection sociale, | ||
renforce peu à peu, depuis 50 ans, l’idée d‘un sort commun du salariat, au-delà de ses | renforce peu à peu, depuis 50 ans, l’idée d‘un sort commun du salariat, au-delà de ses | ||
Line 573: | Line 586: | ||
des systèmes de protection gagnés dans des entreprises, des branches, puis élargis à tout le | des systèmes de protection gagnés dans des entreprises, des branches, puis élargis à tout le | ||
salariat, puis à toutes les couches de la population. Le salariat devient un statut de référence. | salariat, puis à toutes les couches de la population. Le salariat devient un statut de référence. | ||
''Les syndicats justifient largement leurs places dans leurs pays respectifs par leur capacité | |||
(…) à transformer le travail salarié en statut social de référence. Ils créent ainsi le | (…) à transformer le travail salarié en statut social de référence. Ils créent ainsi le | ||
salariat. | salariat''.26<br> Mieux encore, ce système de protection sociale définit les termes d’un autre | ||
mode de fonctionnement de la société, basé sur la réponse au besoin social et non sur le profit. | mode de fonctionnement de la société, basé sur la réponse au besoin social et non sur le profit. | ||
C’est à partir de ce message que le mouvement ouvrier est capable de s’adresser à toutes les | C’est à partir de ce message que le mouvement ouvrier est capable de s’adresser à toutes les | ||
couches de la population, en leur proposant historiquement d’intégrer, couches après couches, | couches de la population, en leur proposant historiquement d’intégrer, couches après couches, | ||
la sécurité sociale. Il devient porteur d’un modèle de société qui répond à l’intérêt de tous, il | la sécurité sociale. Il devient porteur d’un modèle de société qui répond à l’intérêt de tous, il | ||
devient porteur de l’intérêt général comme disait Gramsci. | devient porteur de l’intérêt général comme disait Gramsci.<br> | ||
Assistance ou droits collectifs ? | Assistance ou droits collectifs ?<br> | ||
Ces droits peuvent rejoindre l’idée d’une citoyenneté, de droits afférant à la personne | Ces droits peuvent rejoindre l’idée d’une citoyenneté, de droits afférant à la personne | ||
citoyenne. Ils participent alors de la construction d’un collectif qui fait rejoindre citoyenneté | citoyenne. Ils participent alors de la construction d’un collectif qui fait rejoindre citoyenneté | ||
et salariat. Mais ces droits doivent être reconnus comme participation à la société, pas comme | et salariat. Mais ces droits doivent être reconnus comme participation à la société, pas comme | ||
relevant d’une assistance par | relevant d’une assistance par l’État qui traite alors la pauvreté.<br> | ||
État État<br> | |||
Droits collectifs Assistance | Droits collectifs Assistance<br> | ||
Classe ouvrière Pauvres | Classe ouvrière Pauvres<br> | ||
Regrouper les plus exploités autour d’une même situation d’exclusion peut être tentant. Cela | Regrouper les plus exploités autour d’une même situation d’exclusion peut être tentant. Cela | ||
permet de rassembler largement sur un aspect à priori simple. Mais contrairement à ce groupe | permet de rassembler largement sur un aspect à priori simple. Mais contrairement à ce groupe | ||
des | des ''pauvres''ou des ''exclus'', le salariat resitue la situation dans le rapport capitaliste. Il | ||
offre aussi un groupe, le salariat, auquel on peut s’identifier. | offre aussi un groupe, le salariat, auquel on peut s’identifier.<br> | ||
Les revendications démocratiques peuvent jouer aussi ce rôle d’unification quand elles | Les revendications démocratiques peuvent jouer aussi ce rôle d’unification quand elles | ||
mobilisent largement, autour des salariés, d’autres franges de la population. | mobilisent largement, autour des salariés, d’autres franges de la population. | ||
''La puissance prolétarienne était puissamment combinée (et elle s’en trouvait | |||
renforcée) avec ce qu’on pourrait appeler la conscience jacobine – cet ensemble | renforcée) avec ce qu’on pourrait appeler la conscience jacobine – cet ensemble | ||
d’aspirations, d’expériences, de méthodes et d’attitudes morales dont la révolution | d’aspirations, d’expériences, de méthodes et d’attitudes morales dont la révolution | ||
française (et avant elle l’américaine) avait pénétré les pauvres capables de réflexion | française (et avant elle l’américaine) avait pénétré les pauvres capables de réflexion | ||
et de hardiesse. (…) Ces gens du commun – prolétaires ou non – que la révolution | et de hardiesse. (…) Ces gens du commun – prolétaires ou non – que la révolution | ||
française avait poussés sur le devant de l’histoire comme acteurs et non plus comme | française avait poussés sur le devant de l’histoire comme acteurs et non plus comme''<br> | ||
26 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique | 26 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique | ||
internationale de l’IRES, N°97, 2005. | internationale de l’IRES, N°97, 2005.<br> | ||
victimes, trouvèrent leur expression dans le mouvement démocratique (…). | ''victimes, trouvèrent leur expression dans le mouvement démocratique'' (…).<br> | ||
Conscience prolétarienne et conscience jacobine se complétaient l’une l’autre | ''Conscience prolétarienne et conscience jacobine se complétaient l’une l’autre'' 27.<br> | ||
C’est le lien social lié au territoire qui s’exprime ici, les salariés sont aussi citoyens et par la | C’est le lien social lié au territoire qui s’exprime ici, les salariés sont aussi citoyens et par la | ||
revendication de la citoyenneté construisent l’image d’un salariat unifié et capable de porter | revendication de la citoyenneté construisent l’image d’un salariat unifié et capable de porter | ||
les questions de la société. | les questions de la société.<br> | ||
3/ L’éclatement des collectifs de travail | |||
'''3/ L’éclatement des collectifs de travail'''<br> | |||
Une partie de cette unification du salariat s’opère sur les lieux de travail et autour du travail. | Une partie de cette unification du salariat s’opère sur les lieux de travail et autour du travail. | ||
Le travail est au centre de notre analyse de la société. Il donne une identité sociale, il permet | Le travail est au centre de notre analyse de la société. Il donne une identité sociale, il permet | ||
Line 618: | Line 633: | ||
construction de la classe ouvrière comme sujet politique. Il importe de noter quelques | construction de la classe ouvrière comme sujet politique. Il importe de noter quelques | ||
évolutions récentes qui sont déterminantes pour le salariat d’aujourd’hui, l’éclatement du | évolutions récentes qui sont déterminantes pour le salariat d’aujourd’hui, l’éclatement du | ||
salariat et l’intensification du travail. | salariat et l’intensification du travail.<br> | ||
De façon à briser toutes résistances dans sa recherche permanente de profits, le libéralisme | De façon à briser toutes résistances dans sa recherche permanente de profits, le libéralisme | ||
remet sans cesse en cause les formes collectives du travail. C’est d’abord au niveau des statuts | remet sans cesse en cause les formes collectives du travail. C’est d’abord au niveau des statuts | ||
des salariés que porte l’offensive de division : statuts précaires, fragilité de certains salariés… | des salariés que porte l’offensive de division : statuts précaires, fragilité de certains salariés… | ||
Cette recherche de rentabilité se traduit par l’intensification du travail. Celle-ci prend la forme | Cette recherche de rentabilité se traduit par l’intensification du travail. Celle-ci prend la forme | ||
d’un double mécanisme contradictoire : | d’un double mécanisme contradictoire :<br> | ||
· Post-taylorisme : la dernière période capitaliste avait été marquée par une baisse de | · '''Post-taylorisme''' : <br>la dernière période capitaliste avait été marquée par une baisse de | ||
rentabilité des modes de production, liée à une perte d’efficacité du taylorisme. | rentabilité des modes de production, liée à une perte d’efficacité du taylorisme. | ||
L’initiative des salariés, après avoir été bannie ou ignorée, devient un vecteur de | L’initiative des salariés, après avoir été bannie ou ignorée, devient un vecteur de | ||
progrès. Mais elle ne peut reposer que sur l’investissement personnel des salariés qui | progrès. Mais elle ne peut reposer que sur l’investissement personnel des salariés qui | ||
doivent lui sacrifier jusqu’à leur subjectivité et s’investir dans la finalité du produit. | doivent lui sacrifier jusqu’à leur subjectivité et s’investir dans la finalité du produit.<br> | ||
· Néo-taylorisme : l’augmentation des modes de contrôle de la production, par des | ·''' Néo-taylorisme''' : <br>l’augmentation des modes de contrôle de la production, par des | ||
moyens informatiques généralisés, s’étend du travail collectif au travail individuel. | moyens informatiques généralisés, s’étend du travail collectif au travail individuel. | ||
Cette double évolution contradictoire se traduit pas une souffrance accrue pour les salariés, | Cette double évolution contradictoire se traduit pas une souffrance accrue pour les salariés, | ||
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particulière de l’évolution du capitalisme. Elle s’appuie sur une hausse généralisée des | particulière de l’évolution du capitalisme. Elle s’appuie sur une hausse généralisée des | ||
connaissances et une augmentation de la nécessité de la coordination dans le travail. Ce | connaissances et une augmentation de la nécessité de la coordination dans le travail. Ce | ||
mécanisme est appelé par Marx le passage de l’ouvrier de l’industrie vers le General intellect. | mécanisme est appelé par Marx le passage de l’ouvrier de l’industrie vers le General intellect.<br> | ||
Il existe donc un enjeu particulier aujourd’hui pour reconstruire la dimension collective du | Il existe donc un enjeu particulier aujourd’hui pour reconstruire la dimension collective du | ||
travail, la reconstruction des collectifs de travail. Le syndicalisme est l’expression de la | travail, la reconstruction des collectifs de travail. Le syndicalisme est l’expression de la | ||
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et qui s’oppose à la mise en concurrence des salariés entre eux. C’est autour de la | et qui s’oppose à la mise en concurrence des salariés entre eux. C’est autour de la | ||
reconnaissance du droit de coalition que s’est construit le syndicalisme, intégrant tout autant | reconnaissance du droit de coalition que s’est construit le syndicalisme, intégrant tout autant | ||
le droit de grève que l’organisation dont se dote la classe ouvrière au XIXe siècle. | le droit de grève que l’organisation dont se dote la classe ouvrière au XIXe siècle.<br> | ||
Le travail est un rapport social. Il est à l’intersection entre un rapport de domination (sur la | Le travail est un rapport social. Il est à l’intersection entre un rapport de domination (sur la | ||
classe ouvrière, l’obligeant à travailler) et un rapport d’exploitation (de la classe ouvrière). | classe ouvrière, l’obligeant à travailler) et un rapport d’exploitation (de la classe ouvrière).<br> | ||
27 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998, p 270. | 27 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998, p 270.<br> | ||
4/ Représentation organique / représentation politique | '''4/ Représentation organique / représentation politique'''<br> | ||
La présentation précédente s’appuie implicitement sur l’idée que le syndicalisme a pour tache | La présentation précédente s’appuie implicitement sur l’idée que le syndicalisme a pour tache | ||
de représenter l’ensemble de la classe ouvrière au delà de ses contradictions (mais cette | de représenter l’ensemble de la classe ouvrière au delà de ses contradictions (mais cette | ||
représentation unifiée de la classe ouvrière peut prendre d’autres formes suivant les pays). | représentation unifiée de la classe ouvrière peut prendre d’autres formes suivant les pays). | ||
L’expression d’un intérêt commun aboutit seulement à une représentation organique, issue de | L’expression d’un intérêt commun aboutit seulement à une représentation organique, issue de | ||
la situation commune d’une classe sociale. | la situation commune d’une classe sociale.<br> | ||
''Le second moment est celui où tous les membres du groupe social prennent conscience de | |||
leur solidarité d’intérêts, mais encore dans les limites du champ purement économique. Dès | leur solidarité d’intérêts, mais encore dans les limites du champ purement économique. Dès | ||
ce moment-là se pose la question de l’Etat, mais seulement en tant qu’il s’agit d’obtenir | ce moment-là se pose la question de l’Etat, mais seulement en tant qu’il s’agit d’obtenir | ||
l’égalité politico-juridique avec les groupes dominants, puisque l’on revendique le droit de | l’égalité politico-juridique avec les groupes dominants, puisque l’on revendique le droit de | ||
participer à la législation et à l’administration, et au besoin de les modifier, de les réformer, | participer à la législation et à l’administration, et au besoin de les modifier, de les réformer, | ||
mais dans les cadres fondamentaux existants | mais dans les cadres fondamentaux existants''(Gramsci, Notes sur Machiavel, 13e Cahier de | ||
prison 1931) | prison 1931)<br> | ||
Mais la classe ouvrière ne peut s’affirmer comme classe dominée. Elle s’affirme au contraire | Mais la classe ouvrière ne peut s’affirmer comme classe dominée. Elle s’affirme au contraire | ||
par la lutte quotidienne de résistance qui intègre cette dimension émancipatrice. Pour exister, | par la lutte quotidienne de résistance qui intègre cette dimension émancipatrice. Pour exister, | ||
elle doit porter un projet d’émancipation, un projet d’une autre société. Ceci ouvre à l’action | elle doit porter un projet d’émancipation, un projet d’une autre société. Ceci ouvre à l’action | ||
politique. | politique.<br> | ||
C’est ce qu’exprime Gramsci en proposant une troisième étape : | C’est ce qu’exprime Gramsci en proposant une troisième étape :<br> | ||
''Le troisième moment est marqué par la conscience que les intérêts corporatifs | |||
propres, dans leur développement présent et futur, dépassent la sphère corporative, | propres, dans leur développement présent et futur, dépassent la sphère corporative, | ||
celle du groupe purement économique, et qu’ils peuvent et doivent devenir les intérêts | celle du groupe purement économique, et qu’ils peuvent et doivent devenir les intérêts | ||
d’autres groupes subordonnés. (…) C’est la phase dans laquelle les idéologie qui | d’autres groupes subordonnés. (…) C’est la phase dans laquelle les idéologie qui | ||
avaient germé antérieurement deviennent | avaient germé antérieurement deviennent ''parti'' , en viennent à se mesurer et | ||
entrent en lutte, jusqu’à ce que l’une d’entre elles , ou, du moins, une combinaison | entrent en lutte, jusqu’à ce que l’une d’entre elles , ou, du moins, une combinaison | ||
seulement de plusieurs d’entre elles, tende à prévaloir, à s’imposer, à se propager à | seulement de plusieurs d’entre elles, tende à prévaloir, à s’imposer, à se propager à | ||
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autour desquelles la lutté fait rage non sur le plan corporatif, mais sur le plan | autour desquelles la lutté fait rage non sur le plan corporatif, mais sur le plan | ||
“ universel ” et en instaurant ainsi l’hégémonie d’un groupe social fondamental sur | “ universel ” et en instaurant ainsi l’hégémonie d’un groupe social fondamental sur | ||
une série de groupes subordonnés. | une série de groupes subordonnés.'' (idem)<br> | ||
Cette volonté d’émancipation ne peut exister qu’à travers une stratégie. C’est ce qu’exprime | Cette volonté d’émancipation ne peut exister qu’à travers une stratégie. C’est ce qu’exprime | ||
l’existence des partis politiques, expressions politiques de cette classe ouvrière et de son | l’existence des partis politiques, expressions politiques de cette classe ouvrière et de son | ||
projet. C’est cette conscience de classe qui émerge au XIXème siècle, qui correspond à la | projet. C’est cette conscience de classe qui émerge au XIXème siècle, qui correspond à la | ||
jonction entre la révolution industrielle (Angleterre) et la révolution française et qu’il faut | jonction entre la révolution industrielle (Angleterre) et la révolution française et qu’il faut | ||
sans cesse reconstruire : | sans cesse reconstruire :<br> | ||
''Ce qu’il y avait de nouveau dans le mouvement ouvrier du début du XIXe siècle, | |||
c’est une conscience de classe et une ambition de classe. (…) La révolution française | c’est une conscience de classe et une ambition de classe. (…) La révolution française | ||
a donné à cette classe nouvelle la confiance en soi. La révolution industrielle l’a | a donné à cette classe nouvelle la confiance en soi. La révolution industrielle l’a | ||
marquée du besoin d’une mobilisation permanente. | marquée du besoin d’une mobilisation permanente.''28<br> | ||
C’est donc une double représentation qui correspond à ces deux tâches. Une représentation | C’est donc une double représentation qui correspond à ces deux tâches. Une représentation | ||
''organique'', unifiée, souvent représentée par le syndicalisme ; et une représentation | |||
politique, stratégique, concrétisée par des partis politiques différents. | politique, stratégique, concrétisée par des partis politiques différents.<br> | ||
28 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 p 268. | 28 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 p 268.<br> | ||
5/ Un objectif stratégique : unifier la classe ouvrière ; d’émancipation : bâtir de | '''5/ Un objectif stratégique : unifier la classe ouvrière ; d’émancipation : bâtir de | ||
nouveaux rapports sociaux | nouveaux rapports sociaux'''<br> | ||
L’analyse sociologique des classes sociales est intimement liée au projet politique que nous | L’analyse sociologique des classes sociales est intimement liée au projet politique que nous | ||
portons. Une analyse de la disparition de la classe ouvrière identifiée pourrait amener à | portons. Une analyse de la disparition de la classe ouvrière identifiée pourrait amener à | ||
plusieurs types de conclusions (si on écarte l’aplatissement devant l’ordre existant, devant un | plusieurs types de conclusions (si on écarte l’aplatissement devant l’ordre existant, devant un | ||
capitalisme devenu, pour l’essentiel de la social-démocratie, | capitalisme devenu, pour l’essentiel de la social-démocratie, ''horizon indépassable'') :<br> | ||
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certaines de ses composantes sont capables de mener des actions radicales, elles pèsent | certaines de ses composantes sont capables de mener des actions radicales, elles pèsent | ||
peu sur les centres stratégiques du système et surtout la coordination des salariés est | peu sur les centres stratégiques du système et surtout la coordination des salariés est | ||
éphémère, et le projet collectif ne peut qu’être réduit. | éphémère, et le projet collectif ne peut qu’être réduit.<br> | ||
· Une seconde vision met en avant les luttes contre les oppressions comme des éléments | · Une seconde vision met en avant les luttes contre les oppressions comme des éléments | ||
fondamentaux et relativisent la lutte économique. | fondamentaux et relativisent la lutte économique.<br> | ||
Après 1995 et le grand mouvement social en France, Pierre Bourdieu a théorisé les | Après 1995 et le grand mouvement social en France, Pierre Bourdieu a théorisé les | ||
''nouveaux mouvements sociaux'' les sujets révolutionnaires remplaçant la classe | |||
ouvrière (elle-même trop dominée pour se révolter). Cette vision a des ressorts réels : le | ouvrière (elle-même trop dominée pour se révolter). Cette vision a des ressorts réels : le | ||
bilan des courants dominants du mouvement ouvrier traditionnel, l’incapacité voire le | bilan des courants dominants du mouvement ouvrier traditionnel, l’incapacité voire le | ||
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pessimisme concernant la classe ouvrière de ce courant, qui la considère comme opprimée | pessimisme concernant la classe ouvrière de ce courant, qui la considère comme opprimée | ||
et incapable de s’émanciper30. Les mouvements sociaux doivent se lier avec le | et incapable de s’émanciper30. Les mouvements sociaux doivent se lier avec le | ||
mouvement ouvrier et y trouver (et lui donner) un sens commun. | mouvement ouvrier et y trouver (et lui donner) un sens commun.<br> | ||
· Une troisième vision s’appuie sur la progression d’un | · Une troisième vision s’appuie sur la progression d’un ''général intellect'': chacun | ||
participe, dans ce | participe, dans ce ''capitalisme cognitif'', de la création de la valeur par sa participation à | ||
la vie sociale. L’affrontement avec le capitalisme devient l’affrontement avec un système | la vie sociale. L’affrontement avec le capitalisme devient l’affrontement avec un système | ||
généralisé à la planète. Ce sont les mouvements sociaux qui portent alors la confrontation | généralisé à la planète. Ce sont les mouvements sociaux qui portent alors la confrontation | ||
principale avec le système capitaliste. | principale avec le système capitaliste.<br> | ||
Des rapports d’exploitation identifiés, mettent en scène dans une confrontation | Des rapports d’exploitation identifiés, mettent en scène dans une confrontation | ||
irréductible une classe capitaliste et une classe ouvrière (prise au sens large). | irréductible une classe capitaliste et une classe ouvrière (prise au sens large). | ||
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domination, pour un projet commun d’émancipation. Et c’est au coeur des rapports | domination, pour un projet commun d’émancipation. Et c’est au coeur des rapports | ||
sociaux que se trouve le ressort historique pour construire de nouveaux rapports | sociaux que se trouve le ressort historique pour construire de nouveaux rapports | ||
émancipés31. | émancipés31.<br> | ||
La classe ouvrière peut alors se poser comme le sujet historique de la transformation | La classe ouvrière peut alors se poser comme le sujet historique de la transformation | ||
sociale : | sociale :<br> | ||
''La classe ouvrière se présente d’emblée non pas comme classe, mais comme | |||
représentant la société toute entière | représentant la société toute entière''32.<br> | ||
29 Antonio Negri, « Refonder la gauche italienne », Le Monde diplomatique, août 2002. | 29 Antonio Negri, « Refonder la gauche italienne », Le Monde diplomatique, août 2002.<br> | ||
30 Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris, 2007 (1979). | 30 Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris, 2007 (1979).<br> | ||
31 Voir notamment Louis-Marie Barnier, Rapport social et autonomie, revue Que faire?, janvier 2008. | 31 Voir notamment Louis-Marie Barnier, Rapport social et autonomie, revue Que faire?, janvier 2008.<br> | ||
http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-rapport-social-et-autonomie-janvier08.pdf | http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-rapport-social-et-autonomie-janvier08.pdf<br> | ||
32 Marx, Engels, L’idéologie allemande, « Feuerbach », éd sociale 1976, p 46. | 32 Marx, Engels, L’idéologie allemande, « Feuerbach », éd sociale 1976, p 46.<br> | ||
Annexe I | '''Annexe I'''<br> | ||
Bibliographie | '''Bibliographie'''<br> | ||
Pierre Bourdieu P., 2007 (1979), La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris. (un livre | Pierre Bourdieu P., 2007 (1979), La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris. (un livre | ||
fondamental dans l’approche de Pierre Bourdieu des classe sociale, et de la classe ouvrière plus exactement). | fondamental dans l’approche de Pierre Bourdieu des classe sociale, et de la classe ouvrière plus exactement).<br> | ||
Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique internationale | Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique internationale | ||
de l’IRES, N°97, 2005. | de l’IRES, N°97, 2005.<br> | ||
E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 (les trois tomes décrivent la constitution | E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 (les trois tomes décrivent la constitution | ||
des fondements des rapports sociaux dans le capitalisme, bien qu’étant sans doute européocentriste…). | des fondements des rapports sociaux dans le capitalisme, bien qu’étant sans doute européocentriste…).<br> | ||
Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998. | Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998.<br> | ||
Et mon site : http://lmbarnier.free.fr | Et mon site : http://lmbarnier.free.fr<br> | ||
Annexe II | '''Annexe II'''<br> | ||
Travail en groupe. | '''Travail en groupe.'''<br> | ||
Pour mieux appréhender cette question de la classe ouvrière, nous proposons que | Pour mieux appréhender cette question de la classe ouvrière, nous proposons que | ||
les groupes cherchent des exemples concrets, parmi les situations des membres du | les groupes cherchent des exemples concrets, parmi les situations des membres du | ||
groupes, qui permettent de comprendre les trois parties de l’exposé, la notion de | groupes, qui permettent de comprendre les trois parties de l’exposé, la notion de | ||
rapport social, les éléments objectifs de la classe ouvrière et la construction | rapport social, les éléments objectifs de la classe ouvrière et la construction | ||
subjective de la classe ouvrière. | subjective de la classe ouvrière.<br> | ||
1ère phase / Chaque groupe choisira un exemple parmi les rapports sociaux cités, | 1ère phase / Chaque groupe choisira un exemple parmi les rapports sociaux cités, | ||
afin de déterminer les groupes antagoniques, la forme de confrontation, l’enjeu de la | afin de déterminer les groupes antagoniques, la forme de confrontation, l’enjeu de la | ||
confrontation. | confrontation.<br> | ||
2e phase / Chaque groupe choisira un pays parmi les descriptions des compositions | 2e phase / Chaque groupe choisira un pays parmi les descriptions des compositions | ||
sociales des pays suivants (Algérie, France, Pakistan, Indonésie), pour en déduire le | sociales des pays suivants (Algérie, France, Pakistan, Indonésie), pour en déduire le | ||
poids (de façon très indicative !) de la classe ouvrière (en % de la population), | poids (de façon très indicative !) de la classe ouvrière (en % de la population), | ||
d’autres classes sociales et les questions politiques qui en découlent. | d’autres classes sociales et les questions politiques qui en découlent.<br> | ||
3e phase / Chaque groupe essaiera de mettre en évidence une ou plusieurs | 3e phase / Chaque groupe essaiera de mettre en évidence une ou plusieurs | ||
revendications de type salarial et une ou plusieurs revendications de type | revendications de type salarial et une ou plusieurs revendications de type | ||
professionnel, en expliquant le fonctionnement dans un ou des pays. | professionnel, en expliquant le fonctionnement dans un ou des pays.<br> |
Latest revision as of 12:54, 30 December 2010
Cet exposé est conçu autour de trois thèmes, la notion de rapport social, la composition de la classe ouvrière comme résultante des rapports sociaux et la
construction de la classe ouvrière comme sujet des rapports sociaux.
Deux annexes (bibliographie et étude de la composition sociale de quelques pays)complètent cette série d’exposés.
Exposé 1 : la notion de rapport social
Notre combat quotidien s’alimente de nos résistances à toutes les formes d’oppression.
Lorsqu’on est ouvrier, femme, immigré, handicapé, jeune, homosexuel (le)s, ou de tout autre
statut, on subit des formes d’oppression qui peuvent prendre la forme de discriminations, de
traitements différenciés et inégalitaires, de contraintes plus physiques, d’assignations à des
tâches spéciales, de formes de mépris.
Ces situations s’appuient souvent sur l’idée d’une
« nature » particulière qui justifierait, y compris aux yeux des opprimés, l’oppression.
Comment se croisent et s’organisent les différentes oppressions ? Quels sens prennent-elles
dans la société capitaliste ? Comment bâtir des résistances collectives ?
Pour répondre à ces
questions, nous nous appuierons spécialement sur la notion de rapport social.
1/ Quelques définitions : identité, rapport social, domination
La domination : C’est l’acte par lequel un groupe impose à un autre des situations non
voulues.
« Le rapport de domination est un rapport social dissymétrique entre (au moins)
deux protagonistes dont l’un est en capacité d’imposer à l’autre (au travers d’une dynamique
entre contrainte et consentement) un jeu et les règles du jeu, incluant les catégories de
pensées et d’action »1.
Identités : Nous avons tous plusieurs identités : chacun « est » homme ou femme, blanc ou
noir, jeune ou ancien, etc. C’est la reconnaissance, l’impression d’appartenance à un groupe
social, plus ou moins défini, qui donne l’identité 2.
La diversité identitaire humaine se déploie
sur des échelles, le plus souvent binaires, entre ce qu’est être homme ou femme, blanc ou
noir, jeune ou ancien. Toutes catégories dont la définition est variable d’une culture à l’autre,
selon les périodes historiques.
On peut donc combiner les oppressions : gays dans les cités, jeune immigrée,…
Les groupes, tels que les identités collectives les définissent, ont des caractéristiques plus ou
moins réelles, octroyées par les autres ou par lui-même.
1 Paul Bouffartigues, Le retour des classes sociales, inégalités, dominations, conflits, 2004 p 271
2 Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998.
Rapports sociaux : On se situe tous au centre de différents rapports sociaux.
Homme Bourgeois Blanc Hétérosexuel Bien Portant Intellectuel
Femme Ouvrier Noir / Beur Homosexuel Handicapé Manuel
On peut définir la notion de rapport à partir de plusieurs caractéristiques :
· Dans un rapport social, il n’y a pas une relation entre deux groupes préexistants, mais un
rapport qui construit les deux groupes. Dit autrement, les deux groupes se construisent
dans la confrontation.
Le salariat n’existait pas avant la bourgeoisie : la classe ouvrière est
apparue quand des propriétaires de moyens de production ont eu besoin de faire travailler
des salariés dans leurs usines.
Dans le rapport hommes / femmes, c’est autant le groupe
des femmes opprimées, que celui des hommes (virils, dominateurs), qui se définissent.
C'est dans le rapport que les protagonistes se produisent et s'engendrent 3.
Le rapport
social entre homosexuels et hétérosexuels se construit autour de l’ordre moral
(ordre moral et ordre social vont de paire).
· Le rapport social se construit autour d’un enjeu4.
L’affrontement se joue autour de deux
dimensions : d’une part affrontement entre les protagonistes ; d’autre part affrontement
autour d’un enjeu.
Dans le rapport bourgeoisie / ouvriers, cet enjeu va être l’exploitation ;
dans le rapport hommes / femmes, la division sexuelle du travail qui se traduit par
l’assignation des femmes à des tâches précises dans la sphère de la production ou de la
reproduction (services marchands ou dans la famille), et l’attribution des fonctions
publiques et des rôles de pouvoir aux hommes.
· Certains de ces rapports sont antagoniques, irréconciliables.
C’est le cas du rapport
bourgeoisie / ouvrier, dont l’enjeu est l’exploitation d’un groupe par l’autre (même si il
peut se créer des compromis forcément instables). Mais notre stratégie d’émancipation
vise à dépasser par exemple l’antagonisme hommes / femmes.
Toute la société est concernée par ces rapports sociaux et ces antagonismes : c’est
l’organisation sociale qui est transformée par la division sexuelle du travail 5.
Ce sont
d’ailleurs ces dimensions qui définissent les êtres humains : l’espèce humaine, l’existence est
formée de l’ensemble des rapports sociaux.
« L'essence de l'homme n'est pas une abstraction
inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux. » (Marx,
6e thèse sur Feuerbach.). Les relations interpersonnelles s’inscrivent forcément dans ce cadre.
2/ Multiplicité des identités, des appartenances de groupes.
La liberté de chacun est de choisir le mode d’insertion dans ces relations humaines. Chacun a
heureusement la faculté de refuser ces dominations, de vouloir faire évoluer ces rapports
sociaux même si par exemple, la relation d’un couple mixte s’inscrit dans un rapport social
hommes / femmes, qui concerne autant la dimension privée, professionnelle, familiale.
3 Philippe Zarifian, rapport social de service et capitalisme, 2005, http://pagespersoorange.
fr/philippe.zarifian/page123.htm
4 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute,
2007, p 300.
5 Qui devient un « fait social total », suivant le terme de M. Mauss, qui concerne toute la société.
Chacun « joue » aussi entre ses multiples identités. Chaque individu a des identités multiples.
Suivant la conjoncture, une identité peut devenir prépondérante. On peut se définir vis-à-vis
des autres comme femme, homme, homosexuel, beur gay, handicapé femme, etc.
Qu’est-ce
qui fait qu’on a choisit une identité, que l’on met en avant tel dimension de notre personnalité
sociale ?
Deux éléments centraux apparaissent. D’abord ces identités sont collectives : on s’attribue des
éléments qui nous identifient à un groupe social. Elles sont par ailleurs évolutives : les
caractéristiques du groupe sont données par les rapports sociaux à un moment donné. Ce sont
des situations sociales qui définissent les identités particulières, des rapports entre des groupes
sociaux.
On peut être simultanément femme, ouvrière, blanche, etc. On peut être inscrits dans des
rapports sociaux de domination tantôt du côté dominant, tantôt de l’autre. La relation entre
l’ouvrier et la femme de l’ouvrier s’inscrit dans des rapports de domination.
Les oppressions ont des caractéristiques communes. Elles se traduisent à la fois par :
o Une absence de droits pour les populations dominées
o Une violence symbolique conduisant à accepter la situation
o Une violence physique qui complète cette violence symbolique
o Une stigmatisation par le dénigrement systématique du groupe opposé.
« Les femmes
ont été invariablement dénoncées comme bavardes, coquettes, émotives, incapables de
réfléchir, bref comme un "moindre mâle"6 mais appréciées pour leur « douceur » etc.
Les colonisés par l’Europe ou les noirs aux Etats-Unis ont toujours été réputés «
paresseux ».
Les prolétaires du dix-neuvième siècle furent quant à eux considérés
comme des « brutes » ou des alcooliques par nature »7
o Une naturalisation de la différence : votre oppression est liée à vos caractéristiques
naturelles, qui la justifient.
o Une hiérarchisation de ces différences (c’est mieux d’être blanc que noir).
o Et un certain nombre de ces dominations, nous y reviendrons, se combinent avec une
exploitation économique.
Certains mettent en avant une oppression qui leur semble prioritaire par rapport aux autres.
Cette démarche est souvent doublée par l’idée qu’une appartenance serait prioritaire, et
définirait une communauté qui porterait l’identité principale (unique ?) de la personne.
Il faut
rappeler quelques caractéristiques du système communautaire : ces groupes sont non
démocratiques, marqués par le poids de leaders. Ils s’enferment dans des normes rigides,
impératives. Le repli et l’opposition aux autres groupes deviennent facilement dominants.
Les
institutions peuvent être porteuses de mécanismes qui participent de la construction de
groupes particuliers (par exemple par la répartition discriminante des logements, voir les
écrits de Loïc Wacquant). Elles cristallisent les rapports sociaux dans des mécanismes
d’exclusion et de discrimination.
Mais l’affirmation du groupe peut aussi être la voie choisie pour construire un rapport de
force, il est vécu alors comme un point d’appui pour se battre et se faire reconnaître.
6 Voir Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007.
7 Josette Trat, identité sexuée et changements sociaux, Contretemps N°7, 2007.
3/ Centralité du rapport capital / travail
Dans la société capitaliste, le rapport Capital / travail est un rapport social qui englobe tous les
rapports sociaux.
Capital
Bourgeois Homme Blanc Hétérosexuel Bien Portant
Ouvrier Femme Noir / Beur Homosexuel handicapé
Travail
Ce rapport Capital / Travail combine donc un rapport social d’exploitation, qui s’applique à
toute la société, et un rapport de domination qui englobe l’ensemble des rapports sociaux et
leur donne une forme particulière.
L’exploitation se nourrit des différentes oppressions et permet la sur-exploitation de certains
groupes sociaux.
⇒ L’oppression de la classe ouvrière a une base économique : les « prolétaires » sont
obligés d’aller vendre leur force de travail, unique moyen de subsistance. Mais ceci ne
suffit pas au système capitaliste, qui doit trouver des sources plus profondes pour que
les ouvriers acceptent la domination. « La classe sociale n’est pas définie seulement
par une position dans les rapports de production, mais par l’habitus de classe qui est
« normalement » (…) associé à cette position »8.
⇒ L’oppression des femmes permet de confiner les femmes dans les tâches liées à la
reproduction de la force de travail, de déqualifier le travail des femmes : un mode de
gestion des salariés lié aux seules compétences engagées dans le travail, ne permettant
pas d’évolution professionnelle dans le même poste ni vers des tâches plus qualifiées. Il
vise à faire croire au salaire féminin comme apport annexe dans le foyer. Ces éléments
se combinent pour justifier le moindre paiement des femmes, amenant donc une
surexploitation.
⇒ L’oppression raciale vise à justifier le maintien « en bas de l’échelle », dans des
emplois subalterne, de manutention, de nettoyage, d’une catégorie de la population.
Elle conduit à justifier la moindre reconnaissance dans toute la société. Par exemple,
les jeunes immigrés représentent une armée de réserve qui pèse sur les salaires.
⇒ Les autres formes d’oppression peuvent aussi se combiner au rapport d’exploitation,
comme la catégorie de « travailleurs handicapés qui justifie des salaires moindres
8 P. Bourdieu, La distinction, Critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007, p 433.
(France : 50 % du salaire dans les centres spécialisés), ou l’exclusion du marché du
travail (Grande Bretagne). Mais les trois premières formes d’oppressions sont
centrales, structurantes pour la société, parce qu’elles se combinent avec les rapports
d’exploitation et sont structurellement intégrées au mécanisme d’exploitation.
Toutes ces oppressions aboutissent à rendre « naturelle » la situation sous-payée des
catégories concernées : « L’ordre social s’inscrit progressivement dans les cerveaux (…).
L’expérience première du monde social est celle de la doxa, adhésion aux relations d’ordre
qui, parce qu’elles fondent inséparablement le monde réel et le monde pensé, sont acceptées
comme allant de soi »9
· Les ouvriers ont une situation d’exploitation parce qu’ils n’ont pas le diplôme qui
permette de faire autre chose Un des mécanismes repose sur l’idée de renvoyer aux
opprimés la responsabilité de leur situation : « L’école ou la reconnaissance du mérite
permettent de s’élever ; si les ouvriers restent ouvriers c’est qu’ils sont moins
compétents. »
· Les femmes s’occupent des enfants parce qu’elles sont « naturellement » aptes à le
faire. Les hommes occupent la sphère publique qui leur est dédiée.
· Les immigrés occupent le « bas de l’échelle », ils font le « sale boulot » parce qu’ils
sont immigrés.
· Les travailleurs manuels ne sont pas aptes à réfléchir, ils n’en ont pas les capacités.
La tension principale se joue au niveau de la division du travail10, bien plus que sur la
sexualité ou le racisme. La division du travail trouve sa source dans ces mécanismes
d’oppression. Dans la discrimination que subissent les groupes opprimés, se combinent deux
mécanismes complémentaires : la séparation (d’activités, de tâches : la fille / le garçon de
salle nettoie, pas l’infirmière) et la hiérarchisation (il est plus valorisé d’être chirurgien
qu’infirmière)11. La séparation se traduit par des professions masculines ou féminines, telles
que chirurgien ou infirmière. La hiérarchisation des tâches amène à valoriser davantage la
position du chirurgien que celle de l’infirmière.
La logique du rapport antagonique Capital / travail prime sur le reste. L’oppression conduit à
une « surexploitation » de certains groupes (femmes ouvrière immigrée par exemple). La base
économique de l’oppression est donc l’exploitation. Elle repose sur des mécanismes
permanents de divisions des salariés entre eux, d’opposition.
Il faut inclure à cette approche globale des oppressions la dimension profondément intégrée
dans nos sociétés de ces rapports de domination. Cette force tient au fait notamment que le
capitalisme se réapproprie les oppressions des systèmes précapitalistes, leur donne une forme
particulière, leur fixe des enjeux différents (tels que l’inscription dans des rapports
d’exploitation), les nourrit en permanence par des mécanismes divers.
L’oppression des
femmes, le racisme ne se réduisent pas à des rapports d’exploitation. Racisme, mépris des
ouvriers, machisme, etc. C’est pourquoi résoudre les questions d’exploitation ne conduit pas
à résoudre les oppressions. La révolution ne signera pas la fin de l’oppression des femmes, ni
les réflexes vis-à-vis de « l’étranger ».
9 P. Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 2007 p 549.
10 Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux. Rapports de classes, rapports de sexes, Paris, La Dispute,
2007, p 300.
11 Voir l’article de D Kergoat, Rapports sociaux et division du travail entre les sexes, in Femmes genre et société,
l’état des savoirs, 2005, p 94-101.
Ces rapports d’oppression et d’exploitation sont des rapports sociaux, qui ne résument
pas à une situation de famille ou de travail mais structurent toute la société.
Pour
appréhender la classe ouvrière, il faut la comprendre comme un produit de ces rapports
sociaux.
Exposé 2 : La composition de la classe ouvrière
La tradition marxiste donne une place centrale à la classe ouvrière dans les processus de
transformation de la société. Cette partie vise à comprendre, à partir de l’analyse des classes
sociales dans notre monde tel qu’il est, les processus de constitution de cette classe ouvrière,
comme groupe socioprofessionnel, comme classe sociale mais surtout comme produit d’un
rapport social.
1/ La composition de la classe ouvrière
Définir le périmètre de la classe ouvrière, comme on va le voir, est essentiellement une
question politique et non pas économique ou sociologique. Cerner la classe ouvrière permet
d’entrer dans une compréhension de ce qu’est une classe sociale.
a) Il existe une définition stricte de la classe ouvrière, assimilée aux seuls
ouvriers
Il existe une définition très restrictive de la classe ouvrière : elle recouvrerait les seuls salariés
de l’industrie, et parmi eux les producteurs de plus-value. Certains d’entre nous défendent
cette thèse.
Pour ces camarades, le travail improductif n’est pas forcément moins utile socialement
que le travail productif. Le fait qu’un salarié ne produise pas de plus–value ne signifie
pas que le capitaliste ne lui extorque pas de surtravail ainsi que Marx l’a noté dans Le
Capital (livre III, tome 3) à propos des salariés du secteur commercial : ce type de
salariérapporte au capitaliste, non parce qu’il crée directement de la plus-value,
mais parce qu’il contribue à diminuer les frais de réalisation de la plus-value, en
accomplissant du travail en partie non-payé. Ils font donc partie des exploités. C’est
aussi la thèse défendue par E. Mandel : L’échange même, c‘est–à-dire la
concurrence, c'est-à-dire le mouvement dans la sphère de circulation, ne peuvent
créer la moindre atome de plus-value12.
Qui crée de la plus-value ?
Les ouvriers de l’industrie ne sont pas les seuls à créer de la plus-value. C’est le cas des
employés de commerce, les salariés des services (postiers), tous ceux qui sont engagés dans la
reproduction de la force de travail :
· Pour que la marchandise devienne une valeur d’usage, il faut qu’elle soit là où on en a
besoin, donc le transport de la marchandise ou son commerce participe à donner une
véritable valeur d’usage, il crée donc aussi de la valeur d’échange.
· La logistique participe à l’organisation globale du travail et donc à une création globale de
valeurs.
· Les infirmières, les instituteurs participent à la reproduction de la classe ouvrière, ils
relèvent des services publics qui anticipent les besoins sociaux collectifs.
12 Ernest Mandel, 3e âge du capitalisme, 10/18, t1 p 183. Idem p 343.
Pour J-M Harribey, même les services non marchands créent de la valeur. Le travail
effectué dans les services non marchands est productif de valeurs d’usage monétaires mais pas
de valeur pour le capital, et les travailleurs qui y sont employés créent le revenu qui les
rémunère.L’explication marxiste traditionnelle défend que la non-marchandise (les
services) est financée par la marchandise. Mais cela rend impossible de théoriser une sphère
non marchande ayant pour vocation de s’étendre au fur et à mesure que les rapports de forces
tourneraient à l’avantage du travail face au capital.13
La déconsidération du mouvement ouvrier pour le travail des femmes relève beaucoup de ce
non-dit : le travail des employé-es ne créerait pas de plus-value, et pure coïncidence, les
employés sont majoritairement des femmes.
Certains courants défendent cette thèse, à partir d’un considérant : la classe ouvrière est
historiquement minoritaire, l’objectif politique principal est donc de tisser des alliances avec
la petite bourgeoisie ou la bourgeoisie nationale. On voit bien ici combien cette question
est essentiellement politique et n’a pas de conséquence théorique autre que stratégique.
b) Une seconde lecture extensive de la classe ouvrière est possible. C’est celle
défendue ici.
Les employés, de même que l’ensemble des groupes sociaux polarisés par le rapport
d’exploitation capitalistes et le plus souvent salariés, font partie des ouvriers, et donc de la
classe ouvrière. Cette lecture extensive de la classe ouvrière, permet de concilier le rôle dans
la production, et l’existence d’une classe sociale qui ne se résume pas à un groupe
professionnel. Dans cette optique, la classe ouvrière représente une large part de la
population, entre 80 et 90 % de la population.
La classe ouvrière se définit par une convergence d’éléments.
- le salariat (ce qui renvoie à la vente de la force de travail)
- la vie sociale commune
- La place dans la production, le travail d’exécution (ce qui oppose les ouvriers à
tous ceux qui ont charge d’encadrement) ; le travail subordonné
- Ce groupe ne dépend pour vivre que de son travail. Le prolétariat est obligé de
vendre sa force de travail. Il s’oppose à un autre groupe qui est caractérisé au
contraire par le patrimoine, la bourgeoisie. Qu’est-ce qui est fondamental pour
définir ce groupe ? : la nature de la source de revenu.
· Soit on est dépendant de son travail (ce que l’on fait) : la classe
ouvrière.
· Soit on tire son revenu de son patrimoine. (ce que l’on a) : la
bourgeoisie.
Ce qui est primordial, c’est que la confrontation entre ces deux classes structure la société.
- Reste un point en débat entre nous : la référence à la production directe (ce qui les
différencie des ingénieurs d’étude, par exemple).
13 Jean-Marie Harribey, Economie politique de la démarchandisation de la société, Actuel Marx,
« Altermondialisme, anticapitalisme », n° 44, 2e semestre 2008, p. 76-91
Mais surtout, ce n’est pas seulement un ensemble de travailleurs, mais une classe sociale qui
se construit politiquement, socialement. Les chômeurs par exemple en font partie.
Employeurs / bourgeoisie
Petits cadres
Techniciens
Ouvriers et employé(e)s
Un certain nombre de groupes intermédiaires existent. C’est le cas des techniciens : Dans les
années 1960 on trouve différentes définitions concernant des couches particulières du salariat.
on parle de nouvelle classe ouvrière concernant les techniciens censés être moins
sensibles aux revendications dites quantitatives (les salaires) et plus sensibles aux
revendications dites qualitatives (contrôle sur la production, autogestion). C’est la
reconnaissance qu’attendraient les salariés, puisque le niveau de vie est considéré comme
suffisant et donc moins au centre des revendications14. On suppose aussi que l’avenir, devenir
cadre, qui leur serait promis, les amène à s’identifier aux directions. En fait leur origine
sociale, souvent populaire, la fin du mythe de la promotion sociale et la baisse de leur salaire
les a rapprochés des salariés d’exécution.
Des salariés, les cadres de production / cadres techniques / ingénieurs de bureaux d’étude
participent à l’organisation de la production. Par rapport à ces catégories, les questions sont :
· Quelle est la place dans le processus de production, d’exploitation ? Est-ce qu’ils
jouent un rôle, par délégation, dans les processus d’exploitation ?
· Question qui lui est liée : est-ce que ces salariés sont payés en fonction de leur travail,
ou de la place dans le processus d’exploitation (leur rôle éventuel dans l’appareil
répressif) ?
La plupart de ces salariés, quand ils n’ont pas de rôle d’encadrement sont de fait dans des
situations identiques aux salariés, avec qui ils doivent trouver un intérêt commun. On peut
dire que ces groupes sont objectivement dans la classe ouvrière, mais sont politiquement
attirés par la bourgeoisie, qui leur fait miroiter pouvoir, intégration, reconnaissance du mérite,
ascension sociale…
c) Ce débat vient de la confusion entre deux notions : un groupe professionnel et
une classe sociale.
Un groupe professionnel rassemble des personnes ayant une situation identique dans les
rapports de production. Mais une classe sociale est une notion plus vaste. Celle-ci considère le
groupe dans le cadre de la société, elle inclut la reproduction de la classe sociale comme un
élément constitutif de sa composition (voir les études menés sur la bourgeoisie, qui montrent
bien cette dimension).
14 Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000.
La vie sociale des employé(e)s et des ouvrier(e)s, leur niveau de vie, leurs lieux de vie les
rassemblent. Ouvriers et employés ont des conditions de rémunération similaires avec un
salaire net mensuels pour les temps complets de l’ordre de 1250 € pour les deux catégories (si
l’on prend en compte les temps partiels, les revenus mensuels des employés sont assez
nettement inférieurs à ceux des ouvriers). Une partie des employés sont soumis dans leur
travail à des contraintes analogues à celles des ouvriers (tâches répétitives, contraintes de
rythme). Ouvriers et employés se trouvent aussi dans des situations communes du point de vie
de l’habitat, des difficultés d’insertion professionnelle au début de la vie active, ou de l’accès
de leurs enfants aux études supérieures, etc. La symbiose grandissante des employés et
ouvriers est symbolisée par la forte proportion des couples mixtes: en 1996 en France,
40% des employées avaient épousé un ouvrier.
L’analyse de Danièle Kergoat15 à propos des ouvrières montre que les femmes vont et
viennent de l’activité en usine à l’inactivité, elles passent du secteur secondaire (industrie) au
secteur tertiaire (le commerce, les services) :Ne font-elles partie de la classe ouvrière stricto
sensu que de façon sporadique, ou plus largement de ‘classes populaires’ ?.
La définition de
l’ouvrier à partir de la situation professionnelle stable ( et surtout de la participation à la
création de plus-valueau sens le plus strict) relève d’un schéma masculin. Et leur
appartenance à la classe ouvrière à partir du métier du chef de familleaboutit à nier la
division sexuelle du travail et à rendre invisible le travail des femmes.
Danièle Kergoat esquisse à partir de cet exemple, et des luttes sociales des femmes, la
construction d’une classe sociale qui ne se définit pas qu’à partir d’un groupe professionnel :
Les luttes des ouvrières n’ajoutent pas quelque chose en plus aux thèmes du
mouvement ouvrier, elles ne se content pas de les enrichir. Elles dessinent en filigrane
autre chose… Leurs luttes ne dissociant pas (ne pouvant dissocier) les conditions de
travail organisées par les rapports d’exploitation, et les conditions de vie organisées
par les rapports de domination, elles esquissent en creux le moule d’une conscience de
classe qui ne serait plus axée sur les seuls aspects de la production mais prendrait en
compte la totalité des formes sociales que prennent les rapports de classe(p 134).
Elle en conclut à la nécessité d’une extension du champ de la lutte des classes.
On pourrait aussi citer le cas des jeunes précaires qui évoluent d’emplois d’ouvriers à des
emplois d’employés… Leur appartenance à la classe ouvrière ne change pas suivant les
saisons.
L’insistance sur la définition du prolétariat est dangereuse si elle conduit à négliger ce qui est
essentiel : la façon dont, dans une formation sociale donnée se polarisent les forces en
présence, leurs dynamiques sociales et politiques. Autrement dit, les groupes sociaux sont
l’émanation des rapports sociaux.
2/ Paysans, artisans, secteur informel.
D’autres groupes sociaux sont polarisés par le rapport capital / travail.
Le groupe des paysans est fondamentalement divisé entre les grands propriétaires terriens qui
considèrent leur terre comme un capital à faire fructifier, et les petits paysans. La terre passe
sous la domination du capitalisme industriel, l’organisation du travail devient capitaliste (et
productiviste…).
15 Danièle Kergoat, Les ouvrières, le Sycomore 1982
Dans sa fonction de producteur, l’agriculteur perd de plus en plus le contrôle de sa
production et même de ses moyens de production : en d’autres termes, il se
prolétarise, sans devenir salarié au sens strict16. (Bernard Lambert17, 1970)
Dans de nombreux pays capitalistes où la paysannerie est encore importante, les trois grandes
fonctions de l’agriculture sont : produire de la nourriture et des matières premières en quantité
toujours plus grande ; fournir le captal initial pour le développement industriel et urbain
(surtout pour le capitalisme naissant) ; servir de réservoir de main d’oeuvre pour le reste des
activités18.
Le réseau des très petites entreprises et des artisans s’est aussi renforcé, dans la plupart des
pays, du fait de l’éclatement du salariat comme nouvelle stratégie des grandes entreprises et
des politiques de sous-traitance.
De même, un secteur informel s’est créé, qui ne relève d’aucune loi sociale dans de très
nombreux pays.
Fondamentalement, ces formes d’emploi diverses, même comme structures précapitalistes, se
trouvent confrontées à l’extension de la loi de la valeur. Ce ne sont pas les paysans ou les
artisans du XVIIIe. Les banques, les prêts, les normes d’investissement et de rentabilité les
intègrent au fonctionnement capitaliste.
· Les marins pêcheurs, les petits paysans sont pris dans des structures de coûts,
d’investissements par les banques (crédit agricole) qui font fonctionner leurs
exploitations comme des segments de la production capitaliste (productivisme…).
Même si la propriété (plus ou moins factice) de leur patrimoine leur fait croire à leur
autonomie. Leur intérêt objectif est de se lier avec la classe ouvrière contre le
capitalisme.
· Le secteur informel, tout en situant à la marge du salariat (un salariat sans droits
collectifs, sans représentation), est intégré comme un des éléments du circuit de
reproduction de la force de travail.
· Des structures comme les coopératives, le revenu garanti par un fonds bancaire
permettraient de lier formes de propriété et socialisation. De lier intérêts particuliers
et alliance avec la classe ouvrière.
Ces classes sociales sont insérées dans les rapports marchands capitalistes, ils relèvent de la
production ou de la reproduction de la force de travail. C’est donc à nous de créer les
conditions de les associer à la classe ouvrière. Cela peut passer par le soutien à des formes
coopératives ou autres formes de socialisation.
Un débat existe sur les jeunes confrontés à la précarité, et sur le groupe social qu’ils
représenteraient. La thèse de ce courent est que la précarité dépasse largement le seul travail,
et qu’elle permet d’identifier un groupe avec des caractéristiques homogènes :
Les salariés précaires constituent aujourd’hui la figure du salarié de la discontinuité,
comme ont pu l’être en d’autres temps les journaliers ou les manoeuvres. (…) Les
précaires cumulent dans leur expérience du travail un ensemble de discontinuités :
discontinuité de l’emploi, de la protection sociale, de l’organisation collective. A
travers l’expérience des discontinuités de périodes d’emploi et de chômage d’abord,
16 Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte de classe, le Seuil 1970.
17 B. Lambert est le fondateur du groupe français des Paysans-Travailleurs, qui deviendra par la suite la
Confédération paysanne (gauche radicale).
18 Eric J. Hobsbawm, L’ère du capital, tome II : 1848 - 1875, Pluriel, p 249
les travailleurs précaires sont tantôt travailleurs salariés, toujours de manière
incomplète car ne disposant pas de l’ensemble des attributs des salariés à statut, tantôt
chômeurs, mais de manière intermittente et n’aspirant pas le plus souvent à cette
condition.19
Ces précaires ont en effet une identitéde situations vécues et de ressentis : ils s’identifient
à une condition commune. Mais le fait qu’ils n’ont pas de projet spécifique, à part celui de ne
plus être précaire, ne permet pas, à notre sens, d’en faire un groupe qui pourrait porter un
projet spécifique. Il faut donc trouver, là encore, les conditions de convergence avec le reste
de la classe ouvrière.
3/ Quelques repères pour conclure ce thème :
· Une classe sociale, ce n’est pas seulement une position dans l’organisation du
travail.
La théorie de l’exploitation est le point de départ nécessaire à une analyse marxiste des classes
sociales mais (au risque d’être schématique), elle ne nous fournit que des rôles ou des
positions qui existent dans la structure d’une société particulière. Ces positions se traduisent
par la participation à un collectif, un groupe social défini par la source de ses revenus
collectifs (le travail), le lieu de vie, le devenir, etc.
· Fondamentalement le calcul du poids de la classe ouvrière est une question
politique :
- Soit la classe ouvrière est minoritaire : c’est une politique d’alliance avec d’autres
couches qui est au centre de la stratégie.
- Soit la classe ouvrière est socialement majoritaire, intégrant les « ouvriers », les
employés, les techniciens ainsi que tous ceux parmi les catégories intermédiaires,
artisans et petits paysans qui sont objectivement pris dans le même système
capitaliste. Elle représente 80 à 90 % de la population. Notre tâche principale est
alors son unification pour la transformer en un sujet porteur d’un projet collectif.
D’où la suite de l’exposé.
19 Adrien Mazières-Vaysse, Précarité et construction d’identités collectives dans le salariat, Contretemps N°4,
décembre 2009.
Exposé 3:La construction de la classe ouvrière comme sujet
Dans le second exposé, nous nous sommes attachés à décrire les processus et rapports sociaux
qui tendent à construire la classe ouvrière comme classe sociale. Mais nous devons intégrer
une dimension subjective à cette construction de la classe ouvrière. C’est l’objet de ce
troisième exposé.
Comment la classe ouvrière émerge-t-elle comme futur groupe dominant dans la société ? Les
outils pour cette démarche d’affirmation et de construction d’une classe sociale sont
multiples, associations relevant du mouvement social et luttant contre diverses oppressions
(dont celle de la classe ouvrière), syndicats réunissant les salariés le plus largement possible,
partis politiques proposant diverses stratégies. L’histoire du mouvement ouvrier est en effet
celle d’un effort constant pour se construire comme sujet historique. La prise de conscience
collective est évidemment le fil conducteur de cette histoire collective.
1/ Classe objective, classe subjective,conscience de classe: construire un
intérêt commun ?
Posséder les éléments objectifs ne suffit pas pour apparaitre comme une classe sociale. C’est
ce qu’explique Marx, dès 1948, à propos de la petite paysannerie :
Dans la mesure où des millions de familles paysannes vivent dans des conditions
économiques qui les séparent les unes des autres et opposent leur genre de vie, leurs
intérêts et leur culture à ceux des autres classes de la société, elle constitue une
classe sociale. Mais elle ne constitue pas une classe sociale dans la mesure où il
n’existe entre les paysans parcellaires qu’un lien local et où la similitude de leurs
intérêts ne crée entre eux aucune communauté, aucune liaison nationale ni aucune
organisation politique.20
Pour transformer la classe ouvrière en sujet d’histoire, il s’agit donc de transformer la
similitude des intérêtsdes salariés en la conscience de cet intérêt commun, qui dépasse
pour le salarié le seul stade de sa relation personnelle avec son employeur, qui dépasse la
relation collective des salariés à l’employeur, bref qui s’exprime par le passage de
l’opposition à son patron à l’opposition au patronat dans son ensemble. Le syndicalisme, qui
met en avant la prise de conscience et la construction d’un intérêt commundans le
processus d’exploitation, a un rôle primordial concernant cette unification21.
La bourgeoisie a une conscience de classe. Par son mode de vie, sa reproduction sociale
endogène, l’affirmation d’un espace social réservé, mais aussi par une conscience aigue de ses
intérêts collectifs, qui se traduisent par une représentation politique identifiée, elle affirme
sans cesse avoir une conscience de classe combative.
20 MARX, Le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte, éd sociales 1976 p 127.
21 Louis-Marie Barnier, Unifier le salariat, la tâche historique du syndicalisme. Contretemps, mars 2010, n° 5,
http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-unification-salariat-mars2010.pdf
De même le salariat doit se construire sa propre représentation politique et sociale autonome.
Ceci exprime l’idée d’un projet commun, la projection dans une situation autre où la classe
ouvrière ne serait pas dominée. Et donc la nécessité de s’unifier en dépassant ses
contradictions internes.
2/ Représentations professionnelles, territoriales : solidarités professionnelles, construction de droits salariaux.
La classe ouvrière est hétérogène, traversée de divisions et de contradictions. La construction
d’un intérêt commun, comme peut le faire le syndicalisme, émane de la relation salariale.
Le travail est avant tout un rapport social, basé sur une activité productive mais dans le cadre
d’un rapport de subordination. La relation de travail englobe alors une relation hiérarchique
liée à l’organisation du travail, complétée par une opération de valorisation du travail. Le
syndicalisme véhicule donc les contradictions de cette situation de salarié, marquée par la
subordination du salarié à l’employeur, où le contrat de travail exige à la fois une mise à
disposition complète du salarié, tout en reconnaissant son individualité source de création de
richesse. L’organisation du travail capitaliste s’appuie sur des groupes professionnels, les
ouvriers professionnels, les agents de logistique, les employés, etc, à qui elle attribue des
fonctions différentes, et des valeurs différentes aux tâches effectuées. Le syndicalisme
exprime ces différences au sein de la classe ouvrière, tout en voulant l’unifier.
Le mouvement ouvrier a su, depuis son origine, avancer un certain nombre de mécanismes
pour se construire comme sujet collectif face au patronat et à la bourgeoisie. Deux grands
mécanismes ont été utilisés par le mouvement ouvrier, la solidarité professionnelle et les
droits salariaux.
· Solidarité professionnelle
A partir de la reconnaissance du rôle de chacun dans l’organisation du travail, des grilles
hiérarchique se sont construites, intégrées dans des conventions collectives de branche. Elles
permettent une reconnaissance de la qualification par les employeurs sans que cela dépende
d’une appréciation individuelle. Mais en même temps elles fixent une hiérarchie entre les
métiers, les activités… Elles résultent d’un compromis : pour les salariés comme pour les
employeurs, réduire la concurrence entre salariés d’un même métier, ou entre entreprises
d’une même activité. Elles représentent pour les salariés la prise de conscience que la
bourgeoisie repose nécessairement sur la concurrence des ouvriers entre eux, c’est-à-dire sur
la division du prolétariat et sur l’opposition entre groupes individualisés d’ouvriers22.
E. Durkheim avait bien résumé ce que représente cette solidarité organique : le lien social,
basé sur la solidarité organique, s’appuie sur la reconnaissance du rôle de chacun au sein dans
la division du travail social de cet organisme (comme les organes d’un corps humain). Pour
lui c’est le lien social le plus fort : Il y a lieu de supposer que la corporation est appelée à
devenir la base ou une des bases essentielles de notre organisation politique23
La solidarité professionnelle est aux sources du mouvement ouvrier. Cette construction repose
sur un mécanisme d’identification de la classe ouvrière à certains groupes mieux organisés et
donc avec de meilleurs acquis sociaux, à condition que ces groupes fassent bénéficier
l’ensemble des avantages reçus.
Cela ne signifie pas que les acquis des groupes centraux du syndicalisme ont
vocation à être étendus vers les groupes périphériques, mais que ces derniers peuvent
22 F. Engels, la situation de la classe laborieuse en Angleterre, 1845.
23 Emile Durkheim, De la division du travail social, préface à la 2nde Éd.
bénéficier indirectement du dynamisme des premiers. Le rôle de référence de l’emploi
standard ne va de pair ni avec sa généralisation, ni avec une uniformisation des
bénéfices qui y sont attachés, ni avec une égalité des conditions d’accès, de maintien
ou de promotion en son sein.24
C’est justement ce mécanisme qui est remis en cause dans la période actuelle : les groupes les
plus avancés sont eux-mêmes sur la défensive et n’arrivent plus à faire bénéficier les autres
salariés de leur statut : peu d’intégration de salariés précaires, peu de droits des précaires en
lien avec les statutaires, de nombreux salariés de PME ou de sous-traitants sans garantie
sociale. Ce mécanisme de construction autour de solidarités professionnelles est néanmoins
l’axe structurant d’une grande partie du mouvement ouvrier dans de nombreux pays.
Employeurs / bourgeoisie État
Corporation statut salarial
Solidarité professionnelle solidarité territoriale
Classe ouvrière / salariés
Reconnaissance Égalité
· Solidarité géographique / territoriale et droits salariaux
Un second mécanisme d’unification appréhende la classe ouvrière comme une classe sociale
qui se construit à travers un rapport salarial global. Les revendications mises en avant visent
alors à unifier au delà des statuts particuliers et de la situation particulière dans l’organisation
du travail. Les droits collectifs relèvent d’un statut salarial, qui participe de la construction de
ce salariat comme un sujet.
Un salaire minimum peut jouer ce rôle d’unification quelque soit le statut. Des revendications
telles que l’augmentation uniforme (France, Angleterre) jouent le même rôle d’unification par
delà les différences. C’est surtout la protection sociale, autour de la socialisation de la
reproduction de la force de travail, qui joue le vecteur d’une mobilisation sociale et
d’unification du salariat.
La protection sociale est un élément du salaire total distribué par les instances
politiques du salariat que sont les instances du partenariat social, et non pas une
redistribution. Elle pose tous les salariés, qu’ils soient occupés, chômeurs, en arrêt de
maladie, jeunes en formation ou pensionnés, des cadres aux ouvriers, comme membres du
travailleur collectif25.
Aujourd’hui, les cotisations sociales (salarié + employeur) représentent, en France, plus de 50
% du salaire. On peut dire que puisque cet argent n’est pas accumulé, il représente la moitié
du budget des ménages. Cette moitié n’est pas dépendante de la valeur attribuée au travail de
chacun, ni du statut, ni de la taille de l’entreprise (ce qui constitue comme nous l’avons vu les
éléments dominants de division du salariat), elle est donc un puissant élément unificateur. Elle
permet de dépasser les contradictions liées à l’organisation du travail dans l’entreprise.
D’ailleurs, les grandes luttes du salariat (1995, 2003) se sont structurées ces dernières années
autour de la défense de la protection sociale.
24 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique
internationale de l’IRES, N°97, 2005. http://www.ires-fr.org/Chronique-de-l-IRES-No-97-numero
25 Bernard Friot, Puissance du salariat, la Dispute 1998, p 200.
L’extension de la sécurité sociale, puis des autres dimensions de la protection sociale,
renforce peu à peu, depuis 50 ans, l’idée d‘un sort commun du salariat, au-delà de ses
différences internes. Cette extension s’est d’ailleurs faite par agglomérats successifs, à partir
des systèmes de protection gagnés dans des entreprises, des branches, puis élargis à tout le
salariat, puis à toutes les couches de la population. Le salariat devient un statut de référence.
Les syndicats justifient largement leurs places dans leurs pays respectifs par leur capacité
(…) à transformer le travail salarié en statut social de référence. Ils créent ainsi le
salariat.26
Mieux encore, ce système de protection sociale définit les termes d’un autre
mode de fonctionnement de la société, basé sur la réponse au besoin social et non sur le profit.
C’est à partir de ce message que le mouvement ouvrier est capable de s’adresser à toutes les
couches de la population, en leur proposant historiquement d’intégrer, couches après couches,
la sécurité sociale. Il devient porteur d’un modèle de société qui répond à l’intérêt de tous, il
devient porteur de l’intérêt général comme disait Gramsci.
Assistance ou droits collectifs ?
Ces droits peuvent rejoindre l’idée d’une citoyenneté, de droits afférant à la personne
citoyenne. Ils participent alors de la construction d’un collectif qui fait rejoindre citoyenneté
et salariat. Mais ces droits doivent être reconnus comme participation à la société, pas comme
relevant d’une assistance par l’État qui traite alors la pauvreté.
État État
Droits collectifs Assistance
Classe ouvrière Pauvres
Regrouper les plus exploités autour d’une même situation d’exclusion peut être tentant. Cela
permet de rassembler largement sur un aspect à priori simple. Mais contrairement à ce groupe
des pauvresou des exclus, le salariat resitue la situation dans le rapport capitaliste. Il
offre aussi un groupe, le salariat, auquel on peut s’identifier.
Les revendications démocratiques peuvent jouer aussi ce rôle d’unification quand elles
mobilisent largement, autour des salariés, d’autres franges de la population.
La puissance prolétarienne était puissamment combinée (et elle s’en trouvait
renforcée) avec ce qu’on pourrait appeler la conscience jacobine – cet ensemble
d’aspirations, d’expériences, de méthodes et d’attitudes morales dont la révolution
française (et avant elle l’américaine) avait pénétré les pauvres capables de réflexion
et de hardiesse. (…) Ces gens du commun – prolétaires ou non – que la révolution
française avait poussés sur le devant de l’histoire comme acteurs et non plus comme
26 Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique
internationale de l’IRES, N°97, 2005.
victimes, trouvèrent leur expression dans le mouvement démocratique (…).
Conscience prolétarienne et conscience jacobine se complétaient l’une l’autre 27.
C’est le lien social lié au territoire qui s’exprime ici, les salariés sont aussi citoyens et par la
revendication de la citoyenneté construisent l’image d’un salariat unifié et capable de porter
les questions de la société.
3/ L’éclatement des collectifs de travail
Une partie de cette unification du salariat s’opère sur les lieux de travail et autour du travail.
Le travail est au centre de notre analyse de la société. Il donne une identité sociale, il permet
de se situer dans la confrontation capital / travail. Notre approche de la classe ouvrière comme
une classe sociale nos amène à ne pas mythifier le travail (entendu ici comme lieu de travail)
comme seul lieu de construction de la classe ouvrière. Une intervention politique dans les
villes, sur des sujets sociaux importants, dans les institutions, participent autant de la
construction de la classe ouvrière comme sujet politique. Il importe de noter quelques
évolutions récentes qui sont déterminantes pour le salariat d’aujourd’hui, l’éclatement du
salariat et l’intensification du travail.
De façon à briser toutes résistances dans sa recherche permanente de profits, le libéralisme
remet sans cesse en cause les formes collectives du travail. C’est d’abord au niveau des statuts
des salariés que porte l’offensive de division : statuts précaires, fragilité de certains salariés…
Cette recherche de rentabilité se traduit par l’intensification du travail. Celle-ci prend la forme
d’un double mécanisme contradictoire :
· Post-taylorisme :
la dernière période capitaliste avait été marquée par une baisse de
rentabilité des modes de production, liée à une perte d’efficacité du taylorisme.
L’initiative des salariés, après avoir été bannie ou ignorée, devient un vecteur de
progrès. Mais elle ne peut reposer que sur l’investissement personnel des salariés qui
doivent lui sacrifier jusqu’à leur subjectivité et s’investir dans la finalité du produit.
· Néo-taylorisme :
l’augmentation des modes de contrôle de la production, par des
moyens informatiques généralisés, s’étend du travail collectif au travail individuel.
Cette double évolution contradictoire se traduit pas une souffrance accrue pour les salariés,
soumis à ces injonctions contradictoires. Elle est la marque de la volonté de reprendre le
contrôle sur une autonomie grandissante des salariés. cette autonomie est une marque
particulière de l’évolution du capitalisme. Elle s’appuie sur une hausse généralisée des
connaissances et une augmentation de la nécessité de la coordination dans le travail. Ce
mécanisme est appelé par Marx le passage de l’ouvrier de l’industrie vers le General intellect.
Il existe donc un enjeu particulier aujourd’hui pour reconstruire la dimension collective du
travail, la reconstruction des collectifs de travail. Le syndicalisme est l’expression de la
dimension collective de cette relation de travail. Il crée un espace particulier au sein de cette
relation de travail, un espace qui relève de la solidarité, du travail collectif, de la coopération
et qui s’oppose à la mise en concurrence des salariés entre eux. C’est autour de la
reconnaissance du droit de coalition que s’est construit le syndicalisme, intégrant tout autant
le droit de grève que l’organisation dont se dote la classe ouvrière au XIXe siècle.
Le travail est un rapport social. Il est à l’intersection entre un rapport de domination (sur la
classe ouvrière, l’obligeant à travailler) et un rapport d’exploitation (de la classe ouvrière).
27 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998, p 270.
4/ Représentation organique / représentation politique
La présentation précédente s’appuie implicitement sur l’idée que le syndicalisme a pour tache
de représenter l’ensemble de la classe ouvrière au delà de ses contradictions (mais cette
représentation unifiée de la classe ouvrière peut prendre d’autres formes suivant les pays).
L’expression d’un intérêt commun aboutit seulement à une représentation organique, issue de
la situation commune d’une classe sociale.
Le second moment est celui où tous les membres du groupe social prennent conscience de
leur solidarité d’intérêts, mais encore dans les limites du champ purement économique. Dès
ce moment-là se pose la question de l’Etat, mais seulement en tant qu’il s’agit d’obtenir
l’égalité politico-juridique avec les groupes dominants, puisque l’on revendique le droit de
participer à la législation et à l’administration, et au besoin de les modifier, de les réformer,
mais dans les cadres fondamentaux existants(Gramsci, Notes sur Machiavel, 13e Cahier de
prison 1931)
Mais la classe ouvrière ne peut s’affirmer comme classe dominée. Elle s’affirme au contraire
par la lutte quotidienne de résistance qui intègre cette dimension émancipatrice. Pour exister,
elle doit porter un projet d’émancipation, un projet d’une autre société. Ceci ouvre à l’action
politique.
C’est ce qu’exprime Gramsci en proposant une troisième étape :
Le troisième moment est marqué par la conscience que les intérêts corporatifs
propres, dans leur développement présent et futur, dépassent la sphère corporative,
celle du groupe purement économique, et qu’ils peuvent et doivent devenir les intérêts
d’autres groupes subordonnés. (…) C’est la phase dans laquelle les idéologie qui
avaient germé antérieurement deviennent parti , en viennent à se mesurer et
entrent en lutte, jusqu’à ce que l’une d’entre elles , ou, du moins, une combinaison
seulement de plusieurs d’entre elles, tende à prévaloir, à s’imposer, à se propager à
toute l’aire sociale, en déterminant non seulement l’unité à des fins économiques et
politiques, mais aussi l’unité intellectuelle et morale, en situant toutes les questions
autour desquelles la lutté fait rage non sur le plan corporatif, mais sur le plan
“ universel ” et en instaurant ainsi l’hégémonie d’un groupe social fondamental sur
une série de groupes subordonnés. (idem)
Cette volonté d’émancipation ne peut exister qu’à travers une stratégie. C’est ce qu’exprime
l’existence des partis politiques, expressions politiques de cette classe ouvrière et de son
projet. C’est cette conscience de classe qui émerge au XIXème siècle, qui correspond à la
jonction entre la révolution industrielle (Angleterre) et la révolution française et qu’il faut
sans cesse reconstruire :
Ce qu’il y avait de nouveau dans le mouvement ouvrier du début du XIXe siècle,
c’est une conscience de classe et une ambition de classe. (…) La révolution française
a donné à cette classe nouvelle la confiance en soi. La révolution industrielle l’a
marquée du besoin d’une mobilisation permanente.28
C’est donc une double représentation qui correspond à ces deux tâches. Une représentation
organique, unifiée, souvent représentée par le syndicalisme ; et une représentation
politique, stratégique, concrétisée par des partis politiques différents.
28 E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 p 268.
5/ Un objectif stratégique : unifier la classe ouvrière ; d’émancipation : bâtir de
nouveaux rapports sociaux
L’analyse sociologique des classes sociales est intimement liée au projet politique que nous
portons. Une analyse de la disparition de la classe ouvrière identifiée pourrait amener à
plusieurs types de conclusions (si on écarte l’aplatissement devant l’ordre existant, devant un
capitalisme devenu, pour l’essentiel de la social-démocratie, horizon indépassable) :
· la première serait la recherche d’un nouveau sujet révolutionnaire aux marges de la
société, dans les capacités subversives des plus précaires alliés aux intellectuels29.
Cette
vision, qui sous-estime les luttes toujours menées par le salariat traditionnel, ne peut que
conduire à l’impasse : le « précariat » est lui-même profondément hétérogène et, si
certaines de ses composantes sont capables de mener des actions radicales, elles pèsent
peu sur les centres stratégiques du système et surtout la coordination des salariés est
éphémère, et le projet collectif ne peut qu’être réduit.
· Une seconde vision met en avant les luttes contre les oppressions comme des éléments
fondamentaux et relativisent la lutte économique.
Après 1995 et le grand mouvement social en France, Pierre Bourdieu a théorisé les
nouveaux mouvements sociaux les sujets révolutionnaires remplaçant la classe
ouvrière (elle-même trop dominée pour se révolter). Cette vision a des ressorts réels : le
bilan des courants dominants du mouvement ouvrier traditionnel, l’incapacité voire le
refus de courants même révolutionnaires de prendre en charge les luttes hors de
l’entreprise, les luttes des femmes, des homosexuels, etc. Mais nous ne partageons pas le
pessimisme concernant la classe ouvrière de ce courant, qui la considère comme opprimée
et incapable de s’émanciper30. Les mouvements sociaux doivent se lier avec le
mouvement ouvrier et y trouver (et lui donner) un sens commun.
· Une troisième vision s’appuie sur la progression d’un général intellect: chacun
participe, dans ce capitalisme cognitif, de la création de la valeur par sa participation à
la vie sociale. L’affrontement avec le capitalisme devient l’affrontement avec un système
généralisé à la planète. Ce sont les mouvements sociaux qui portent alors la confrontation
principale avec le système capitaliste.
Des rapports d’exploitation identifiés, mettent en scène dans une confrontation
irréductible une classe capitaliste et une classe ouvrière (prise au sens large).
L’unification de la classe ouvrière, autour de l’édification d’un intérêt commun
dépassant les contradictions internes, à travers, un projet anticapitaliste, devient un
objectif stratégique central. Cette unification permet de dépasser la situation de
domination, pour un projet commun d’émancipation. Et c’est au coeur des rapports
sociaux que se trouve le ressort historique pour construire de nouveaux rapports
émancipés31.
La classe ouvrière peut alors se poser comme le sujet historique de la transformation
sociale :
La classe ouvrière se présente d’emblée non pas comme classe, mais comme
représentant la société toute entière32.
29 Antonio Negri, « Refonder la gauche italienne », Le Monde diplomatique, août 2002.
30 Pierre Bourdieu, La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris, 2007 (1979).
31 Voir notamment Louis-Marie Barnier, Rapport social et autonomie, revue Que faire?, janvier 2008.
http://lmbarnier.free.fr/documents/BARNIER-rapport-social-et-autonomie-janvier08.pdf
32 Marx, Engels, L’idéologie allemande, « Feuerbach », éd sociale 1976, p 46.
Annexe I
Bibliographie
Pierre Bourdieu P., 2007 (1979), La distinction, critique sociale du jugement, éditions de Minuit, Paris. (un livre
fondamental dans l’approche de Pierre Bourdieu des classe sociale, et de la classe ouvrière plus exactement).
Christian Dufour, Adelheid Hege, Emplois précaires, emploi normal et syndicalisme, Chronique internationale
de l’IRES, N°97, 2005.
E. Hobsbawm, L’ère des révolutions, Fayard 1998 (les trois tomes décrivent la constitution
des fondements des rapports sociaux dans le capitalisme, bien qu’étant sans doute européocentriste…).
Maalouf, Les identités meurtrières, Grasset 1998.
Et mon site : http://lmbarnier.free.fr
Annexe II
Travail en groupe.
Pour mieux appréhender cette question de la classe ouvrière, nous proposons que
les groupes cherchent des exemples concrets, parmi les situations des membres du
groupes, qui permettent de comprendre les trois parties de l’exposé, la notion de
rapport social, les éléments objectifs de la classe ouvrière et la construction
subjective de la classe ouvrière.
1ère phase / Chaque groupe choisira un exemple parmi les rapports sociaux cités,
afin de déterminer les groupes antagoniques, la forme de confrontation, l’enjeu de la
confrontation.
2e phase / Chaque groupe choisira un pays parmi les descriptions des compositions
sociales des pays suivants (Algérie, France, Pakistan, Indonésie), pour en déduire le
poids (de façon très indicative !) de la classe ouvrière (en % de la population),
d’autres classes sociales et les questions politiques qui en découlent.
3e phase / Chaque groupe essaiera de mettre en évidence une ou plusieurs
revendications de type salarial et une ou plusieurs revendications de type
professionnel, en expliquant le fonctionnement dans un ou des pays.